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07.06.2018
Le mai des professeurs et des chercheurs
En mai et juin, Sciences Po dévoile des documents inédits sur les événements de mai 68 survenus dans ses murs. Photos, témoignages, archives… L’ambition de cette série d’articles est de redonner la parole aux acteurs, de saisir l’événement sur le vif et de comprendre la parole de 68 autant que son contenu. Sixième épisode de “Ça s’est passé…”, le 8 juin 1968, les enseignants de Sciences Po se réunissent pour la seconde fois en Assemblée générale. Leur action, conjointe à celle des étudiants, contribue à révolutionner leur statut au sein de l’école.
La fin d’une “école sans professeur”
La structuration d’un pouvoir enseignant en miroir du pouvoir étudiant, la création d’un corps de professeurs des universités titulaires affectés à l’IEP, enfin la démocratisation de la gouvernance des laboratoires de recherche de la FNSP constituent autant d’effets collatéraux, remarquables mais méconnus du mai étudiant. Les événements étudiants ont ainsi contribué à modifier structurellement le rapport de l’Administration à ses enseignants, autant que ces derniers ont été amenés à redéfinir leur rôle au sein de l’IEP et même leur métier.
Mai 68 a fait advenir un « pouvoir enseignant ». École « sans professeur », faisant appel à 450 enseignants vacataires issus des facultés de lettres et de droit, de la haute fonction publique et des administrations, du milieu économique et des syndicats professionnels, Sciences Po n’avait jusqu’alors jamais impliqué ses enseignants dans l’élaboration de l’offre d’enseignement et dans la gestion de l’IEP autrement qu’à titre individuel. La revendication étudiante de « cogestion » exigeant un « contrôle démocratique étudiants-professeurs (50 % – 50 %) sur l’ensemble des attributions de la Direction » (motion J) et l’intérêt bien compris de l’Administration de Sciences Po contribuent à doter ce groupe éclaté d’une représentation. Appelés par la direction à désigner leurs représentants par sections, par années et par corps, les enseignants élisent le 23 mai seize délégués siégeant au « comité paritaire des études » présidé par Alfred Grosser, directeur d’études et de recherches de la FNSP. Appelés à se prononcer une première fois sur le veto étudiant et la poursuite des négociations le 8-14 juin, et une seconde fois sur les textes relatifs à la cogestion et aux libertés politiques et syndicales, le 22 juin-1er juillet, le corps enseignant a joué un rôle de médiateur, de négociateur modérateur, voire d’arbitre.
Mai 68 : nos enseignants-chercheurs témoignent (vidéo)
À la recherche d’un compromis avec les étudiants
Son nombre, sa dispersion géographique et professionnelle, autant que l’occupation des locaux de la rue Saint-Guillaume, expliquent que sa réunion en assemblée générale ait été rare (23 mai et 8 juin) et que les échanges aient pris la forme de lettres-pétition, de motions et d’explications de vote envoyées par courrier. Ces documents constituent d’inestimables archives qui donnent à voir la diversité, voire les divisions, du corps enseignant quant aux interprétations et aux attitudes à adopter vis-à-vis des événements. Certes les enseignants ne désavouent jamais leurs seize délégués qui négocient directement avec les étudiants au sein de l’organisme paritaire des études, mais les hauts fonctionnaires, juristes de formation, n’ont de cesse de rappeler le statut « extra-légal » de cette même instance et des textes qu’elle produit. Certes la majorité des enseignants se dit favorable au dialogue avec les étudiants et accepte le principe d’une participation étudiante (selon des modalités variables), mais elle rejette toute mise en cause de l’autorité du directeur, tout veto étudiant, et le principe même de parité ou de cogestion. Les enseignants défendent également leur liberté académique et refusent tout droit de regard étudiant sur leur nomination. Enfin, un certain nombre d’entre eux s’inquiètent de la « politisation de l’IEP » qu’entraînerait l’octroi des libertés politiques et syndicales. En dépit de sa diversité, le corps enseignant a fait preuve d’une grande cohésion (comme en témoignent les résultats des deux votes entérinant à 66 % les compromis négociés par leurs mandataires, avec 83 % de participation) pour soutenir la direction et défendre ses prérogatives, tout en encourageant la poursuite des négociations avec les étudiants et la recherche d’un compromis sur les modalités de leur participation.
Le Mai des professeurs et des chercheurs (diaporama)
Si le corps enseignant de l’IEP a obtenu une reconnaissance statutaire à l’occasion de mai 68, les chercheurs des laboratoires de la FNSP ont également fait leur révolution pour réclamer une gestion plus transparente des recrutements et des carrières et une plus grande participation à la définition de la politique scientifique – obtenant la mise en place des conseils de laboratoire élus. Enfin, à la faveur de la loi Faure et des négociations entamées avec les pouvoirs publics, la direction de Sciences Po a obtenu l’affectation directe de professeurs titulaires à l’IEP qu’elle appelait de ses vœux depuis la fin des années 1950 : les premiers enseignants-chercheurs universitaires sont ainsi accueillis à la rentrée 1968, contribuant à structurer plus encore le tout jeune « pouvoir académique ».
Dossier documentaire réalisé par Marjorie Ruffin, archiviste à la Mission Archives et Marie Scot, historienne au Centre d’histoire de Sciences Po. Texte de Marie Scot.
Tous les épisodes de “Ça s’est passé en 68” :
- Introduction : Ça s’est passé en 68 à Sciences Po
- La bataille des examens
- L’occupation de Sciences Po
- Le pouvoir étudiant
- L’attaque d’Occident et l’extrême-droite à Sciences Po
- Le mai de l'administration
- Le mai des professeurs et des chercheurs
- La cogestion
- Les libertés politiques et syndicales
- Le contenu idéologique de l'enseignement
- Après 68, nouveaux statuts, nouveaux pouvoirs