The study of the Bulgarian case provides an original contribution to the scholarship on the confiscation of Jewish property in Europe during World War II. This ally of Nazi Germany passed anti-Semitic legislation in January 1941 and laid the framework for the expropriation of Jewish properties. In the “Old Kingdom” (pre-1941 borders) however, the economic deprivation of the Bulgarian Jews did not prefigure their deportation. By contrast, in Yugoslav and Greek territories under Bulgarian occupation, economic dispossession, deportation and extermination were inexorably linked. Could the issue of spoliation therefore provide a perspective shedding new light on this tragic bifurcation? How can one interpret the micro-social dynamics, which led some social actors to take part in the grabbing of Jewish property and at times to also publicly oppose the deportation of Bulgaria’s Jews? The publication of a pioneer piece of research by Bulgarian historian Roumen Avramov provides the opportunity to offer a review of the literature on the Holocaust and the expropriation of Jewish properties in Bulgaria. Building upon Avramov’s work, this article also suggests areas for further research on anti-Jewish policies in Bulgaria.

A l’historiographie sur la spoliation des biens juifs en Europe, l’étude du cas bulgare fournit un apport original. La Bulgarie présente en effet une singularité de prime abord irréductible : dans ce pays allié de l’Allemagne nazie, une législation antisémite fut adoptée en janvier 1941, qui posait les cadres de l’aryanisation de l’économie. Pourtant, dans le « vieux Royaume », la dépossession économique des Juifs de citoyenneté bulgare ne préfigura pas leur déportation ; dans les territoires de Yougoslavie et de Grèce occupés, en revanche, spoliation, déportation et extermination furent inexorablement liées. La question de la spoliation pourrait-elle dès lors fournir un angle sous lequel aborder à nouveaux frais l’histoire de cette tragique bifurcation ? Comment interpréter, en particulier, les dynamiques microsociales qui ont sous-tendu la participation à l’accaparement de biens juifs et, parfois de la part des mêmes acteurs sociaux, la mobilisation contre les déportations ? La parution d’un ouvrage pionnier dû à l’historien bulgare, Roumen Avramov, fournit ici l’opportunité de dresser un état de la littérature sur la Shoah et la spoliation en Bulgarie, ainsi que de suggérer des pistes de recherche dans le prolongement de ses travaux.

Eran Tzidkiyahu

This article wishes to discuss the phenomenon of strong religious-nationalism in the Israeli-Palestinian conflict in a comparative approach, paving the road for further research to come. The term strong religion-nationalism occurs when a nation-state unites the nation, state and ethnicity with religion. This kind of cultural political phenomenon flourishes in areas of conflicts concerning contested central holy sites, in which politicians are likely to mobilize religious-nationalism. Societies and states containing significant strong religious-national elements are in greater risk of falling into radical nationalism, fascism and totalitarianism. The term “strong religious-nationalism” is a paraphrase on the title of the book by Almond, Appleby and Sivan: Strong Religion: The Rise of Fundamentalisms around the World (2003). This does not mean that strong religious-nationalists are necessarily fundamentalists as depicted by the authors. It does correspond with the author’s choice of the term Strong Religion, relating to the movements they examined as “[…] militant and highly focused antagonists of secularization. They call a halt on the centuries-long retreat of religious establishments before the secular power. They follow the rule of offense being better than defence, and they often include the extreme option of violence and death.” The authors “intend the notion of ‘strength’ to suggest that these are movements to reckon with seriously” (Almond, Appleby and Sivan 2003: 2) Strong religious-nationalists merge successfully within the framework of the nation-state, making politics a part of religion, politicizing religion, transforming the nation-state into a “vehicle of the divine” (Friedland 2002: 381).

Eran Tzidkiyahu

Cet article entend débattre du phénomène du strong religious-nationalism dans le conflit israélo-palestinien par le biais d’une approche comparative, préparant ainsi le terrain pour de futures recherches. Le terme strong religious-nationalism s’emploie lorsqu’un Etat-nation conjugue nation, Etat, ethnicité et religion. Ce phénomène politico-culturel prospère dans les zones de conflit où se trouvent de hauts lieux saints disputés,au nom desquels les politiciens ont tendance à mobiliser le nationalisme religieux. Les sociétés et les Etats empreints de strong religious nationalism présentent plus de risques de verser dans le nationalisme radical, le fascisme et le totalitarisme. Le terme strong religious-nationalism est une paraphrase du titre du livre de Almond, Appleby et Sivan : Strong Religion: The Rise of Fundamentalisms around the World (2003). Son usage ne signifie pas nécessairement que les strong religious-nationalists soient des fondamentalistes tels que décrits par les auteurs, mais renvoie plutôt au choix du terme strong religion : les mouvements qu’ils étudient se caractérisent comme étant « militants et opposés de manière ciblée à la sécularisation. Ils appellent à mettre un terme à l’effacement séculaire des institutions religieuses face au pouvoir laïque. Ils suivent le principe selon lequel la meilleure défense est l’attaque, et ne renâclent pas à faire usage de la violence et de la mort ». Les auteurs « utilisent la notion de “force” pour suggérer que ce sont des mouvements qui doivent être pris au sérieux » (Almond, Appleby and Sivan 2003: 2). Les strong religious-nationalists s’insèrent avec succès dans le cadre de l’Etat-nation, appréhendant la politique comme une composante de la religion, politisant la religion, et transformant l’Etat en un « vecteur du divin » (Friedland 2002: 381).

Samuel B. H. Faure

This article focuses on the decision-making dilemma of arms procurement policy. Why does a State decide sometimes to cooperate internationally with other States and their defense industries, to buy military goods such as jet fighters, tanks and warships, and why does it decide sometimes to not cooperate and prefers autarky? To answer this Research Question, this article brings in the form of a literature review, all the contributions in political science (almost hundred references) that explain this decisional variation. The aim is to map all explanatory models of this dilemma by testing their theoretical and methodological proposals on the case of France, to identify their main contributions and their weakness.

Samuel B. H. Faure

Cet article porte sur le dilemme décisionnel de la politique d’acquisition d’armements. Pourquoi un état décide-t-il parfois de coopérer à l’international avec d’autres états et leurs industries de défense, pour acheter des biens militaires tels que des avions de combat, des chars d’assaut ou des navires de guerre, et pourquoi décide-t-il parfois de ne pas coopérer en privilégiant l’autarcie ? Pour répondre à cette « question de recherche », cet article rassemble, sous la forme d’une revue de la littérature, l’ensemble des contributions en science politique (soit près de cent références) qui visent à expliquer cette variation décisionnelle. L’objectif est de cartographier l’ensemble des modèles explicatifs de ce dilemme en testant leurs propositions théorique et méthodologique sur le cas de la France, pour identifier leurs principaux apports ainsi que leurs limites.

Fred Eboko

This paper deals with the recurrences, which structure a relative standardization that concerns actors of the public policies in contemporary Africa. The proposed entrance is twofold. At first the author aims to highlight configurations of actors (international, national, public, private, associative, etc.), at the level of institutions, presented under forms “of agencies” (of normalization/standardization, regulation, execution, counterproposal, etc.). Secondly, a comparison within the health sector (AIDS, malaria, tuberculosis), then a comparative approach with two other sectors (the education and the biodiversity). This configuration of actors and institutions is based on a central hypothesis: the construction of “a matrix of the public action in Africa” among which the dynamics and the expected or prescribed results are different from one sector to the other. The main hypothesis, which tends to explain these differences, is articulated on the dynamic notion of “epistemic communities” developed by Peter Haas. The New Funding Model (NFM) of the Global Fund against AIDS, Tuberculosis and Malaria represents an ultimate model of this matrix.

Fred Eboko

Cet article vise à mettre en lumière les récurrences qui structurent une relative standardisation des acteurs de l’action publique en Afrique contemporaine. L’entrée proposée est double : par les configurations d’acteurs (internationaux, nationaux, publics, privés, associatifs, etc.), au niveau des institutions, présentées sous formes « d’agences » (de normalisation/standardisation, de régulation, d’exécution, de contre-proposition, etc.) et par une approche comparée au sein du secteur de la santé (sida, paludisme, tuberculose), puis avec deux autres secteurs (l’éducation et la biodiversité). Cette configuration d’acteurs et d’institutions fonde l’hypothèse centrale de cette présentation : l’édification d’« une matrice de l’action publique en Afrique » dont la dynamique et les résultats attendus ou prescrits sont différents d’un secteur à l’autre. L’hypothèse principale qui tend à expliquer ce différentiel s’articule autour de la notion dynamique de Peter Haas relative aux « communautés épistémiques ». Le nouveau modèle de financement du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme représente une forme achevée de cette matrice.

Thomas Fouquet

Based on a long lasting fieldwork experience in the Dakar by night, this study questions the terms and issues of ethnographical implication, facing the double externality that characterizes the position of the researcher: being a white French man among Senegalese women, whilst many of them are looking for western male partners or “sponsors.” How to cope with the image of “prey” that broadly surrounds the ethnographer? How to articulate the critical analysis of the ethnographic situation, and that of social, political, economical and phantasmatic issues that emerge through “postcolonial encounter”? The problem is in particular not to reduce such an experience to the description of a “sexual fieldwork” thus designed as an ethnographic exceptional area. By showing that the real object of reflexivity always proves elusive, this rooted epistemology relies on a heuristic paradox: it is the progressive distancing of an “Ethnographer’s Self” that ultimately allows to come closer to the interlocutors. Incidentally, this paradoxical negotiation of the distance carries by itself some major anthropological informations.

Thomas Fouquet

Issue d’une enquête de plusieurs années dans l’univers noctambule de Dakar, cette étude interroge les modalités et les enjeux de l’implication ethnographique face à la double extériorité qui caractérise la position du chercheur sur ce terrain : être un homme français, parmi des femmes sénégalaises qui, pour beaucoup d’entre elles, sont en quête de partenaires ou de « sponsors » masculins occidentaux. Aussi, comment faire avec cette image de « proie » ? Comment parvenir à une articulation aussi fine que possible entre l’analyse critique et réflexive de la situation ethnographique et celle des rapports sociaux, politiques, économiques mais aussi fantasmatiques complexes qui s’instaurent en situation postcoloniale ? L’enjeu est, notamment, de ne pas réduire l’analyse au décryptage d’un « terrain sexuel » conçu comme zone d’exception ethnographique. Par une écriture située, en s’appliquant à montrer que le véritable objet de la réflexivité se révèle toujours fuyant, cette épistémologie ancrée s’appuie sur un paradoxe heuristique : c’est la mise à distance progressive d’un « soi d’ethnographe » qui, in fine, permet de se tenir au plus près des individus et des pratiques étudiés. Incidemment, cette négociation de la distance à l’objet emporte par elle-même des effets d’interprétation anthropologique majeurs.

Christophe Wasinski

We hereafter make the case that a certain technostrategic knowledge regime exists that builds a good reputation to military interventions. This contributes to normalizing the latter within the apparels responsible for the execution of foreign policies, since the end of the cold war. Supported by a contemporary military and security discourse analysis, this work analyses how this regime of knowledge was elaborated, how it circumscribes a field of possibles for intervention and how it attributes great credibility to this very field of possibles.

Christophe Wasinski

Nous faisons ici l’hypothèse qu’il existe un régime de savoir technostratégique qui confère aux interventions militaires une grande aura et contribue, par ce biais, à les normaliser au sein des appareils en charge de l’exécution des politiques étrangères depuis la fin de la guerre froide. À partir d’une étude des discours militaires et sécuritaires contemporains, nous cherchons à savoir comment ce régime a été élaboré, comment il délimite un champ de possibles en matière d’interventions et comment il attribue à ce même champ de possibles une grande crédibilité.

Due to the growing importance of religion in post-Soviet Russia and the prevalent place of the Orthodox Church in Russian politics, certain analysts have argued that Russia is undergoing a process of desecularization today. While this phenomenon is also occurring in other parts of the world, Russia is different from these cases—notably because of its sociopolitical history and its particular religious context. Instead of opposing this trend toward desecularization to the earlier trend toward secularization at the time of the Soviet Union, the emphasis is put on the continuity of governemental practices. Religion today has become an essential part of a mode of governing that was made possible through a form of identity-building reinvented by the elites. This mode of governing reflects to a certain extent the continuity of the Soviet mode of governing characterized by a non pluralist ideology.

Au vu des évolutions de la Russie postsoviétique et de la place qu’occupe l’Église orthodoxe dans la vie politique russe, de nombreux chercheurs ont mis en évidence un processus de désécularisation en Russie. Observable dans d’autres parties du monde, ce processus en cours présente cependant certaines spécificités en Russie, s’inscrivant à la fois dans une histoire sociopolitique et dans un contexte confessionnel particuliers. Plutôt que d’opposer ce processus de désécularisation au processus de sécularisation à l’oeuvre pendant la période soviétique, cette étude avance l’idée d’une persistance de pratiques de gouvernement. Le religieux est aujourd’hui l’élément intrinsèque d’un certain mode de gouvernement, rendu possible par une reconstruction identitaire entamée par les élites. Paradoxalement, ce mode de gouvernement s’inscrit, dans une certaine mesure, dans la continuité du gouvernement soviétique, marqué par une idéologie unanimiste.

Le Pakistan est né en 1947 de la demande d’un État séparé par la minorité musulmane du Raj britannique. L’Islam
y était défini par son fondateur, Jinnah, dans le cadre de sa « théorie des deux nations », comme un fondement
identitaire, à la fois culturel et territorial. Cette idéologie était donc à l’origine d’une forme de sécularisation originale
qu’ignore la typologie ternaire de Charles Taylor – que ce texte s’attache à tester et à compléter. Par contre, elle
allait de pair avec un certain sécularisme au sens où l’entend Taylor : les deux premières Constitutions du Pakistan
n’érigeaient pas l’islam en religion officielle et garantissaient des droits importants aux minorités. Mais l’approche de
Jinnah ne faisait pas consensus. Les religieux et les fondamentalistes militaient, eux, en faveur d’une islamisation du
pays. Leurs pressions ont porté leurs fruits au début des années 1970, au moment où Z. A. Bhutto instrumentalisait
la religion. La politique d’islamisation de Zia transforma plus encore le droit, le système éducatif et le dispositif
fiscal. Si cette évolution s’est opérée aux dépens du sécularisme, les minorités se retrouvant dans une situation
particulièrement précaire, les années 1980 ont vu Zia poursuivre une politique d’étatisation de l’islam comparable
à celle de ses prédécesseurs – de Jinnah à Ayub Khan – qui l’avaient pourtant mise en oeuvre au nom d’idéologies
différentes. C’est là l’indice d’une forme spécifique de sécularisation qu’on pourrait dire du quatrième type.

Pakistan was created in 1947 by leaders of the Muslim minority of the British Raj in order to give them a separate
state. Islam was defined by its founder, Jinnah, in the frame of his “two-nation theory,” as an identity marker
(cultural and territorial). His ideology, therefore, contributed to an original form of secularization, a form that is
not taken into account by Charles Taylor in his theory of secularization – that the present text intends to test and
supplement. This trajectory of secularization went on a par with a certain form of secularism which, this time,
complies with Taylor’s definition. As a result, the first two Constitutions of Pakistan did not define Islam as an
official religion and recognized important rights to the minorities. However, Jinnah’s approach was not shared
by the Ulema and the fundamentalist leaders, who were in favor of an islamization policy. The pressures they
exerted on the political system made an impact in the 1970s, when Z.A. Bhutto was instrumentalizing Islam. Zia’s
islamization policy made an even bigger impact on the education system, the judicial system and the fiscal system,
at the expense of the minority rights. But Zia pursued a strategy of statization of Islam that had been initiated
by Jinnah and Ayub Khan on behalf of different ideologies, which is one more illustration of the existence of an
additional form of secularization that has been neglected by Taylor.

Marc-Antoine Pérouse de Montclos

In Nigeria, the Islamic terrorism of Boko Haram raises a lot of questions about the political relationship between so-called "religious" violence and the state. At least three of them expose our confusions about islamization, conversion, radicalization and the politicization of religion, namely:
– Is it a religious uprising or a political contest for power?
– How does it express a social revolt?
– How indicative is it of a radicalization of the patterns of protest of the Muslims in Northern Nigeria?
A fieldwork study shows that Boko Haram is not so much political because it wants to reform the society, but mainly because it reveals the intrigues of a weak government and the fears of a nation in the making. Otherwise, the radicalization of Islam cannot be limited to terrorism and it is difficult to know if the movement is more extremist, fanatic and murderous than previous uprising like the one of Maitatsine in Kano in 1980. The capacity of Boko Haram to develop international connections and to challenge the state is not exceptional as such. Far from the clichés on a clash of civilizations between the North and the South, the specificity of the sect in Nigeria has more to do with its suicide attacks. Yet the terrorist evolution of Boko Haram was first and foremost caused by the brutality of the state repression, more than alleged contacts with an international jihadist movement.

Christian Olsson

In this study, we try to apply the genealogical methodology to the analysis of French, British and American military discourse on the « pacification of populations » from the xixth century until today. The objective is indeed to analyse and problematise the colonial continuities that the leitmotiv of the « hearts and minds » reveals. We do this by focusing on the « moments » that have framed and reframed the social uses and significations of this leitmotiv: firstly, the « moment » of colonial conquest ; then, the « moment » of the wars of decolonization ; finally, the « moment » of western interventionism in postcolonial states. While highlighting the colonial continuities of military practice, our main conclusion is that the meanings of the leitmotiv are extremely variable and always subjected to contradictory interpretations. The genealogy of the « hearts and minds » hence draws attention to its many discontinuities. It particularly shows how the postcolonial « moment » has subverted its colonial meanings.

Ivan Manokha, Mona Chalabi

The latest financial crisis has put the state and the international system to the test. In this context one would expect an explosion in literature from the discipline that claims academic monopoly over the international sphere: International Relations. However, as our research shows, surprisingly few IR scholars have made any attempt to analyse the crisis. This article seeks to explain this paucity of engagement, and the failings of those few works that did attempt to engage with the crisis, by exposing the limits of the discipline's orthodoxy. It argues that the discipline of IR has been predominantly concerned with the analysis of political interactions of sovereign states, their external behaviour towards each other in an anarchic international system, with each of these territorial units seen as pursuing their national interests, usually vaguely defined in terms of power or resources. With such privileging of the political over the economic, of the external over the domestic, of state actors over non-state actors, and of the study of conflict over the analysis of other types of interactions, the discipline of IR has inherently and structurally been unable to engage with, and render intelligible, the latest financial crisis and its consequences. The article then sketches out an alternative approach which seeks to overcome the dichotomies that characterize the orthodoxy and provides a more holistic explanation of the crisis.

Nation is state-oriented, whereas nationalism is an ideology which may simply promote one’s own identity against Others. Therefore, theories of nation-building do not explain nationalism. Other theories adopting a materialist approach do, like Gellner’s model in which nationalism appears as resulting from socio-ethnic conflicts, but they ignore the inner mechanism of this ideology. Theories looking at nationalism as an export product from the West also miss this point too. In contrast, a convincing body of theories anchor nationalism in socio-cultural reform. The intelligentsia which undertakes it in order to resist the threat posed by some dominant Other – often from the West, that fascinates them -, eventually develops a nationalist attitude, because it is not willing to imitate the West but strive to restore its culture by incorporating into it prestigious features of the West through the invention of a convenient Golden Age, the cornerstone of nationalism.
This approach finds a parallel in the theories of ethnicity which do not apply the primordialist paradigm but focus on the making of group boundaries. Barth highlights the decisive role of the relationship to the Other and the little importance of cultural contents – compared to the maintenance of group boundaries – in the making of ethnic identities, in such a way that there are more affinities between his theory of ethnicity and theories of nationalism than between the latter and theories of the nation.
However, one can construct an integrated model of nationalism by organising different theories in a sequence. While the ideology-based approach comes first, the creation of a nationalist movement implies the rise of socio-economic conflicts and the massification of nationalism, a process of nation-building.

Françoise Daucé

Collective mobilizations in post-Soviet Russia constitute an enigma for Western political sociology due to their numerical weakness and their incapacity to strengthen democratic practices in the country. This perplexity can be explained by the unsuitability of the research tools used for their study. Academic research on social mobilization has long been based primarily on postulates concerning the modernization of social movements in a economically and politically liberal context. Western and Russian leaders involved in the transition process demonstrated a will to foster the constitution of organizations independent from the State and the creation of a civil society as an opposition force. In the early 90’s, the practices of voluntary organizations in Russia became closer to Western ones. Notions such as “associative entrepreneurship”, “professionalization” or “frustration” were shared by Russian movements. However, later evolutions showed the unsuitability of these concepts to understanding the full complexity of these movements. That is why this issue of “Research in question” aims to suggest new theoretical perspectives for studying associations in Russia. These are at the crossroads of various grammars, where civic and liberal principles are combined with domestic and patriotic preoccupations. This complexity, which resists a purely liberal vision of social organizations, draws convergent criticisms against their action. In order to investigate this complexity of practices as well as criticisms, the tools produced by a pragmatic and multiculturalist sociology are useful to show the diversity of social and political bonds that link militants in contemporary Russia.

John Crowley

Multiculturalism is, among other things, a normative framework for addressing claims made by ethnic political actors in liberal democratic states. It offers principles for deciding which of these claims are acceptable, which unacceptable, and which imperative on grounds of justice. The practical application of such principles to particular cases is what is called here adjudication, whether or not it has a judicial character. The argument of the paper is that a tendency to frame adjudication solely in normative terms, with reference to idealised eth-nic claims and idealised political processes, has led many contributors to multicultural literature, including some of the most influential, to misstate the problems, and therefore to offer solutions of dubious re-le-vance. The reason for the normative focus is, understandably enough, to avoid conflating justice with a balance of interests in pluralist bargaining. What is lost by such an approach, however, is the thickness of the political so-ci-o-logy of ethnic claims, which goes hand in hand with the institutional thickness of their adjudication. A crucial aspect of this is the sociologically inadequate conception of culture characteristic of normative multiculturalism, as a result of which it is often difficult to apply empirically to the very con-texts multicultural theorists are mainly concerned with. The at-tempt to find substantive principles for the adjudication of ethnic claims that might be independent from prac-tical politics, in-clu-ding empirical power relations, is ultimately unsuccessful.

Renéo Lukic et Jean-François Morel

In contrast to most of Eastern and Central European countries that underwent their post-communist transition peacefully, Croatia had to undergo its transition during wartime. The outbreak of the Serbo-Croatian war in Spring 1991 forced Croatia to build rapidly an army to protect its territory. However, at this time, Croatia was an emerging democracy and after the European Community recognised its independence on January 15, 1992, the parliamentary institutions were unable to exert their authority over the Croatian army (Hrvatska vojska, HV). The Croatian President, Franjo Tudjman, and the political party he presided, the HDZ, dominated the HV by way of political penetration. Tudjman, who led Croatia to independence, benefited from a triple legitimacy (political, constitutional and charismatic) that allowed him to exert his power over the HV, much the same as the legitimacy Josip Broz-Tito enjoyed over the Yugoslav National Army in Communist Yugoslavia. The result is that the civil-military regime in Croatia after 1990 suffered from a democratic deficit. After the death of President Franjo Tudjman in December 1999 and the change of majority in the January-February 2000 elections, the new Croatian leadership, particularly President Stjepan Mesic, tried to establish democratic control over the armed forces. However, this aim clashed with the opposition of the Ministry of Defense and of numerous officers still committed to the HDZ. For these reasons, a democratic civil-military regime in Croatia is not yet a reality. However, Croatia has made some progress toward the establishment of a democratic civil-military regime. By trying to join some international organizations (NATO), or by being compelled to cooperate with others (International Criminal Tribunal for the former Yugoslavia, ICTY), Croatia is now in the process of interiorizing the norms concerning the civilian and democratic control of the armed forces upon which these organizations are based. Being a member of the Partnership for Peace (PfP), and wishing to join as soon as possible NATO's Membership Action Plan (MAP), Croatia is obliged to move in this direction.

Simon Bulmer

This paper aims to review the "state of the art" for examining EU-member state relations. It recognises first of all that EU-member state relationships are interactive. Member states are key actors in making EU policy, and their role in this process is central to policy-making studies. However, European integration has an important impact upon the member states: the phenomenon that has come to be termed Europeanization. We review the literatures concerned with these two directions of flow: the analytical issues raised and the theoretical perspectives deployed. We then turn to the empirical literature on EU-member state relationships, and how it operationalises the theoretical literatures (if at all). This empirical literature tends to be organised in two ways: individual or comparative studies of member states' relationships with the EU; or studies of the impact of the EU on types of political actor/institution or on policy areas/sectors. We review both these literatures. On the basis of the identified strengths and weaknesses in the different literatures examined, we suggest a research agenda for future theoretical and empirical work.

This text aims to examine a particularly difficult phenomenon to study — slaughter —, although it is at the center of many wars today and yesterday. Slaughter is defined as a generally collective form of action that aims to destroy non-combatants, usually civilians. Slaughter is viewed as an extremely violent, both rational and irrational practice growing out of an imaginary construct pertaining to someone to be destroyed, whom the torturer perceives as a complete enemy.
The aspiration of this text is to show the relevance of exploring slaughter from a comparative standpoint. It will go beyond the mere case study, or rather it will put the best of these studies (on ex-Yugoslavia, Rwanda, etc.) into perspective.
To better understand the process by which the slaughter is put into action, two main directions guide the analysis:
- historic depth: it is in fact difficult to attempt to understand the slaughters that took place in 1990 without taking into account occurrences in the 20th century, including those termed "genocides."
- transdisciplinary overture: slaughter as a phenomenon is so complex in itself that it requires the eye of the sociologist, anthropologist and psychologist, as can be seen in the following pages.

Javier Santiso

Ethically correct policies sometimes, even often, skeptics will say, simply reflect a good grasp of where one's interests lie. The creation of an ethical fund or involvement in a micro-finance program may only be a way of pandering to the times or improving one's self-esteem in a convoluted fashion. However, these tributes to virtue nevertheless raise a number of contemporary questions and issues. The sums invested in ethical funds are far from merely symbolic. In the United States, one out of every ten dollars is invested in "ethical" financial instruments. In Europe, they are developing quickly. As for micro-loan experiments, from Bangladesh to Bolivia, the profitable results they have yielded to all parties are proof that they warrant taking an interest in them. As the present research emphasizes, the use of ethical funds and micro-loans, although it may not bridge the gap between past and future, nevertheless shows promise for the years to come: it provides a temporal horizon that the commonly-called international civil society takes part in shaping

Jean-Luc Domenach, Xiaohong Xiao-Planes

Documentary sources on the "first people's republic of china," running from the foundation of the new regime in 1949 to the death of Mao Zedong in 1976, have increased for the last three decades without receiving particular attention. It is as if, in the eyes of a majority, Chinese history had no existence or remained totally jeopardized by the controls it is subject to. This study aims to measure the importance and value of these new sources, in the most lucid and balanced way possible. To reach this, we must first remind very briefly the sources that served as basis for studies on Chinese political history (mostly from American universities), which have emerged since the fifties.

Amandine Regamey

The legend of women snipers who allegedly fought against Russian forces in Chechnya was first fueled by war stories among Russian troops before Russian authorities officially embraced and promoted the narrative. It was eventually disseminated in society through movies and literature. This legend offers insights into the war narratives of Russian troops about the war in Chechnya and its portrayal in Russian society more generally. It consists of different intertwined layers that vary in importance and significance, all of which contribute to its success. Drawing on the figure of the « Wight Tight », mythic women mercenaries from the Baltic States, the legend portrays Russia as a victim of an aggression thus legitimizing the war in Chechnya. Additionally, the legend recounts the experience of Russian soldiers, therefore providing grounds for Russian political and military leaders to stigmatise women and justify the violence committed against civilians. Finally, it allows men serving in Chechnya to construct a male identity based on the war experience, which is able to oppose the imaginary threats of these female enemies. The text addresses also the way war legend can help understand armed conflict, and the way scattered sources and questionable testimonies can be turned into an object of research.

Sabine Saurugger

This article presents conceptual tools to analyse interest representation in the European Union. On the European level, no formal system of representation can be found, but rather a patchwork of representation modes. These modes are influenced by forms of political exchange specific for each country and each political domain, which interact with opportunity structures at the European level. Analysing interest representation in a system of governance, either national, European or international requires taking into account the relations which link interest groups with political and bureaucratic actors at the national level, acknowledging the changes in these relations and to insert all that in a system of governance where actors must find solutions to problems in the management of public policies and not to forget political power games and hierarchies amongst actors. The first part of the article analyses briefly the development of interest group studies in comparative politics as well as in international relations and presents the attempts to systematize these studies undertaken since the 1990. In the second part, I analyse more specifically the network approach, which allows to overcome the cleavage between pluralism and neocorporatism in the study of the relationships between interest groups and state actors. In presenting a critical analysis of the general ideas of the network approach, I propose specific conceptual instruments helping to structure research on interest groups in the European Union.

Denis-Constant Martin

Carnivals are a type of rite of renewal where mask and laughter spur the invention of highly symbolic modes of expression. They offer opportunities for the study of social representations and, since they are both recurring and changing, they constitute a ground where not only social change can be assessed, but where the meanings of social change can be best understood. The first part of this paper reviews and discusses theories of carnival, in particular those related to its relationship to power and social hierarchies. The second part proposes a few methodological suggestions for the study of carnival from a political perspective, emphasizing semiotic analysis and surveys using non-directive methods.

The inclusion of Hindu nationalist parties in India's democratic process has not resulted in their moderation in a linear way. Since 1947, the parties have oscillated between a sectarian strategy of religious mobilization and a more moderate one respecting the secular norms of the Constitution. Whether the Hindu nationalist parties opted for the path of radicalization or that of moderation has chiefly depended on their relation with their mother organization, the RSS, the perception of the Muslims that prevails at a given time in India, of the attitude of the other parties regarding secularism and - in correlation with the variables mentioned above - of the most effective electoral tactic.

Laurent Gayer

Cyberspace, of which the Internet is a major but not the exclusive component, is more than an informational or an economic network : it is also a political space, which deserves to be analysed as such, through the collective mobilisations, the imaginary and the surveillance practices that it conveys. Rather than looking at the internet’s world politics, this paper focuses on transnational political solidarities that are now emerging on and through the Internet. This differentiation suggests that the Internet is both the vector of social struggles focused on the “real” world, and the cradle of new identifications and new modes of protest that remain and will remain primarily virtual. Activists operating through transnational “advocacy networks” may use the Internet to receive or spread information, but their use of the Information Technologies (IT) remains purely instrumental and does not imply any paradigmatic shift in the tactical uses of the media by protest groups. “Hacktivism” and “cybernationalism” appear far more promising, as far as the invention of new repertoires of collective action is concerned. “Hacktivism”, which refers to the use of hacking techniques for political ends, emerged during the 1990s, at the crossroads between activism, play and art. The emergence of “hacktivism” was made possible by the meeting of two social actors that epitomize our late modernity : new social movements and the “digital underground”. “Cybernationalism”, for its part, was given shape in the last decade by ethnic entrepreneurs who rely on the IT to challenge the political authorities of their home states and to materialise, through words and images, the communities they are (re)inventing beyond borders.

Anastassios Anastassiadis

This article addresses the sensitive question of Church-State relations in Greece. Recent studies have suggested that the Greek Church’s discourse was plainly incompatible with modern conceptions of liberal democracy. Populism and nationalism have been the two theoretical concepts used in relation with the Church. Discourse analysis based on public declarations of Church officials has been the main methodological tool. The Greek identity cards’ crisis of the nineties has been its testing ground. Through an analysis of this “crisis” this article intends to show that these methods can offer only very limited perspectives of understanding the process for two main reasons. First, they show little interest for sociological analysis and especially for the internal functioning of the Church. Second, discourses are one outcome of the actors’ strategies but have to be deciphered and not taken for granted. Analysts disregard one of the main presuppositions of semantics theory: discourses are produced within a specific socio-historical context and according to certain prefabricated schemes. This dual pattern of production allows for continuity as well as for change. Thus, this article also argues that a Church¹s conservative discourse may be closely related to the efforts of certain actors within this institution to renovate it. While refuting the “clash of civilizations” thesis, this article finally intends to suggest that the renewed interest for religion in general and orthodoxy in particular due to this thesis should be put to use by researchers in order to acquire new and more comprehensive socio-historical accounts of the Greek Church.

Guillaume Colin

As the European Union has become ever more powerful in terms of political output, it has also turned out to be a potential source of human rights violations. While national governments have disagreed on setting up consequential control mechanisms for several decades, the European Court of Justice and the European Court of Human Rights pre-empted intergovernmental choice. The European courts’ paths unexpectedly crossed when they were both impelled to work out a way to deal with a twofold human rights conundrum situated at the EU level. Turbulent interaction between Europe’s two supranational courts has not only led to a relative improvement of the protection of human rights, but has also deeply transformed the course of European integration. The courts’ increasingly nested linkage has given rise to new forms of supranational judicial diplomacy between European judges. As a result of their evolving relationship, which is simultaneously underpinned by competitive and cooperative logics, the traditional opposition between an “economic Europe” and a “human rights Europe” has been overcome and the EU’s accession to the European Convention on Human Rights is high on the political agenda. Yet, this process of integration through human rights remains a fragile and incomplete endeavour. Just as in co-operative binary puzzles where two players must solve the game together and where both lose as one of them tries to win over the other, solving Europe’s binary human rights puzzle has required of European judges a new way of thinking in which it’s not the institutions, but their linkage that matters.

Anthony Amicelle

The present paper examines current dynamics of surveillance regarding the fight against “terrorism” and its financing. Close analysis of the so-called “SWIFT Affair” and the US terrorist finance tracking program draw attention to one specific case-study which allows us to question the contemporary politics of massively accessing commercial data-banks for intelligence purposes. With reference to the SWIFT affair, the paper explores a sensitive aspect of transatlantic cooperation in the field of counter-terrorism

Rahaël Pouyé

Kosovo and East Timor have often been jointly considered for their common experience of new ‘international protectorate’. These two territories were ‘liberated’ in 1999 by multilateral ‘interventions’ and thereafter ruled by United Nations transitional administrations. This feature is at the core of nearly all comparative exercises about the two territories to this day. However, another less obvious set of resemblances calls for renewed attention: it was indicated by the post-liberation resilience of indigenous institutions that had emerged during the 20 to 25 years of resistance. From this initial observation, I spent months in the field between 2000 and 2003 and uncovered a wider array of similarities. Three main parallels appeared. In both, the clandestine resistance networks, described here as ‘crypto-states’ have 1) directed their strategic choices on the resort to violence according to perceived international opinion, 2) while remaining a hybrid association of anti-state kinship groups and ‘modern’ urban elites, 3) with the result of producing a dual discourse on nationhood: exclusive and militant on the one hand, inclusive and ‘liberal’ on the other. After empirically discovering what may well be a singular political object, a necessary step was to assess its relevance to social science research. This required testing its set of similar features against established political theory on state and nation building: First by assessing the very ‘stateness’ of these clandestine administrations, then by exploring their rich and often contradictory production on national identity. In conclusion, this preliminary exploration suggests that the parallel trajectories of Kosovo and East Timor during the past 25 years point to a new way of nation-state building in a context of external constraint, directed by the changing post-cold war norms on international intervention. I argue here that this type of ‘externalized’ state construction and nation building is perhaps ill-fitted for the post-conflict construction of stable institutions.

Laurent Scheeck

As the European Union has become ever more powerful in terms of political output, it has also turned out to be a potential source of human rights violations. While national governments have disagreed on setting up consequential control mechanisms for several decades, the European Court of Justice and the European Court of Human Rights pre-empted intergovernmental choice. The European courts’ paths unexpectedly crossed when they were both impelled to work out a way to deal with a twofold human rights conundrum situated at the EU level. Turbulent interaction between Europe’s two supranational courts has not only led to a relative improvement of the protection of human rights, but has also deeply transformed the course of European integration. The courts’ increasingly nested linkage has given rise to new forms of supranational judicial diplomacy between European judges. As a result of their evolving relationship, which is simultaneously underpinned by competitive and cooperative logics, the traditional opposition between an “economic Europe” and a “human rights Europe” has been overcome and the EU’s accession to the European Convention on Human Rights is high on the political agenda. Yet, this process of integration through human rights remains a fragile and incomplete endeavour. Just as in co-operative binary puzzles where two players must solve the game together and where both lose as one of them tries to win over the other, solving Europe’s binary human rights puzzle has required of European judges a new way of thinking in which it’s not the institutions, but their linkage that matters.

Amélie Blom

"He who has the stick, has the buffalo". This Punjabi proverb applies well to Pakistan's armed forces, a majority of which, in fact, hail from this province. They have gradually formed an economic interest group with many industrial and commercial activities that have become an integral part of Pakistan’s everyday life. Oddly enough, this patent fact has been neglected by the academic research on Pakistan or, at best, has only been addressed in a descriptive manner. The present study attempts to explain the transformation of Pakistan's armed forces into a significant economic actor by reinterpreting Charles Tilly's thesis about the dependent militarization of Third World states. It emphasizes the crucial role played by local capital, especially land. It also stresses how endogenous historical factors (the colonial legacy) and political factors (the delicate civil-military balance of power) have helped the army to consolidate itself institutionally. Yet, since the 1980s, the expansion of military economic corporatism has provoked increased tensions between the army and its civilian partners, primarily the bureaucracy, which is the main loser in this unfair competition for state property. It also produces social resistance: unprecedented civil disobedience movements have appeared, and old grievances emanating from ethnic groups under-represented within the army have been reawakened. The phenomenon also creates friction within the armed forces themselves. Nevertheless, these tensions do not seriously undermine a corporatist rationale that is far too effective and functional to disappear. Paradoxically, the military's "privatisation" contributes to its internal cohesion. Indeed, military patrimonialism in Pakistan can usefully be analysed as one of the many processes that has helped the armed forces maintain a strong "esprit de corps" and which has given rise to what can be termed "military syndicalism".

Myriam Désert

What are the roots of the informal sector and what effects does it have? Is it a blessing or a curse? Changes in post-Soviet Russia contribute new food for thought to a debate that had previously been nourished primarily by considerations on the situation in developing countries. In Russia can be observed processes of formalization - and “deformalization” – of the rules governing not only the practices of economic actors, but also in the rarified distribution of public services publics. The analysis of actual informal practices feeds thinking about the relations between economic and political changes: what impact do they have in setting up a market economy and the rule of law, and in the reconfiguration of both the economic and social arena? An investigation into the way Russian academic circles and social actors view the informal sector sheds light on the various behavioral determinant: reaction to the economic context, cultural roots, social beliefs, and so on. The case of Russia illustrates how the informal sector is not only a mode of action that circumvents legal guidelines, but also a mode of sociability that rejects anonymous social relations. It helps examine ways to reinject the social aspect into economics

The idea that the colonial past keeps surfacing in contemporary political situations has been turned by some post(-)colonial theoreticians and militant writers into an irrefutable statement of fact. Yet this analytical stance is supported by little empirically grounded research. A host of creative new literature about modern age “colonial situations” indeed help us reach a better, more nuanced understanding of what colonial domination was all about. But they often fail to capture the vernacular, non-European historicity of the “colonial encounter”. In the case of Southeast Asia, local political societies were engaged in state-formation processes long before the arrival of the Europeans: In Insulindia and in Indochina, there actually existed local imperial societies, into which the European colonial order of things became embedded. Viewed from this perspective, the “colonial situation” was a moment in long-term Euro-Asiatic imperial histories that mixed together numerous and sometimes contradictory understandings of imperial power and prowess. Talking about imperial hegemonies hence might help us escape modernist analytical dead-ends.

Rehana Ebrahim-Vally, Denis-Constant Martin

Apartheid was based on particular perceptions and hierarchical classifications of the human body. It aimed at separating people with different physical appearances in order to preserve the purity of the “white race” and its domination in South Africa. To understand the changes that have taken place in South Africa since 1990, to go beyond the surface of observable events and reach the social representations of these transformations that have developed among South Africans, the body, or more precisely images of the body, provide a good point of departure. The present study presents an experimental small scale survey aiming at uncovering social representations of the “new” South Africa shared by young South Africans at the dawn of the 21st Century. It argues that studies of social representations require, at least in their initial stage, the use of non-directive collective interviews; it shows that images of the body as displayed in TV commercials can be used as efficient prompts to start discussions about the present state of South African society. The survey used four commercials taped on South African TV in 2003; these clips were used as prompts in three non-directive collective interviews with young South Africans, to which was added a test group consisting of French students. TV commercials were analysed using methods inspired by the semiology of cinema; the transcripts of the interviews were analysed using methods borrowed from the French school of political sociology. The results of this experimental survey show that, if the transition from apartheid to a democratic non racial society is considered positive, it is perceived with ambivalences and sometimes contradictory feelings: the future of South Africa may at the same time be envisioned with great optimism and heavy anxieties; relations between South Africans can be described as harmonious and be lived amidst acute tensions. Ambivalences and tensions, which remain very often untold, are precisely the dimensions of the representations of the “new” South Africa among young South Africans that non-directive collective interviews help to apprehend more clearly.

Dag Erik Berg

This paper examines how the World Conference against Racism in Durban 2001 intensified an old debate in India about caste and race. The controversy arose after the ‘National Campaign on Dalit Human Rights’ wanted to present caste discrimination in Durban as equivalent to racial discrimination. The Indian government protested, and distinguished sociologists entered the fray by claiming that race is a western concept which cannot be compared to caste, strengthening the official position. Conceptual logic became central to the debate. First, the position represents conventional knowledge, which reflects the anti-colonial attempt to define race as being irrelevant to India. But, secondly, the scholarly discourse acted to exclude oppression from the debate in clear contrast to the Durban agenda on racism and intolerance. The debate showed, broadly, how Durban represented a transformative potential by connecting global racism discourse to the moral status of an embedded postcolonial state. Further, the paper argues that the dominating conceptual focus reflects a paradigmatic individualism, which informs the scholarly approach to modern caste formations. While individualist approaches exclude Dalit rhetoric as subjective, they do not sufficiently acknowledge that the exclusionary logics inflicted on Dalits in modern bureaucratic institutions is a racial dynamic. To shed light on the Durban controversy, the paper outlines the larger background to caste in India and provides examples of Dalit discourse. It also presents the formation of the human rights network and controversial issues regarding the way they define themselves as NGOs, Dalits and Christians. These attributed properties were fundamental for the debate(s). Durban cannot be seen as an episode with tangible empirical impact. Rather, the debate was an intense moment in an ongoing historical argument about hierarchical practices and equality in India as well as about its moral status in the global community. In December 2006, however, at an international conference in New Delhi, the Prime Minister of India compared the Dalit situation to apartheid.

At a time when the use of sanctions has intensified considerably, criticism directed at embargos is gaining ground. In interpreting this significant rise in opposition, this article shows how and why mobilization against sanctions has developed, what sort of actors are involved and what forms it takes. This research brings to light the formation of networks and coalitions against both unilateral and multilateral measures. It underlines the role, status and scope of those whose business it is to fashion norms, by questioning the main analytical categories their strategies are usually based on. An expertise in embargo assessment, destined to levy judgment on a type of very specific violence, is developing in both national and transnational public spaces. This research, analyzing the emergence of this expertise, sheds light on the development of a conception of unjust sanctions and identifies the mechanisms of its construction on an international scale. This text in particular underlines the importance of traditions of just war, especially their reinterpretation by actors on the international scene and its moral norm- makers. Considering the development of these standards allows us to grasp one of the most decisive aspects of the use of force in the post-cold war world, as well as the establishment of certain international reforms.

Julien Meimon

In the turbulent international context of the late 1950s, the French 5th Republic and its leaders orchestrated the end of the colonial system, i.e. all of its emblematic institutions: the French “Overseas” ministry and minister, the administrative corps of colonial functionaries and standard recruitment path (the École nationale de la France d’outre-mer) disappeared, setting the stage for a new, fairly complex system labeled “Coopération.” The ministry of the same name was to play a major role up until the end of the 20th century. This new system, which came about as a result of the breakup of the colonial empire, is closely related to the issue of development aid and relies essentially on civil servants having received their training in the colonial institutions and seeking for redeployment. This study analyzes the paradox of a “new policy” embodied by officials infused with a colonial culture, focusing on their reconversion in terms of deeds and discourse. This will point up one of the initial weaknesses of France’s African policy and one of the reasons that it has slowly crumbled.

Ingrid Therwath

« Long-distance nationalism », an expression coined by Benedict Anderson, is often used in reference to transnational political activities. But the dynamics of this expatriate nationalism tend to be neglected. Mere nostalgia or even spontaneous mobilisations are evoked to explain this phenomenon. They, however, fail to explain the mechanism that lies behind « long-distance nationalism ». This paper wishes to highlight, through the example of the Hindu nationalist movements, the implication of political entrepreneurs in the country of origin and the instrumental dimension of « long-distance nationalism ». The Sangh Parivar, a network of nationalist Hindu organisations, was indeed replicated among the Hindu diaspora and its structure was litterally exported by a centralised body located in India itself. Of course, the spread of the Sangh Parivar and of its Hindutva ideology abroad was greatly facilitated by local policies like multiculturalism and by the rise of racism in the countries of emigration. A comparison of Hindu nationalist outlets in the United Kingdom, the United States of America and Canada brings to light the two main factors in instilling « long-distance nationalism » : a favorable local context for ethnic mobilisation among migrants on the one hand, and a centralised organisation in the country of origin on the other hand. Eventually, the engineering of long-distance Hindu nationalism from India questions the changing nature of nationalism in a globalised world.

Renaud Egreteau

The rise of both India and China at the dawn of the 21st century has been one of the main strategic stakes on which many international academic and political studies have been focusing since the end of the Cold War. With an almost two-digit growth, a booming trade, an ever increasing military budget, the possession of a credible nuclear force and asserted diplomatic ambitions on regional and international arenas, the simultaneous emergence of India and China have fascinated, but also raised many interrogations throughout the world. Will this emergence and the global Sino-Indian bilateral relationship be peaceful? Are the two Asian giants entrenched in a global and enduring rivalry? After a brief overview of the concrete rise of the two Asian neighbours on the international scene, this paper will analyse this phenomenon in the light of an original theoretical corpus, the “Rivalry” literature. Marginal in Europe, but well studied in the United States since the nineties, the “Rivalry” conceptual framework will enable us to see whether the bilateral relationship established by India and China might be theoretically qualified as a “rivalry” or if the expression has been too hackneyed. 1

Jean-François Bayart

The concept of "Thermidorian situation" finds itself in the tradition of the "authoritarian situation" (Guy Hermet) and "colonial situation" (Georges Balandier). It accounts for historical experiences of postrevolutionary regimes and their economic liberalization in the context of neo-liberal globalization. Developed from the Cambodian case, the Thermidorian comparative paradigm helps to interpret the economical and political liberalization processes in post-communist states and the establishment of their revolutionary elite into a dominating class. This interpretation does not refer to the normative and teleological terms of "transitology". Nevertheless, understanding the Thermidorian moment implies that it should not be reduced to a mere preservation of power, as an utilitarian reading of the events would imply. Indeed, it has to deal with autonomous social dynamics. Other types of post-revolutionary trajectories that are non-socialist, such as the Islamic Republic of Iran, can serve as good examples of this phenomenon. The Thermidorian paradigm takes into account a plurality of relatively homogeneous trajectories that combine into a revolutionary event, a process of institutionalization and professionalization of the latter, and of a dynamic of integration into the capitalist world economy. This concept cannot stand for an explanation, but emphasizes the specificity of the regimes that stem from a revolution and that are confronted to their own reproduction within the context of the dismantling of the socialist camp and neoliberal globalization. "Thermidorisms" have their own historicity, notably the revolution they arose from. They also have their own political economy that cannot be reduced to the imposition of the neo-liberal model. Thermidorian moments are historical experiences subjected to contingency vagaries and social struggles. As such, they are "situations" (Jean-Paul Sartre) in which the reproduction of power and liberty of actors are simultaneously at stake.

The field of colonial studies has gone through tremendous theoretical upheavals in the past three decades. Yet something is still too often missing in the study of 17th, 18th and 19th century situations of colonial or imperial “encounter”, namely this vernacular domain of thought and actions that was kept out of reach of the colonizer’s power and knowledge tools, and that was not geared toward the (whether coerced or not) commercial, political or military interaction with the Europeans. Nevertheless, it is only by focusing on this vernacular (rather than “native” or “indigenous”) hors-champ of the colonial situation that one can achieve a better understanding of the multi-layered historicity of extraeuropean societies. This perspective indeed allows us to make sense of the “colonial moment” of these societies with regards not only to their encounter with Europe, but also to their own long-term ideological and political trajectories (trajectories that began long before the arrival of the Europeans and that never can be wholly equated with the effects and consequences of the latter). This research agenda moreover helps us to get back to a more nuanced and historically accurate view of the initial precariousness and “leopard-skin” style dissemination of European colonial power. Lastly, it enables us to get beyond the now dominant paradigm of the “indigenous appropriation of colonial/European modernity” and its old-fashioned utilitarian language of “native agency” by investigating the local, vernacular visions of the self and of history that were put to use in the tactical engagement with, or avoidance of, colonial rule.

Thierry Delpeuch

Several prolific research fields dedicate themselves to the analysis of the contemporary phenomena of circulation, transfer and convergence of public policies. These clusters of studies have in common to explore the impact of external influences and foreign sources of inspiration or imitation on policy making process. Two major research orientations can be distinguished among these studies. The first one develops a perspective in the close proximity of the new sociological institutionalism. It scrutinizes the causal grounds and the social impacts of the expansion of policy transfers, by putting the stress on the influence of cultural and institutional factors. The second one, which is related to the sociology of social action, primarily examines the implementation of concrete policy transplant operations from one social context to another, by meticulously investigating the social characteristics of transfer agents and analyzing their interactions. Our argument is that the various approaches covered here – which are sociology of diffusion, new sociological institutionalism, europeanization studies, lesson-drawing and policy learning literature, structural sociology, and, of course, the research stream which identifies itself as policy transfer studies - are today on the way to overcome their divergences and to consolidate a common framework of sociological knowledge about policy transfers, grounded in both holistic and individualistic sociological traditions.

Laurent Gayer

Between 1984 and 1995, the Indian Punjab was the theatre for a separatist insurrectional movement led by Sikh irregular armed groups. Most Sikh militants who picked up the gun against the Indian state were male, but a handful of women also took part in this armed struggle, which also enjoyed some support from Pakistan. Rather than the motivations of the fighters, it is their individual trajectories that are explored here. Following a critical biographical approach, paying attention to the silences of the actors and to the distorting effects of their ex-post testimonies, this paper aims at unraveling the familial genealogies of these militant careers, before identifying their successive sequences. Through this exercise, it is possible to shed light on individual dispositions towards engagement. However, this preliminary exercise must be followed up by an in-depth study of the conditions of actualization of these dispositions into a sustained form of commitment. Therefore, this paper focuses on the modalities of recruitment into clandestine organizations, before turning to the practical and psychological dilemmas induced by the return of these combatants to civilian life, which remain understudied. By introducing gender into the scope of the study, this paper also aims at assessing the variations between masculine and feminine ways of being and having been in clandestinity.

Emmanuel Viret

Dealing with the dynamics of rural violence under the multi-party transition (1991-1994), this paper suggests new points of view on the mobilization of Rwandan peasantry during the genocide (1994). Going through local archives and interviews held in the hills and in four prisons of the country, the analysis focuses on the increasing development of an economy of violence. The multi-party system incited competing rural elites to recruit a growing number of men and ruffians against other contenders in order to assure their access to power. Local elites (re)formed patron-client links previously dried by the spreading of money and wage incomes in the countryside. Particular attention is paid to the dimension of political entrepreneurship and to the relationship between social brokers and rural elites, in the course of the struggle between political parties as well as during the building of the Power coalitions which led the massacres locally.

Olivier Nay

This paper focuses on the causal factors, implementati on, and side eff ects of administrati ve reforms launched within the United Nati ons system, in the fi eld of HIV and AIDS. It is based on an empirical analysis of the UNAIDS Programme, an interorganizati onal system bringing together ten UN agencies to combat the worldwide epidemic, with the support of a Secretariat. Firstly, the paper argues that the administrati ve reform of UNAIDS was unlikely to have come from the UN organizati ons themselves, although the Programme was expected to lead these organizati ons to bett er coordinate and harmonize their AIDS strategies. Secondly, it identi fi es three external factors that have led UN organizati ons to reform their governance mechanisms and procedures. Thirdly, it explores the conditi ons under which the reform of UNAIDS has been implemented since 2005, with parti cular att enti on to the Secretariat that has become involved as an acti ve “reform entrepreneur.” Finally, it identi fi es some of the unexpected eff ects of the reform, with a parti cular emphasis on competi ti on between UN agencies, organizati onal complexity, and bureaucrati zati on. The concluding remarks argue that when analyzing administrati ve reforms within internati onal organizati ons, one should investi gate the interrelati ons between the external pressures that drive reforms and the acti vity of reform entrepreneurs.

Françoise Daucé, Myriam Désert, Marlène Laruelle, Anne Le Huérou

Since the second half of the 1990s, the theme of national revival crystallized in Russia, notably in the form of a promotion of patriotism. The apparent convergence between an offer “from above” and a demand “from below” supports the idea that there exists a kind of patriotic consensus in Russia. This new tense and autarchic fusion between state and society summons old stereotypes about Russo- Soviet culture. This issue of Questions of Research seeks to go back over these stereotypes in order to show the diversity of “patriotic” practices in Russia today (which widely surpass the “militarist” variant generally evoked) and the connected social uses that are made of it. Following an overview of the existing literature on Russian nationalism and patriotism, as well as a presentation of the patriotic education curricula being implemented by the Russian state, our study on “patriotic” practices continues through several points of observation (patrioti c summer clubs and camps for children and adolescents in Saint- Petersburg, Moscow and Omsk; ethno-cultural organizati ons; Orthodox religious organizations; and the discursive practices of economic actors). The examination of these different terrains reveals the diversity of everyday “patriotic” activities; and illustrates their utilization to multiple ends (pragmatic concern for one’s professional career, search for a personal source of inspirati on, opportunities for enrichment, pleasure of undertaking activiti es with one’s friend and relations…). In the end, these fieldwork surveys reveal motivations and commitments in which official patriotic discourse and the image of state are often secondary, sometimes even denied.

From a broad perspective, political economy analyses economic and political exchanges proper to some social groups, embedded in particular historical periods. The great innovation of Max Weber’s analysis is to highlight the intersubjective orientations that support these exchanges and characterize a particular period of history. This study firstly compares different features between free market economy and the soviet-type economy. Secondly, it measures their difference in accordance to the “ideal type” of “market”, bureaucracy” and “forms of domination”. Finally, it insists on the particular “hybrid” figures of “charisma” and “patrimonial bureaucracy”.

Olivier Nay

This paper focuses on the circulation of policy ideas within the United Nations (UN) system. Based upon a study of UNAIDS, the Joint UN Programme on HIV/AIDS, it shows how international bureaucracies can capitalize on policy-oriented information and knowledge to strengthen their autonomy and consolidate their authority within their own environment. Using a policy transfer approach as its analytical framework, the paper draws particular attention to the UNAIDS Secretariat, considered as a “transfer entrepreneur.” It argues that in the 2000s, the Secretariat has demonstrated a capacity to collect, develop and disseminate policy ideas on the epidemic and, consequently, has gradually participated in UN policy development. It thus suggests that the Secretariat has extended its authority within the UN system despite a restricted mandate and low resources. In conclusion, the paper points out the need to examine policy transfer among international organizations through actors, interests, and strategies, as a complement to holistic approaches.

Marc-Antoine Pérouse de Montclos

Au Nigeria, la dérive terroriste du mouvement islamiste Boko Haram interroge le rapport de la violence dite « religieuse » à l'État. Cette étude de terrain pose ainsi trois questions fondamentales qui tournent toutes autour de nos propres confusions sur les notions d'islamisation, de conversion, de radicalisation et de politisation du religieux, à savoir :
– S'agit-il d'une insurrection plus religieuse que politique ?
– En quoi exprime-t-elle une révolte sociale ?
– En quoi signale-t-elle une radicalisation des formes de protestation des musulmans du Nord Nigeria ?
À l'analyse, il s'avère en l'occurrence que le mouvement Boko Haram est un révélateur du politique : non parce qu'il est porteur d'un projet de société islamique, mais parce qu'il catalyse les angoisses d'une nation inachevée et dévoile les intrigues d'un pouvoir mal légitimé. Si l'on veut bien admettre que la radicalisation de l'Islam ne se limite pas à des attentats terroristes, il est en revanche difficile de savoir en quoi la secte serait plus extrémiste, plus fanatique et plus mortifère que d'autres révoltes comme le soulèvement Maitatsine à Kano en 1980. La capacité de Boko Haram à développer des ramifications internationales et à interférer dans les affaires gouvernementales n'est pas exceptionnelle en soi. Loin des clichés sur un prétendu choc des civilisations entre le Nord et le Sud, la singularité de la secte au Nigeria s'apprécie d'abord au regard de son recours à des attentats-suicides. Or la dérive terroriste de Boko Haram doit beaucoup à la brutalité de la répression des forces de l'ordre, et pas seulement à des contacts plus ou moins avérés et réguliers avec une mouvance jihadiste internationale.

Après avoir occupé une place modeste au sein des études est-européennes, les travaux consacrés à l’ethnopolitique (ethnopolitics) et aux politiques des minorités en Europe centrale et du sud-est se sont multipliés de manière spectaculaire depuis le début des années 1990. Qu’ils soient nourris par la « transitologie » ou par une abondante littérature consacrée aux « conflits ethniques », ils tendent à envisager, dans une démarche souvent normative, la diversité ethno-culturelle comme un obstacle au processus de démocratisation. Scrutés dans cette perspective, les partis « ethniques » font l’objet d’interprétations duales : si certaines analyses valorisent dans une optique multiculturaliste leurs rôles en tant que vecteurs de participation et d’intégration des groupes minoritaires dans les sociétés politiques, d’autres mettent en avant les effets délétères des processus de partisanisation de l’ethnicité sur la stabilité des Etats et de la démocratie. Informées par des représentations plutôt essentialistes des « groupes », ces lectures des identifications ethniques et de leur jeu en politique mobilisent la notion de « parti ethnique » qui se caractériserait par une extrême altérité, comparé aux organisations dites « généralistes ». A rebours de ces approches, la démarche qui guide la comparaison des trajectoires du Mouvement des droits et libertés en Bulgarie (MDL, défendant les intérêts des Turcs et des autres populations de confession musulmane) et de l’Union démocratique des Magyars de Roumanie (UDMR, organisation représentant les intérêts de la population hongroise) vise à revaloriser une sociologie de l’action collective qui n’occulte pas les historicités des sociétés particulières et restitue les imaginaires sociaux comme les stratégies des acteurs. Ce, afin de montrer les conditions dans lesquelles l’ethnicité devient un vecteur de mobilisation sociale, un instrument de production de loyautés et une ressource de légitimation. Les identités ne sont pas exogènes aux processus de politisation ; elles sont redéfinies, renégociées, réappropriées (notamment) à la faveur du passage au politique. Les « partis ethniques » appellent quant à eux un travail de désexotisation, car ils n’échappent pas aux dilemmes de la représentation politique (en particulier, l’enjeu de la réponse/responsabilité, responsiveness) auxquels sont confrontées les autres formations.

Christian Olsson

Dans cette étude, nous essayons d'appliquer la méthodologie généalogique à l'analyse du discours militaire français, britannique et américain sur la « pacification de populations » de la fin du xixe siècle jusqu'à nos jours. L'objectif est en effet de mettre en évidence et de problématiser les continuités coloniales que le leitmotiv « des coeurs et des esprits » y permet d'observer. Nous portons en particulier l'attention sur les grands « moments » qui nous paraissent avoir marqué les usages sociaux et les significations de l'énoncé : d'abord le « moment » de la conquête coloniale ; ensuite le « moment » des guerres de décolonisation ; enfin celui des interventions occidentales dans les États postcoloniaux. Tout en montrant qu'il y a un phénomène de rémanence coloniale dans les pratiques militaires, la conclusion à laquelle nous arrivons est que les significations attribuées à ce leitmotiv sont extrêmement évolutives dans le temps et toujours sujettes à des interprétations contradictoires. La généalogie de l'énoncé permet alors de montrer quelles en ont été les discontinuités et en particulier comment la « rupture postcoloniale » est venue en subvertir la signification.

Ivan Manokha, Mona Chalabi

La dernière crise financière a mis l'État et le système international à rude épreuve. Dans ce contexte, on aurait pu s'attendre à une explosion de la littérature de la discipline qui revendique un monopole intellectuel sur le domaine international : les Relations internationales (RI). Or, comme le constate cette recherche, très peu d'universitaires spécialistes des RI ont tenté d'analyser la crise. Le présent article cherche donc à expliquer ce manque d'engagement ainsi que les apories du petit nombre d'?uvres qui ont essayé de traiter de la crise en mettant en évidence les limites de l'orthodoxie de la discipline. L'article affirme donc que la discipline des RI s'intéresse principalement à l'analyse des interactions politiques entre États souverains, leur comportement les uns vis-à-vis des autres au sein d'un système anarchique où chacune de ces entités territoriales poursuit ses intérêts nationaux, souvent vaguement définis en termes de pouvoir ou de ressources. En faisant ainsi prévaloir le politique sur l'économique, l'extérieur sur l'intérieur, les acteurs étatiques sur les acteurs non étatiques ainsi que l'étude du conflit sur l'analyse d'autres types d'interactions, la discipline des RI est structurellement, en soi, incapable de traiter ni de rendre intelligible la dernière crise financière et ses conséquences. L'article esquisse une autre approche qui cherche à surmonter les dichotomies qui caractérisent l'orthodoxie et à offrir une explication plus holistique de la crise.

Jean-Luc Domenach, Xiaohong Xiao-Planes

Depuis trois décennies, les sources documentaires sur la « première Chine populaire », qui va de la fondation du nouveau régime en 1949 à la mort de Mao Zedong en 1976, se sont multipliées sans susciter d'attention particulière. Tout se passe comme si, aux yeux d'une majorité, l'histoire chinoise récente n'existait pas ou demeurait totalement compromise par les contrôles dont elle fait l'objet. Cette étude vise à mesurer, de façon aussi lucide et pondérée que possible, l'importance et l'intérêt de ces nouvelles sources. Pour cela, il faut d'abord rappeler très brièvement sur quelles sources se sont appuyées les études sur l'histoire politique chinoise − majoritairement issues des universités américaines − qui se sont imposées depuis les années cinquante.

Anthony Amicelle

Ce texte a pour objectif d’examiner les dynamiques de surveillance à l’œuvre dans le domaine de la lutte contre le « terrorisme » et son financement. En proposant une analyse détaillée de l’« affaire SWIFT » et du Terrorist Finance Tracking Program américain, le présent texte met donc en lumière un programme spécifique qui va nous permettre de questionner les velléités contemporaines d’accès aux bases de données commerciales à des fins de renseignement. Cette étude explore ainsi un aspect sensible de la coopération antiterroriste à l’échelle transatlantique.

Amandine Regamey

Ce texte se fixe pour objectif d’analyser une légende de guerre – celle des femmes snipers qui auraient combattu en Tchétchénie contre les forces russes. Née dans les troupes russes, accréditée par le pouvoir politique, diffusée par les films et la fiction littéraire, cette légende offre un accès aux imaginaires de guerre et aux représentations qui prévalent parmi les troupes qui ont combattu en Tchétchénie, mais plus largement dans la société russe. Partant de l’idée que cette légende a des significations multiples, dont la conjonction contribue à son succès, on en développe l’analyse selon trois axes. La légende permet tout d’abord de donner du sens à la guerre en construisant l’image d’une Russie agressée, autour de la figure de la mercenaire balte – les « Collants blancs ». Elle s’incarne ensuite sur le terrain, répondant à l’expérience subjective des soldats en Tchétchénie et permettant aux autorités russes à la fois de désigner un ennemi et de justifier les violences. Enfin, la légende permet aux hommes servant en Tchétchénie de construire leur identité masculine dans et par la guerre, face à la menace imaginaire posée par ces femmes ennemies. En filigrane de cette recherche on trouve une interrogation sur ce que l’étude des légendes de guerre peut apporter à la compréhension d’un conflit et sur la manière dont on peut travailler avec des sources éparses et des témoignages sujets à caution pour construire un objet de recherche.

L'intégration des partis nationalistes hindous dans le processus démocratique ne les a pas amenés à davantage de modération de façon linéaire. Depuis 1947, ces partis ont oscillé entre une stratégie sectaire de mobilisation religieuse et une autre, plus modérée impliquant le respect des normes sécularistes de la Constitution. Le choix de l'une ou l'autre de ces stratégies a dépendu jusqu'à présent de la relation du parti vis-à-vis de l'organisation dont il procède, le RSS, de la perception dominante des Musulmans à un moment donné, de l'attitude des autres partis vis-à-vis du sécularisme et - en liaison avec ces variables - de la meilleure tactique électorale

Olivier Nay

Cet article étudie les conditions de circulation des idées dans le système des Nations Unies, à partir d’une enquête réalisée au sein du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida, plus connu sous le nom d’ONUSIDA. Il montre que les administrations internationales font de la maîtrise des informations et des savoirs liés à l’action publique l’une des sources essentielles de leur autonomie et de leur autorité dans l’espace international. Recourant à un cadre analytique axé sur la sociologie des transferts, l’article porte un intérêt particulier aux activités du Secrétariat d’ONUSIDA, étudié ici comme un « entrepreneur de transfert ». Il défend l’idée que le Secrétariat est parvenu au cours des années 2000, grâce à son implication dans la collecte, la mise en forme et la diffusion de connaissances sur le sida, à influencer de façon croissante le développement de la politique onusienne de lutte contre l’épidémie. Il suggère ainsi que le Secrétariat a élargi son influence à l’intérieur du système des Nations Unies, malgré un mandat restreint et des ressources limitées. Dans la conclusion, l’article souligne la nécessité d’étudier le transfert des idées dans les organisations internationales en accordant une attention soutenue aux acteurs, à leurs intérêts et à leurs stratégies, en contrepoint d’approches macrosociologiques.

Françoise Daucé, Myriam Désert, Marlène Laruelle, Anne Le Huérou

Depuis la chute de l’URSS, la thématique de la renaissance nationale russe a connu divers avatars, a circulé dans différents milieux, avant de se cristalliser, sous la présidence de Vladimir Poutine, dans la valorisation du patriotisme. L’apparente convergence entre une offre « par en haut » et une demande « par en bas » nourrit l’idée qu’il existe un consensus patriotique en Russie, une nouvelle fusion entre l’Etat et la société, crispée et autarcique, qui alimente à son tour les vieux stéréotypes sur la culture russo-soviétique. Ce numéro de Questions de Recherche cherche à dépasser ces stéréotypes pour montrer la diversité des pratiques « patriotiques » en Russie aujourd’hui (qui débordent largement la variante « militariste » généralement évoquée) et les usages sociaux connexes qui en sont fait. Après un panorama de la littérature existante sur le nationalisme et le patriotisme russes ainsi qu’une présentation des programmes d’éducation patriotique mis en oeuvre par l’Etat russe, la réflexion sur le patriotisme russe au quotidien est menée à partir de plusieurs observatoires (clubs et camps d’été patriotiques pour les enfants et les adolescents à Saint-Pétersbourg, Moscou et Omsk ; organisations ethno-culturelles ; organisations religieuses orthodoxes ; pratiques discursives des acteurs économiques). D’une part, l’analyse de ces différents terrains montre la diversité des activités patriotiques. De l’autre, elle illustre l’utilisation des activités patriotiques à d’autres fi ns (souci pragmatique de la carrière professionnelle, recherche d’une source d’inspiration personnelle, perspectives d’enrichissement, plaisir de l’action avec ses amis et ses proches…). Au final, les enquêtes de terrain attestent une variété de motivations et d’engagements où l’image de l’Etat et le discours patriotique officiel sont souvent secondaires, parfois même rejetés.

D’une manière générale, l’économie politique peut être défi nie notamment comme l’analyse des relations d’échanges économiques et politiques propres à des groupes sociaux particuliers, inscrits dans des contextes historiques donnés. La force de l’approche weberienne tient à la mise en valeur des orientations subjectives qui fondent ces échanges et qui renvoient à des « types d’homme », expressifs d’une période historique parti culière. Cette étude analyse et compare les écarts que révèlent certains traits de l’économie capitaliste de marché et de l’économie communiste de type soviétique par rapport aux idéaux-types du marché, de la bureaucratie et des formes de la domination politique. Elle insiste notamment sur les figures « hybrides » du charisme et de la « bureaucratie patrimoniale ».

Olivier Nay

Cet arti cle étudie les sources, la mise en oeuvre et les eff ets inatt endus des réformes administrati ves engagées au sein du système des Nati ons Unies dans le domaine de la lutt e contre le VIH/sida. Il s’appuie sur une enquête menée au sein d’ONUSIDA, programme multi latéral réunissant dix agences onusiennes et un secrétariat permanent engagés dans la lutt e contre l’épidémie. Dans un premier temps, l’arti cle souligne les raisons pour lesquelles les agences multi latérales n’ont guère été portées à impulser elles-mêmes des réformes, alors qu’elles étaient enjointes par le programme à mieux coordonner et harmoniser leurs réponses stratégiques au sida. Ensuite, l’arti cle identi fi e trois facteurs externes ayant joué un rôle clé dans le lancement de la réforme des procédures et des mécanismes de gouvernance du programme ONUSIDA. Puis il explore les conditi ons de leur mise en oeuvre depuis 2005, en insistant tout parti culièrement sur le rôle d’« entrepreneur de réforme » joué par le secrétariat d’ONUSIDA. Enfi n, l’arti cle étudie les eff ets induits des réformes administrati ves : l’importance des jeux de concurrence entre agences, le renforcement de la complexité organisati onnelle et la tendance à la bureaucrati sati on du système ONUSIDA. La conclusion défend l’idée que l’analyse de la réforme des organisati ons internati onales implique d’étudier de façon croisée les pressions émanant de leur environnement d’une part, et les acti vités des entrepreneurs de réforme d’autre part.

Emmanuel Viret

En s’intéressant à la dynamique de la violence rurale dès l’installation du multipartisme (1991-1994), l’article propose de nouvelles perspectives sur la mobilisation de la paysannerie rwandaise pendant le génocide. Le dépouillement des archives de deux anciennes communes, complété par des entretiens réalisés sur les collines et dans quatre prisons du pays permettent d’analyser l’imposition progressive d’une économie de la violence. Le cadre même du multipartisme poussa les élites rurales engagées dans la compétition politique à recruter un nombre croissant d’hommes pour réaliser des actions ponctuelles et violentes contre d’autres partis, réactivant à cette occasion les canaux de clientèle que la monétisation de l’économie et la diffusion du salariat dans les campagnes avaient progressivement asséchés. Une attention spécifique est accordée à l’entreprenariat politique ainsi qu’à la relation entre intermédiaires locaux (social brokers) et élites rurales tant dans la lutte entre partis politiques que dans la constitution des coalitions Power locales qui assumèrent l’exécution des massacres.

De 1984 à 1995, la province indienne du Pendjab a été le théâtre d’une insurrection séparatiste animée par des groupes armés sikhs. Majoritairement composés d’hommes, mais aussi de quelques femmes, ces groupes armés ont tenu tête aux forces de sécurité indiennes dix ans durant, en bénéficiant d’un soutien du Pakistan voisin. Plutôt qu’aux motivations de ces combattant(e)s, c’est à leurs parcours individuels que l’on s’est intéressé ici. A travers une approche biographique critique, attentive aux silences des acteurs et aux effets de décalage temporel dans l’exercice du témoignage, on a d’abord cherché à faire apparaître les éventuelles généalogies familiales de ces carrières en radicalité, avant d’en reconstituer les séquences et leur enchaînement. Cet exercice permet de faire apparaître des dispositions à l’engagement, en particulier l’appartenance à des réseaux sociaux (de caste, de secte…) convertis en réseaux de mobilisation voire de recrutement dans les groupes armés. Ce travail demande cependant à être prolongé par une réflexion sur les conditions d’actualisation de ces dispositions en engagement effectif, et sur les facteurs d’entretien ou d’essoufflement de cet engagement dans la durée. Les modalités concrètes de l’entrée en clandestinité puis les dilemmes pratiques et identitaires ouverts par le retour à la vie civile ont donc fait l’objet d’une attention particulière, d’autant plus qu’ils demeurent négligés par la littérature existante. En intégrant la problématique du genre, on a aussi voulu faire apparaître les variations entre les expériences masculines et féminines d’engagement et de désengagement, particulièrement prononcées dans le cas du militantisme clandestin violent dont il est question ici.

Thierry Delpeuch

Plusieurs courants de recherche actuellement en plein développement se consacrent à l’analyse des phénomènes contemporains de diffusion, de transfert et de convergence de politiques publiques. Ces travaux ont en commun de s’intéresser à la dimension exogène de la fabrique de l’action publique et, plus précisément, à la place qu’y occupent les sources d’inspiration ou d’imitation extérieures. On peut distinguer, parmi ces recherches, deux orientations majeures : l’une, proche du nouvel institutionnalisme sociologique, scrute les causes et les effets de l’expansion des transferts en insistant sur l’influence des facteurs culturels et institutionnels, tandis que l’autre, apparentée à la sociologie de l’action, examine principalement le déroulement des processus de transposition d’une politique publique d’un contexte vers un autre, en plaçant l’accent sur les propriétés sociales des acteurs et sur leurs interactions. Nous montrons que les différents courants présentés dans cet état de l’art – sociologie de la diffusion, sociologie néo-institutionnaliste de l’action organisée, études sur l’européanisation, travaux sur la mobilisation des expériences étrangères par les décideurs, approches bourdieusiennes et, enfin, les études de transfert de politiques publiques (policy transfer studies – PTS) à proprement parler – sont aujourd’hui en passe de surmonter leurs divergences pour constituer un socle commun de connaissances sociologiques sur les transferts internationaux.

Malgré un récent retour en force des études du « fait colonial », accompli au sortir d’une période d’innovations théoriques majeures, il est encore souvent un point aveugle de l’analyse des situations de « rencontre » impériale ou coloniale des 17e, 18e et 19e siècles : le domaine des pratiques et des entendements ‘‘indigènes’’ (nous dirons plutôt : vernaculaires) peu ou pas finalisés par le rapport, contraint ou volontaire, aux Européens. Or, la prise en compte de ce ‘‘hors-champ indigène’’ du monde colonial – pensé ici comme une configuration de situations régies par des « régimes d’historicité » distincts – autorise une compréhension renouvelée de l’historicité des sociétés politiques asiatiques, océaniennes ou africaines. Elle implique en particulier d’interpréter le moment colonial de ces sociétés à l’aune de leurs propres trajectoires au long cours, déployées sur des siècles, et donc entamées bien avant « la venue des Européens » (laquelle ne fit pas toujours, loin s’en faut, ‘‘événement’’ parmi les lettrés locaux). Cette perspective de recherche oblige également à repenser à sa juste mesure l’enracinement toujours partiel et précaire des dominations coloniales, et ce faisant à renoncer à faire de la rencontre avec l’Europe l’axe unique des chronologies extraeuropéennes. Elle permet, enfin, à rebours des commodités trompeuses du paradigme désormais dominant de « l’appropriation indigène de la modernité coloniale/européenne », de pousser l’analyse au-delà de la simple assignation d’une agency (capacité individualisée d’action) aux Indigènes, et notamment d’interroger les constructions locales, vernaculaires, de l’intentionnalité et du rapport au temps.

A rather marginal theme in Eastern European studies before the end of communism, ethnic politics and minority policies in Central and South-East Europe have given birth to a very rich body of literature in the 1990s. Some analyses have been influenced by the so-called “transitology” paradigm; others have borrowed from ethnic conflict studies. In both cases, though, ethnocultural diversity has mostly been treated in a normative way and portrayed as an obstacle to democratization. As for ethnic parties, they have alternatively been presented as conducive to better political participation and integration for the minorities (in a multiculturalist perspective) or as a threat to state stability and to democracy. Regardless of these cleavages, most research on ethnic identifications and on their mobilization in politics has been grounded upon substantial definitions of ethnic “groups” and has reified differences between “generalist” and “ethnic” parties. The present comparison between the trajectory of the Movement for Rights and Freedoms (MFR, which represents the interests of the Turks and other Muslims in Bulgaria) and that of the Democratic Alliance of Hungarians in Romania (DAHR, representing the Hungarian population) departs from these approaches in two ways. First, it emphasizes the centrality of the sociology of collective action to understanding the politicization of ethnicity, while insisting on the need to trace the particular historical processes through which ethnicity has been constructed and politicized in every single case. Second, attention is brought to the role the social imaginary plays in shaping the strategies of social and political actors. To put it otherwise, we argue that identities are not exogenous to politicization processes; they are redefined, renegotiated and reappropriated as social actors invest the political field. “Ethnic parties” are in urgent need of deexoticization: Like most parties, they cannot elude the traditional dilemmas of political representation, in particular the need to be perceived as both responsive and accountable.

Jean-François Bayart

Dans la lignée des concepts de « situation autoritaire » (Guy Hermet) et de « situation coloniale » (Georges Balandier), celui de « situation thermidorienne » rend compte des expériences historiques des régimes postrévolutionnaires et de leur libéralisation économique dans le contexte de la globalisation néo-libérale. Développé à partir du cas du Cambodge, le paradigme thermidorien comparatif permet d’interpréter dans des termes autres que ceux, normatifs et téléologiques, de la « transitologie » les processus de libéralisation économique et politique des Etats néo-communistes, et la consolidation de leur élite révolutionnaire en classe dominante. Mais la compréhension du moment thermidorien suppose que celui-ci ne soit pas réduit de manière utilitariste à une simple stratégie de maintien au pouvoir. Par définition il compose avec des dynamiques sociales autonomes, comme l’illustre la prise en considération d’un autre type de trajectoire postrévolutionnaire, non socialiste, celle de la République islamique d’Iran. Le paradigme thermidorien considère une pluralité de trajectoires relativement homogènes, en tant que combinatoires d’un événement révolutionnaire, d’un processus d’institutionnalisation et de professionnalisation de celui-ci, et d’une dynamique d’intégration à l’économie-monde capitaliste. Il ne se pose pas en explication, mais souligne la spécificité de ces régimes issus d’une révolution et confrontés à leur reproduction dans le contexte du démantèlement du camp socialiste et de la globalisation néo-libérale. Pour autant les « thermidorismes » sont dotés d’une historicité propre, à commencer par celle de la révolution dont ils sont le légataire. Ils ont également leur économie politique singulière qui ne se résume pas à l’imposition du cadre néo-libéral. En tant qu’expériences historiques soumises aux aléas de la contingence et des luttes sociales, les moments thermidoriens sont bien des « situations » au sens sartrien de la notion, où se jouent simultanément la reproduction du pouvoir et la liberté des acteurs.

Renaud Egreteau

L’émergence de la Chine et de l’Inde suscite depuis peu de nombreux débats scientifiques. Caractérisé par le développement de la croissance, des échanges commerciaux et des dépenses militaires, par la possession d’un arsenal nucléaire et par la revendication d’ambitions diplomatiques mondiales, l’essor des deux géants asiatiques suscite la fascination et l’inquiétude. Entre les lieux communs, l’imaginaire collectif et les travaux scientifiques, l’air du temps est aux interrogations quant à l’avenir de l’Asie et à l’évolution des puissances indienne et chinoise. Après avoir brièvement décrit leur émergence concrète sur la scène internationale, nous essaierons d’analyser la montée en puissance des deux géants et leur éventuelle trajectoire de collision au regard d’un concept peu développé dans les relations internationales, celui de « rivalité ». L’étude de ce phénomène, qui s’est constitué en objet de recherche théorique dans les années 1990, nous permettra de voir si l’Inde et la Chine peuvent se concevoir comme des « puissances rivales ».

Ingrid Therwath

L’expression « nationalisme à distance » que l’on doit à Benedict Anderson est souvent utilisée pour évoquer toute une série d’activités politiques transnationales. Pourtant, les dynamiques à l’oeuvre dans le nationalisme des expatriés sont rarement explorées. La simple nostalgie ou même la mobilisation spontanée servent trop souvent d’explications à ce phénomène dont elles ne suffisent pourtant pas à saisir les mécanismes. Il s’agit ici, en prenant l’exemple des mouvements nationalistes hindous, de souligner l’implication d’entrepreneurs politiques du pays d’origine et la dimension instrumentale du « nationalisme à distance » qui en résulte. Le réseau du Sangh Parivar, une nébuleuse d’organisations nationalistes hindoues, a en effet été répliqué dans la diaspora et sa structure été exportée par un centre névralgique situé en Inde même. L’expansion du Sangh Parivar et de son idéologie - l’Hindutva – a toutefois été grandement facilitée, dans les pays d’accueil, par les pratiques locales contrastées mais aux effets convergents, en l’occurrence, comme le multiculturalisme et des discriminations raciales. La comparaison des branches nationalistes hindoues au Royaume-Uni, aux États-Unis et au Canada permet donc de mettre en avant deux facteurs majeurs du « nationalisme à distance » : un contexte local favorable à la mobilisation ethno religieuse des migrants dans leurs pays de résidence d’une part, et l’existence d’une organisation centralisée dans le pays d’origine d’autre part. La fabrication, depuis l’Inde, du nationalisme hindou à distance témoigne de la résilience du nationalisme dans la mondialisation.

Julien Meimon

Dans le contexte international mouvementé de la fin des années 1950, la Ve République et ses dirigeants mettent en scène la fin du système colonial, c’est-à-dire de l’ensemble de ses institutions emblématiques : ministre et ministère de la « France d’outre-mer », corps administratifs de fonctionnaires coloniaux, et filière de recrutement (École nationale de la France d’outre-mer) disparaissent au profit d’un nouveau dispositif relativement complexe labellisé « coopération », et dont le ministère éponyme jouera un rôle important jusqu’à la fin du XXe siècle. La naissance de ce nouveau dispositif, résultant de l’éclatement de l’empire colonial, est largement associée à la problématique de l’aide au développement, et repose essentiellement sur des agents formés par les institutions coloniales, en quête de reconversion. C’est ce paradoxe d’une « nouvelle politique » incarnée par des agents imprégnés d’une culture coloniale que nous analyserons ici, en centrant notre regard sur ses modalités pratiques et discursives. On y décèlera l’une des faiblesses initiales de la politique africaine de la France, et l’une des raisons de son effritement progressif jusqu’à aujourd’hui.

Dag Erik Berg

Cet article traite de la manière dont la Conférence mondiale contre le racisme, qui s’est tenue à Durban en 2001, a nourri un ancien débat indien sur les notions de castes et de races. La controverse a émergé lorsque la « National Campaign on Dalit Human Rights » a voulu présenter les discriminations de castes et de races de manière équivalente. Les protestations du gouvernement indien ont été soutenues par des sociologues reconnus pour lesquels la comparaison avec la notion occidentale de race est impossible. La position officielle s’appuyait sur un savoir conventionnel reflétant la tentative anticoloniale de rejeter cette notion, mais aussi sur un discours universitaire qui tendait à exclure la question de l’oppression du débat, contrastant clairement avec le programme de Durban sur le racisme et l’intolérance. Ce texte analyse par ailleurs les fondements théoriques individualistes de l’approche universitaire de la formation des castes et leur impact sur le débat. Lorsque les approches individualistes excluent la rhétorique dalit, jugée trop subjective, elles oublient que les logiques d’exclusion imposées aux Dalits par les institutions bureaucratiques modernes obéissent à une logique raciale. Afin de comprendre la controverse de Durban, nous présentons une analyse plus large de la notion de caste en Inde et offrons des exemples de discours dalit. Cet article s’interroge enfin sur la mobilisation collective qui est apparue dans ce domaine. La manière dont les acteurs se sont présentés – militants d’ONG, Dalits, Chrétiens – a en particulier nourri la polémique. La controverse de Durban a alimenté le long processus national de réflexion sur les hiérarchies et l’égalité sociale, ainsi que sur la place de l’Inde dans le monde. Son impact n’a pas été immédiat mais en décembre 2006, lors d’une conférence internationale à New Delhi, le Premier ministre indien a comparé la situation des Dalits avec l’apartheid.

Rehana Ebrahim-Vally, Denis-Constant Martin

L’apartheid fut édifié sur la base de perceptions du corps justifiant leur classification hiérarchique. Il visait à séparer les personnes porteuses d’apparences physiques différentes de manière à préserver la pureté de la « race blanche » et sa domination en Afrique du Sud. Le corps, par conséquent, offre une entrée pertinente pour comprendre les changements qui se sont déroulés en Afrique du Sud depuis 1990 en tâchant d’aller audelà de la surface des phénomènes observables, en essayant de faire surgir les représentations de ces changements que se sont forgées les Sud-africains. Cette étude présente une enquête expérimentale visant à comprendre les représentations de la « nouvelle » Afrique du Sud qui ont cours parmi les jeunes Sud-africains au commencement du 21ème siècle. Elle part du principe que la mise au jour et l’analyse des représentations sociales exige, au moins au stade initial, l’utilisation d’entretiens de groupe non-directifs ; elle montre que les images du corps telles que projetées dans des publicités télévisuelles peuvent servir de consignes efficaces pour démarrer des entretiens portant sur l’état de la société sud-africaine au début des années 2000. Quatre clips publicitaires diffusés à la télévision sud-africaine en 2003 furent sélectionnés pour les besoins de cette enquête et utilisés comme « consigne » pour lancer trois entretiens collectifs avec des jeunes Sud-africains, auxquels fut ajouté un entretien de contrôle avec des étudiants français. Ces publicités furent analysées en s’inspirant des méthodes de la sémiologie du cinéma ; les transcriptions des entretiens, à l’aide des méthodes proposées par Guy Michelat et ses collègues du CEVIPOF (FNSP, Paris). Les résultats de cette expérience indiquent que, si les transformations qu’a connues l’Afrique du Sud depuis 1990 sont, chez les jeunes interviewés, unanimement considérées comme positives, elles sont perçues avec ambivalence et éveillent parfois des sentiments contradictoires. L’avenir de l’Afrique du Sud est, dans le même temps, envisagé avec beaucoup d’optimisme et d’angoisse ; les relations entre Sud-africains sont à la fois décrites comme harmonieuses et vécues dans une grande tension. Ce sont ces ambivalences et tensions que permet de mieux faire émerger l’utilisation d’entretiens de groupe non-directifs démarrés par la projection de publicités télévisuelles.

La place prise par l’hypothèse – souvent devenue postulat – de la « permanence » ou de la « rémanence » contemporaines des imaginaires et des pratiques de domination propres aux « situations coloniales » invite à essayer d’esquisser un premier état des lieux du renouveau de l’historiographie du fait colonial. Après avoir passé en revue les principales lignes de force de cette historiographie, l’on s’efforcera de montrer, au regard du cas sud-est asiatique, que la compréhension des dynamiques du moment colonial des sociétés politiques noneuropéennes gagne à être raccordée à une interrogation comparatiste sur la notion d’hégémonie impériale. Il s’agira plus précisément de rappeler que les sociétés politiques d’Asie du Sud-Est vivaient, à la veille de leur « rencontre coloniale » avec l’Europe, sous le régime de modes spécifiques d’entrée en modernité étatique – et, ce faisant, de pointer les phénomènes d’enchâssement des historicités impériales. Analyser le moment colonial de l’Insulinde ou de l’Indochine non plus comme l’unique point d’origine des entrées en modernité (étatique, capitaliste, individualiste), mais comme une séquence d’une histoire impériale ‘‘eurasiatique’’ de « longue durée », c’est en effet se donner les moyens de penser l’histoire des sociétés asiatiques dans son irréductible spécificité.

Myriam Désert

Quels sont les racines et les effets du secteur informel ? Constitue-t-il un bienfait ou une malédiction ? A ce débat, nourri depuis trois décennies par les considérations sur la situation des pays en développement, les mutations post-soviétiques apportent de nouveaux éléments. On observe en effet en Russie des processus de formalisation - et de “déformalisation” - des règles non seulement dans les pratiques des acteurs économiques, mais également dans la distribution de services publics devenus rares. L’analyse des pratiques informelles concrètes alimente la réflexion sur les relations qui lient mutations économiques et politiques : quel est leur impact sur l’instauration d’un marché et d’un Etat de droit, sur la recomposition de l’espace tant économique que social ? L’examen des visions de l’informel par les milieux académiques russes et les acteurs sociaux est l’occasion de mettre en évidence les différents déterminants des comportements : réaction à la conjoncture, racines culturelles, représentations sociales… L’exemple russe illustre la façon dont l’informel est non seulement une modalité d’action qui contourne les règles légales, mais également un mode de sociabilité qui refuse les relations sociales anonymes ; il aide à réfléchir à la façon de réencastrer l’économique dans le social.

Amélie Blom

"Qui a le bâton, a le buffle". Ce proverbe du Pendjab s'applique admirablement aux forces armées du Pakistan, par ailleurs majoritairement originaires de cette province. Celles-ci se sont, en effet, transformées, au fil des années, en un groupe d'intérêt économique. Leurs activités industrielles et commerciales sont désormais partie intégrante de la vie quotidienne de la société. L'ampleur de cet état de fait et sa visibilité tranchent avec l'attention marginale, ou strictement descriptive, que la recherche sur le Pakistan lui a accordée. Pour expliquer la transformation de l'armée pakistanaise en un acteur économique de premier plan, cette étude revisite les théories de Charles Tilly sur la militarisation "dépendante" des Etats du Sud. Elle insiste sur l'importance des capitaux locaux, la terre en particulier, et sur les facteurs endogènes du corporatisme, historique (legs colonial) et politique (recherche d'une autonomie maximale à l'égard des acteurs politiques civils) qui ont permis à l'armée de se consolider institutionnellement. Depuis les années 80 toutefois, l'approfondissement du corporatisme économique des militaires génère des tensions croissantes dans les relations que ceux-ci entretiennent avec les acteurs civils, principalement la bureaucratie, première lésée, ainsi qu’avec la société, provoquant des mouvements de désobéissance civile paysanne sans précédent ou bien encore réveillant d'anciennes revendications nationalistes parmi les groupes ethniques sous-représentés au sein de l'armée. Le phénomène est également source de frictions au sein même des forces armées. Ces tensions sont, cependant, contrebalancées par le soutien dont continue de disposer l'armée au sein de nombreux secteurs de la société. Surtout, elles ne sont pas en mesure de gêner une logique corporatiste bien trop efficace et fonctionnelle pour s'atténuer: paradoxalement, la "privatisation" de l'armée contribue à sa cohésion. Le patrimonialisme militaire au Pakistan peut, en effet, être interprété comme un processus qui, parmi d'autres bien sûr, a aidé l'armée à maintenir un fort esprit de corps; dynamique qui s'apparente, de plus en plus, à un véritable "syndicalisme militaire".

Laurent Scheeck

Tandis que le pouvoir politique de l’Union européenne s’est considérablement renforcé, l’Union est également devenue une source potentielle d’atteintes aux droits de l'homme. Alors que les gouvernements des États membres étaient en désaccord sur la mise en place de mécanismes de contrôle conséquents au niveau européen pendant plusieurs décennies, la Cour de Justice des Communautés européennes et la Cour européenne des droits de l'homme ont anticipé le choix intergouvernemental. Les chemins des deux cours européennes se sont croisés quand elles ont dû faire face à une double discontinuité de la protection des droits de l’homme au niveau de l’Union européenne. L’interaction turbulente entre les deux cours supranationales ne s’est pas seulement soldée par une amélioration relative de la protection des droits de l'homme, mais a aussi profondément transformé le cours de l’intégration européenne. Au fil du temps, l’enchevêtrement des liens entre les deux cours a mené à la mise en place d’une nouvelle forme de diplomatie supranationale entre juges européens. L’évolution de leur relation, qui se caractérise par la concomitance de logiques coopératives et conflictuelles, a permis de surmonter la traditionnelle opposition entre « l’Europe des droits de l'homme » et « l’Europe marchande » et d’inscrire l’adhésion de l’Union européenne sur l’agenda politique. Ce processus d’intégration par les droits de l'homme demeure toutefois une entreprise fragile et incomplète. Comme dans un jeu coopératif où deux joueurs doivent résoudre conjointement une énigme et où les deux perdent lorsque l’un d’entre eux tente de prendre les devants, les juges européens ont été amenés à trouver de nouvelles parades pour résoudre le problème de la double discontinuité européenne des droits de l'homme, en mettant l’accent non pas sur les institutions, mais sur leur relation.diplomacy between European judges. As a result of their evolving relationship, which is simultaneously underpinned by competitive and cooperative logics, the traditional opposition between an “economic Europe” and a “human rights Europe” has been overcome and the EU’s accession to the European Convention on Human Rights is high on the political agenda. Yet, this process of integration through human rights remains a fragile and incomplete endeavour. Just as in co-operative binary puzzles where two players must solve the game together and where both lose as one of them tries to win over the other, solving Europe’s binary human rights puzzle has required of European judges a new way of thinking in which it’s not the institutions, but their linkage that matters.

Françoise Daucé

Les mobilisations collectives en Russie post-soviétique ont généralement suscité l’étonnement occidental en raison de leur faiblesse numérique et de leur incapacité à favoriser durablement la formation d’un système démocratique dans ce pays. Cette surprise peut s’expliquer par l’inadaptation des instruments mobilisés pour leur étude. Les travaux sur les mobilisations associatives, et sur la société civile en général, ont longtemps repris les postulats les plus communément admis relatifs à la modernisation des mouvements sociaux dans un contexte politique et économique libéral. Les décideurs russes et occidentaux, soucieux de transition, ont manifesté le désir de favoriser en Russie la constitution d’associations indépendantes de l’Etat susceptibles de fonder une société civile et de constituer un contre-pouvoir. Si le début des années 1990 en Russie a laissé entrevoir un rapprochement entre les pratiques associatives russes et occidentales, autour de notions comme celles d’ « entrepreneur de mobilisation », de « professionnalisation » ou de « frustration », les évolutions ultérieures ont montré l’inadéquation de ces concepts pour comprendre la complexité des associations post-soviétiques. Ce numéro de « Questions de recherche » souhaite donc faire de nouvelles propositions théoriques pour étudier les associations en Russie. Ces dernières sont placées au carrefour de plusieurs grammaires, où les principes civiques et libéraux se combinent avec des préoccupations domestiques et patriotiques. Cette complexité, qui s’oppose à une vision purement libérale des associations, a suscité la convergence des critiques contre leur action. Pour mettre au jour cette complexité tant des pratiques que des critiques, les instruments fournis par la sociologie du proche, pragmatique et multiculturaliste, nous semblent pertinents pour montrer la diversité des liens politiques et sociaux qui animent les militants en Russie aujourd’hui.

Raphaël Pouyé

Le Kosovo et le Timor Oriental ont souvent été étudiés ensemble du fait de leur expérience commune des « nouveaux protectorats internationaux ». Ces deux territoires ont été en effet « libérés » en 1999 par des interventions multilatérales, puis placés sous administration provisoire des Nations Unies. C’est cette caractéristique commune qui a justifié jusqu’à présent la quasi-totalité des exercices comparatifs à leur sujet. Toutefois, un autre ensemble de ressemblances, d’un abord moins immédiat, mérite aussi d’être étudié : en témoigne tout d’abord, la continuité, post-libération, des institutions indigènes qui ont émergé pendant les vingt à vingt-cinq années de résistance. A partir de ce constat initial, des mois de recherche sur le terrain entre 2000 et 2003, m’ont permis de découvrir un éventail plus large de caractéristiques communes. Trois parallèles principaux se sont en effet dégagés. Sur ces deux territoires, les réseaux clandestins de résistance, qui seront appelés ici « crypto-Etats » ont : 1) en grande partie orienté leurs choix stratégiques concernant le recours à la violence en fonction de leur perception des exigences de l’opinion publique internationale, 2) tout en se maintenant comme alliance fragile entre groupes segmentaires « anti- Etatiques » et élites urbaines « modernes », 3) cette tension constructive ayant pour résultat de produire un discours duel sur la nationalité : exclusif et militant d’une part, inclusif et « libéral », d’autre part. La découverte de cet ensemble de similarités entre les deux cas étudiés réclamait par conséquent une étape de validation de sa pertinence pour la recherche en science sociale. Pour ce faire, il convenait de mettre cette configuration apparemment originale à l’épreuve des théories établies en matière de théorie de l’Etat et de la construction nationale : d’abord, en évaluant le caractère proprement « étatique » de ces administrations clandestines, puis en explorant leur production riche, et souvent contradictoire en matière d’identité nationale. Pour conclure, cette exploration préliminaire m’a semblé indiquer que les trajectoires parallèles durant le dernier quart de siècle pourraient fort bien être révélatrices d’un type nouveau de construction nationale dans un contexte de contrainte extérieure renforcée par l’évolution continue des normes d’intervention en matière d’intervention internationale dans l’après-Guerre Froide. Enfin, cette discussion suggère que ce type de construction « externalisée » de l’Etat et de la nation pourrait bien s’avérer inadapté à l’enracinement d’institutions stables dans un contexte post-conflictuel.

Guillaume Colin

La crise du Kosovo a donné lieu, en Russie, à une véritable crise politique interne. En effet, les frappes de l’OTAN ont non seulement remis en question l’efficacité de la politique étrangère russe qui s’y était opposée, mais elles ont plus largement remis en cause la vision du monde soutenue par le pouvoir russe, alimentant a contrario la vision contestataire soutenue par les communistes. A travers l’analyse des conférences de presse données par le ministère des Affaires étrangères et par le Parti communiste au moment de la crise du Kosovo, cet article montre que ce sont en fait deux récits qui s’affrontent, chacun cherchant à construire et à imposer (ou à défendre) sa "vision et ses principes de division du monde". Cette lutte s’appuie notamment sur le recours à des mythes identitaires très forts, qu’il s’agisse de la question des relations avec l’Occident ou de l’évocation du souvenir de la seconde Guerre mondiale, dont chacun des récits fait un usage antagoniste. L’exemple du Kosovo permet ainsi de mettre en évidence la manière dont certains enjeux et certains thèmes interfèrent dans le discours de politique étrangère et contribuent à l’utilisation des questions de politique étrangère dans le débat politique russe avec, pour conséquence, des déplacements des enjeux associés à ces questions.
D’un point de vue plus théorique, l’accent est mis dans cet article sur la nécessité de dissocier l’analyse du discours de politique étrangère de celle de la politique étrangère dans la mesure où le discours de politique étrangère ne relève pas exclusivement de la politique étrangère. Une meilleure compréhension du discours de politique étrangère suppose notamment de rendre compte de son ancrage simultané dans la lutte politique interne et dans l’imaginaire politique. Ces deux niveaux s’articulent autour de "la lutte symbolique pour la conservation ou la transformation du monde (social) à travers la conservation ou la transformation des principes de division de ce monde" (Bourdieu, 1991 : 181). Dans cette perspective, l’analyse du discours de politique étrangère proposée dans cet article a recours à des instruments théoriques qui ne relèvent pas exclusivement du cadre des relations internationales, qu’il s’agisse des travaux de Bourdieu sur le champ politique ou de ceux de Barthes sur le mythe. En revanche, notre conception du discours doit beaucoup aux travaux de "l’Ecole danoise" de relations internationales sur l’analyse discursive de la politique étrangère.

Anastassios Anastassiadis

Cet article aborde la question sensible des relations entre Etat et Eglise en Grèce. Nombre d'études récentes ont suggéré que le discours de l'Eglise orthodoxe grecque était incompatible avec les conceptions modernes de la démocratie libérale. Le nationalisme et le populisme ont été les deux concepts utilisés pour rendre compte de cette hypothèse et l'analyse du discours officiel de l'Eglise, le principal outil méthodologique employé. La crise de la mention de l'appartenance confessionnelle sur les cartes d'identité grecques durant les années 1990 a fondé des études de cas censées témoigner de l'attitude de l'Eglise. En entreprenant une analyse globale de cette "crise", cet article vise à démontrer que les approches mentionnées offrent des perspectives très limitées de compréhension du phénomène et des enjeux, pour deux raisons. Elles témoignent de peu d'intérêt pour l'analyse sociologique et tout particulièrement pour le fonctionnement interne de l'Eglise. De surcroît, les discours sont certes une manifestation des stratégies des acteurs, mais doivent néanmoins être pris pour une donnée brute nécessitant un décryptage. Or, ces analystes semblent ignorer l’un des apports fondamentaux de la sémantique: les discours sont produits dans un certain contexte socio-historique en fonction de schémas préfabriqués. Ce mode de production dual autorise aussi bien l'innovation que la continuité. Ainsi, le discours conservateur de l'Eglise peut-il être rapproché des efforts manifestés par certains acteurs internes pour la rénover. Tout en réfutant la thèse du "choc des civilisations", cet article suggère enfin que l'intérêt renouvelé qu'elle suscite pour la religion en général et l'orthodoxie en particulier devrait être mis à profit pour que soient menées plus d'études socio-historiques de l'Eglise grecque

La nation regarde vers l’Etat tandis que le nationalisme est une idéologie qui se contente parfois de promouvoir l’identité d’un groupe en relation avec d’autres. Les théories du nation-building n’expliquent donc pas le nationalisme. D’autres théories matérialistes y parviennent néanmoins, comme celle de Gellner où le nationalisme est le résultat de conflits socio-ethniques, mais où les ressorts internes de l’idéologie restent dans l’ombre. Les théories présentant le nationalisme comme un produit d’exportation d’origine occidentale ne font pas mieux, à la différence de celles qui l’ancrent dans un processus de réforme socio-culturelle. L’intelligentsia, qui a engagé ce processus pour résister à un Occident qui la fascine mais qu’elle perçoit comme une menace, développe finalement une attitude nationaliste car il n’a jamais été question pour elle d’imiter l’Occident mais de réhabiliter sa culture en y incorporant des traits prestigieux de l’Occident à travers l’invention d’un Age d’Or, la pierre de touche du nationalisme.
Cette approche trouve un parfait équivalent dans les théories de l’ethnicité, non pas celles qui appliquent le paradigme primordialiste, mais celles qui se concentrent sur la création des frontières entre groupes. Barth souligne à cet égard le rôle décisif de la relation à l’autre et le peu d’importance des contenus culturels – par rapport aux frontières des groupes – dans la formation des identités ethniques, à telle enseigne que sa théorie de l’ethnicité présente plus d’affinité avec certaines théories du nationalisme que celle-ci et les théories de la nation.
Toutefois, on peut construire un modèle intégré du nationalisme en organisant les différentes théories en séquence. Si les théories fondées sur le rôle de l’idéologie viennent ici en premier, la création d’un mouvement nationaliste implique l’exacerbation de conflits socio-ethniques et la massification du nationalisme, un processus de nation-building.

Le cyberespace, dont l’internet constitue seulement l’une des composantes, ne se laisse pas réduire à un espace informationnel ou économique : c’est aussi un espace politique, qui mérite d’être analysé en tant que tel, à travers les mobilisations, les imaginaires et les pratiques de surveillance qu’il relaie. Plutôt qu’à une réflexion générale sur les « politiques mondiales de l’internet », cet article se consacre aux solidarités politiques transnationales qui se développent actuellement sur l’internet ou grâce à lui. Cette distinction est fondamentale, dans la mesure où le réseau des réseaux est à la fois le support de luttes sociales focalisées sur le monde « réel » et le foyer de nouvelles identifications et de nouveaux modes de protestation, qui se satisfont de leur virtualité. Les « réseaux revendicatifs transnationaux », dont l’origine remonte à la diffusion mondiale des mouvements abolitionniste et féministe, peuvent ainsi avoir recours à l’internet pour s’informer et communiquer ; leur usage des technologies de l’information demeure cependant assez banalement utilitaire et il n’apporte aucun bouleversement paradigmatique dans l’usage des médias par les groupes protestataires. L’essor du « hacktivisme » et du « cybernationalisme » apparaît bien plus novateur. Le « hacktivisme » désigne les usages du hacking (ici entendu comme piratage informatique) à des fins politiques. Il s’est développé au cours des années 1990, à la croisée de l’engagement politique, de l’activité ludique et de la performance artistique. Ses acteurs sont des groupes de hackers politisés ou des militants traditionnels fascinés par les nouvelles technologies de l’information et de la communication. L’avènement du « hacktivisme » témoigne ainsi de la rencontre entre deux univers jusqu’alors étrangers l’un à l’autre mais tous deux caractéristiques de la modernité tardive : l’« underground informatique » et les « nouveaux mouvements sociaux ». Le « cybernationalisme » désigne, pour sa part, l’utilisation intense et multiforme de l’internet par les entrepreneurs identitaires contemporains, qui trouvent appui sur le « réseau des réseaux » pour contourner les autorités étatiques qu’ils combattent et pour donner corps, par la parole et par l’image, aux communautés qu’ils (ré)inventent par-delà les frontières.

Javier Santiso

La politique de l'éthiquement correct ne répond parfois - ou souvent renchériront les grincheux - qu'à un souci bien compris d'intérêt. En effet, la création d'un fond éthique, ou l'engagement dans un programme de micro-finance, peut n'être qu'une concession à l'air du temps ou une manière détournée de rehausser l'estime de soi. Cependant ces hommages à la vertu n'en constituent pas moins une source d'interrogations et d'enjeux contemporains. Les sommes engagées dans les fonds éthiques sont loin d'être anecdotiques. Aux Etats-Unis, un dollar sur dix est investi dans des supports financiers " éthiques ". En Europe, ils se développent à grande vitesse. Quant aux expériences de micro-crédits, du Bangladesh à la Bolivie, elles ont montré qu'elles étaient loin d'être dépourvues d'intérêts tant leurs résultats sont profitables à tous. Comme on le souligne dans le présent travail, l'expérience des fonds éthiques et des micro-crédits, si elle ne comble pas la brèche entre le passé et le futur, comporte néanmoins une promesse d'avenir : elle confère un horizon temporel, une visée de l'à-venir, à laquelle participe ladite société civile internationale.

Ce texte vise à penser un objet particulièrement difficile à saisir et qui est pourtant au cœur de nombreuses guerres présentes et passées : le massacre. Celui-ci y est défini comme une forme d'action le plus souvent collective visant à détruire des non combattants, en général des civils. Le massacre est appréhendé comme une pratique de violence extrême, à la fois rationnelle et irrationnelle, procédant d'une construction imaginaire d'un autre à détruire, perçu par le bourreau comme un ennemi total.
L'ambition de ce texte est de montrer la pertinence d'une réflexion comparative sur le massacre. Son parti pris est d'aller au delà de l'étude de cas ou plutôt de mettre en perspective le meilleur de ces études (sur l'ex-Yougoslavie, le Rwanda, etc…), pour mieux comprendre les processus du passage à l'acte de massacrer. A cette fin, deux lignes de force inspirent l'analyse. 
-La profondeur historique : difficile en effet de tenter de comprendre les massacres des années 1990 sans prendre en compte leur histoire au XXème siècle, y compris ceux que l'on nomme "génocides".
-L'ouverture transdisciplinaire : le phénomène massacre est en lui-même si complexe qu'il appelle tout autant le regard du sociologue, de l'anthropologue ou du psychologue, ce dont ces pages voudraient aussi attester.

Sabine Saurugger

Cet article se propose d'examiner les outils conceptuels nécessaires pour un début d'analyse des groupes d'intérêt au niveau communautaire. En effet, la réalité communautaire donne à voir non pas un système de représentation constitué, mais plutôt une "mosaïque" de modes de représentation, eux-mêmes influencés par des modes d'échange politique spécifiques à chaque pays et à chaque secteur. Ces modes de représentations et d'échange interagissent à leur tour avec les structures d'opportunité ou de "fermeture" communautaires. Analyser des modes de représentation des intérêts dans un système de gouvernance, qu'il soit national, communautaire ou international, exige de prendre en considération d'abord les fondements des relations qu'entretiennent les groupes d'intérêt avec les acteurs politico-administratifs au niveau national, mais aussi les modifications de ces relations, et enfin de les insérer dans un système de gouvernance appelé à trouver des solutions à la gestion des politiques publiques ; et cela, en sachant que le système reste cependant influencé par les relations hiérarchiques entre les acteurs et leurs jeux de pouvoir. Dans une première partie, nous nous interrogerons sur la manière dont s'est développée la recherche sur les groupes d'intérêt, en examinant les études relevant des relations internationales d'une part, et les études de politique comparée d'autre part ; puis nous présenterons les tentatives de systématisation entreprises depuis le milieu des années 1990 dans ce domaine. Dans une deuxième partie, nous analyserons plus particulièrement l'approche des réseaux de politique publique qui permet de dépasser le clivage entre le pluralisme et le néo-corporatisme dans l'étude des relations entre groupes d'intérêt et acteurs politico-administratifs. A travers une analyse critique des idées générales de l'approche théorique des réseaux de politique publique, nous proposerons des outils conceptuels spécifiques, permettant de structurer les recherches sur les groupes d'intérêt dans l'Union européenne.

Renéo Lukic et Jean-François Morel

Contrairement à la majorité des pays de l'Europe centrale et orientale qui ont connu une transition post-communiste pacifique, la Croatie a vécu la sienne en guerre. En effet, la guerre serbo-croate au printemps 1991 la força à se doter rapidement d'une armée pour défendre son territoire. La Croatie n'était à ce moment qu'une démocratie émergente et, après que son indépendance eut été reconnue par la Communauté Européenne le 15 janvier 1992, le contrôle de l'Armée croate (Hrvatska vojska, HV) échappa aux institutions parlementaires. La HV était dominée par le parti du président Franjo Tudjman (le HDZ) qui, pour avoir mené la Croatie à l'indépendance, bénéficiait d'une triple légitimité (politique, constitutionnelle et charismatique), semblable à celle de Tito sur l'Armée populaire yougoslave. Le régime civilo-militaire établi en Croatie après 1990 souffrait donc d'un déficit démocratique indéniable. A la mort de Franjo Tudjman en décembre 1999, la nouvelle majorité, issue des élections de janvier et février 2000 et menée par le président Stjepan Mesic, tenta d'établir un véritable contrôle démocratique des forces armées. Elle se heurta à l'opposition du ministère de la Défense et d'un certain nombre d'officiers toujours fidèles au HDZ. Aujourd'hui, l'établissement d'un régime civilo-militaire démocratique en Croatie reste encore le but à atteindre. Cependant, la Croatie semble faire quelques progrès en ce sens. En cherchant à adhérer à certaines organisations internationales (OTAN), ou en étant contrainte de coopérer avec d'autres (Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie, TPIY), le pays doit maintenant intérioriser les normes régissant le contrôle civil et démocratique des forces armées. Sa participation au Partenariat pour la paix (PPP) et sa volonté d'adhérer au plus tôt au Membership Action Plan (MAP) de l'OTAN forcent la Croatie à progresser dans cette direction.

Simon Bulmer

Cette étude est une revue critique de la littérature portant sur la relation entre l'Union européenne et ses Etats membres. Elle part du constat que ces relations sont interactives. Les Etats membres restent des acteurs incontournables de l'élaboration des politiques publiques dans l'Union européenne et leur rôle apparaît donc essentiel dans l'analyse du policy-making. Cependant, l'intégration européenne a aussi un important impact sur les Etats membres eux-mêmes : le phénomène est souvent décrit à l'aide du terme "européanisation". L'étude fait une recension détaillée de ces influences mutuelles, des problèmes analytiques qu'elle soulève et des perspectives théoriques qu'elle permet de déployer. Elle examine ensuite la littérature empirique qui s'est intéressée à la relation entre l'Union européenne et les Etats membres, et sur la manière dont cette relation est rendue opérationnelle par la littérature théorique. Cette dernière comprend en effet deux dimensions : des études monographiques et comparatives sur les relations entre les Etats membres et l'Union européenne ; des études sur l'impact de l'Union européenne sur certains acteurs et institutions nationales, ou sur certaines politiques ou secteurs d'activités économiques. Sur la base de cet examen critique, nous suggérons enfin un agenda de recherche permettant de progresser au double plan de l'analyse théorique et empirique.

À l'heure où la pratique des sanctions s'est considérablement intensifiée, la critique adressée aux embargos gagne du terrain. En interprétant la montée en généralité de cette contestation, cet article montre comment et pourquoi s'élaborent les mobilisations contre les sanctions, à partir de quels types d'acteurs et suivant quels registres. Ce travail met en lumière la formation de réseaux et de coalitions à l'encontre de mesures aussi bien unilatérales que multilatérales. Il souligne le rôle, le statut et la portée des entrepreneurs de normes en interrogeant les principales catégories d'analyse qui habituellement viennent fonder leurs stratégies. Destiné à se prononcer sur un type de violence bien spécifique, un savoir de l'évaluation des embargos voit le jour dans des espaces publics à la fois nationaux et transnationaux. En analysant son émergence, ce travail éclaire alors la trajectoire d'une conception de l'injustice des sanctions et identifie sa construction dans l'espace mondial. Ce texte souligne notamment l'importance des traditions de la guerre juste, tout particulièrement leur réinterprétation par les acteurs de la scène internationale et ses entrepreneurs moraux. Prendre en compte ces trajectoires de normes permet de saisir un des aspects les plus décisifs de l'usage de la force dans le monde de l'après guerre froide, ainsi que la mise en place de certaines réformes internationales.

Denis-Constant Martin

Les carnavals constituent un type particulier de rite de renouveau dans lequel le masque et le rire entraînent l'invention de modes d'expression à forte densité symbolique. Les carnavals fournissent ainsi le champ privilégié d'une recherche sur les représentations sociales ; parce qu'ils sont à la fois récurrents et changeants, ils offrent la possibilité d'évaluer non seulement les changements sociaux, mais surtout les significations portées par ces changements sociaux. La première partie de ce texte présente et discute différentes théories du carnaval, notamment celles qui traitent de ses relations au politique et aux hiérarchies sociales. La seconde suggère quelques éléments de méthode pour étudier les carnavals dans une perspective politique et propose que l'analyse sémiotique soit combinée avec des enquêtes par entretiens non directifs.

John Crowley

Le multiculturalisme offre un cadre normatif pour la gestion des revendications politiques exprimées par des acteurs politiques ethniques dans les démocraties libérales. Il propose, spécifiquement, des principes permettant de déterminer quelles revendications sont inacceptables, lesquelles sont acceptables, et lesquelles ont, au titre de la justice, un caractère impératif. C’est l’application pratique de tels principes à des cas particuliers qui est appelée ici adjudication, qu’elle ait ou non un caractère strictement judiciaire. L’article défend l’idée que, pour avoir envisagé l’adjudication dans une perspective exclusivement normative, nombre de contributeurs à la réflexion multiculturaliste, y compris certains des plus influents, ont mal situé le problème, et donc proposé des solutions de pertinence discutable. Cet accent normatif résulte du souci compréhensible d’éviter que la justice se confonde avec l’équilibre des intérêts dans un processus pluraliste de marchandage. On y perd toutefois l’épaisseur de la sociologie politique des revendications ethniques, elle-même étroitement liée à l’épaisseur institutionnelle de leur adjudication. Une dimension essentielle de cette perte est la conception sociologiquement insatisfaisante de la culture qui est caractéristique du multiculturalisme normatif, et qui en rend l’application malaisée précisément dans les contextes mêmes dont les théoriciens multiculturalistes se préoccupent. La recherche de principes d’adjudication des revendications ethniques qui ne soient ni purement formels ni assujettis aux dynamiques politiques pratiques, y compris les rapports de forces empiriques, se révèle en fin de compte infructueuse.

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