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13.03.2023

Sujet de thèse : la justice réparatrice en soutien des victimes de viols ordinaires

Alexane Guérin, doctorante au CERI de Sciences Po. (crédits : DR)

Tous les ans, la Ville de Paris décerne, en partenariat avec l’Institut Émilie du Châtelet, des bourses pour encourager la recherche sur les questions de genre. En 2022, c’est Alexane Guérin, doctorante auprès de l'École de la recherche et du Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po, qui a remporté une bourse pour son projet de recherche sur la justice réparatrice dans les cas de viols. Rencontre.

Vous avez commencé en 2019 une thèse en théorie politique. Pourquoi vous êtes-vous orientée vers la recherche ? 

Le milieu de la recherche offre une temporalité rare, celle du temps long, qui permet d'explorer un sujet dans toutes ses complexités, mais elle est aussi animée par une forme d'urgence, notamment quand on travaille sur des injustices et des violences de genre. 

Dans mon cas, ce travail est motivé par un désir de transformations politiques et féministes : j'ai commencé ma thèse après que le mouvement international #MeToo ait été lancé, un mouvement qui a donné un écho planétaire à des millions de témoignages de violences sexuelles, mais aussi fait comprendre la nécessité de prendre à bras le corps les questions de justice pour y répondre. C'est donc en théorie politique que j'ai voulu engager mon travail de thèse, précisément parce que cette discipline me permet de partir du diagnostic d'injustices, de fournir une grille d'intelligibilité adéquate, et de proposer des pistes normatives, en tant que chercheuse. 

Les sciences sociales m'ont fait découvrir les théories féministes quand j'étais en master à Sciences Po, ce qui a été décisif dans mon choix de poursuivre en thèse. C'est un corpus qui inscrit la recherche dans une perspective d'émancipation : les productions théoriques se nourrissent des mouvements féministes et les nourrissent à leurs tours, à la manière d'une praxis. Pour moi, la recherche permet de faire le lien entre des savoirs empiriques et des concepts, elle permet de montrer et de rendre intelligibles des phénomènes constamment invisibilisés ou dépolitisés.

Pouvez-vous nous parler de votre recherche doctorale ?

Dans mon travail de thèse, je m'intéresse au paradigme de la justice réparatrice pour faire face aux attentes des victimes de viol ordinaire. Je propose la notion de “viol ordinaire” comme nouvelle qualification de violence de genre afin de rendre visibles les rapports sexuels non consentis qui ont lieu dans l'intimité, commis par un proche – que ce soit un ami, une rencontre, un ex-copain – dans une situation quotidienne. C'est une  conceptualisation qui s'inscrit dans le sillage de celle du “date rape”, proposée dans les années 1980 par les féministes américaines. Or, en raison de ces critères (la quotidienneté, la proximité, la potentielle intimité), les scripts de viol ordinaire constituent un point aveugle de l'imaginaire social dominant qui fabrique la figure de la “victime idéale”, saturée de stéréotypes. Les victimes sont ainsi confrontées à un ensemble d'injustices épistémiques, c'est-à-dire des situations dans lesquelles leur capacité à connaître, transmettre, recevoir des connaissances sur ce qu'elles ont vécu et subi est remise en cause. Que ce soit lorsqu'elles cherchent à qualifier la violence, à témoigner auprès de leurs proches ou bien à dénoncer, elles subissent différents torts épistémiques (injustices de témoignages, injustices herméneutiques, silenciation, détournements cognitifs, etc.).

Ces types d'injustices se retrouvent aussi au cours de la procédure pénale, et leur anticipation contribue à dissuader les victimes de porter plainte. Je défends dans ma thèse que le  paradigme de la justice réparatrice offre la possibilité de réparer ces torts. En effet, la justice réparatrice place au centre de son processus l'agentivité des personnes concernées par les violences, qui participent volontairement, et se focalisent sur les conséquences et préjudices que l'acte a eu sur la vie des victimes. C'est un modèle qui ne vise ni à remplacer le système pénal, ni systématiquement à le compléter mais qui peut fonctionner de manière indépendante, puisqu'il propose un autre sens de la justice. Il offre la possibilité aux victimes d'être reconnues en tant que telles, sans que leur crédibilité soit attaquée. 

À quoi a servi cette bourse que vous avez obtenue ?

La bourse de la Ville de Paris m'a permis de réaliser l'enquête de terrain qui est au cœur de ma recherche. J'ai pu partir six mois au Québec entre janvier et juin 2022 et observer les pratiques de deux organismes de justice réparatrice, qui fonctionnent très différemment (du point de vue des méthodes, des principes, de la structure, du rattachement au système criminel québécois, du type de victimation, etc.).

Dans le Centre de services de justice réparatrice (CSJR), j'ai pu suivre des formations et participer à un projet-pilote de justice transformatrice intitulé “les violences sexuelles comme trauma collectif”. À Équijustice, un réseau de justice réparatrice et de médiation citoyenne québecois, j'ai été intégrée en tant que stagiaire pendant trois mois, ce qui m'a permis d'observer des réunions cliniques, des réunions d'équipes, plusieurs formations, des médiations. J'ai effectué de nombreux entretiens avec les médiateurs et médiatrices chargé.e.s des rencontres de justice réparatrice, mais également avec des avocates et avocats pénalistes et des victimes de viols ordinaires.

Ce séjour à Montréal a été également l'occasion d'un échange universitaire avec l'Université du Québec à Montréal, université dans laquelle j'ai suivi deux séminaires en études féministes, et échangé avec des chercheuses de l'Institut de Recherches et d'Études Féministes. Cette enquête de terrain et cet échange universitaire ont été des étapes décisives dans mon travail de thèse.

Quels sont vos projets pour la suite ?

Rien n'est encore fixé précisément, la priorité étant de soutenir la thèse, très certainement à l'automne ou à l'hiver 2023. Par ailleurs, après la thèse, je voudrais échanger voire travailler avec des associations d'aide aux victimes, des associations féministes, des avocate·s, magistrate·s ou travailleurs sociaux intéressées par la justice réparatrice, pour que cette forme de justice soit davantage connue en France, et implantée.

La thèse d’Alexane Guérin, réalisée sous la co-direction d’Astrid von Busekist et de Magali Bessone, s’intitule provisoirement “Rendre justice aux victimes de viol ordinaire : les perspectives de la justice réparatrice”.

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