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21.11.2023

Recherche : handicap, inégalités professionnelles et politiques d'emploi

L'ouvrage Que sait-on du travail ? est sorti aux Presses de Sciences Po en octobre 2023. Parmi les nombreuses contributions rassemblées par le laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po, celle des chercheuses Anne Revillard, Célia Bouchet et Mathéa Boudinet : “Handicap, inégalités professionnelles et politiques d'emploi”.

Anne Revillard est professeure associée en sociologie à Sciences Po, directrice du LIEPP et membre du Centre de recherche sur les inégalités sociales (CRIS). Ses recherches portent sur l’articulation entre droit, action publique et transformations contemporaines des systèmes d’inégalités liées au genre et au handicap. Célia Bouchet est docteure en sociologie, affiliée au CRIS et affiliée au LIEPP. Sa thèse, soutenue en 2022, porte sur les positions socio-économiques des personnes ayant grandi avec un handicap. Mathéa Boudinet est doctorante en sociologie au CRIS. Sa thèse porte sur l’emploi des personnes handicapées, les politiques publiques et l’articulation entre genre et handicap. Rencontre avec les trois chercheuses.

Qu'est-ce que le handicap, et quels liens avec le travail ?

Le handicap a longtemps été compris comme un problème individuel, caractéristique des personnes ayant un corps “défaillant” : une jambe en moins, des yeux qui ne voient pas ou peu, etc. Depuis une cinquantaine d'années, cette conception médicale a largement été remise en cause, dans les sciences sociales mais aussi dans la société en général, sous l’effet des mobilisations des personnes handicapées elles-mêmes. Cette conception a ainsi été progressivement remplacée par un “modèle social du handicap”, qui met l'accent sur les causes sociales des désavantages que rencontrent les personnes handicapées : par exemple, le manque d'accessibilité des infrastructures et les stéréotypes sociaux. À travers le monde, les définitions politiques du handicap ont partiellement évolué dans cette direction. En France, la loi du 11 février 2005 définit le handicap comme “toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant”.

Handicap et travail ont des liens complexes. D’une part, le travail (au sens de travail rémunéré) peut être producteur de handicap, et certains emplois le sont plus que d'autres (voir les contributions de Catherine Delgoulet et d’Arnaud Mias dans cette série). Selon l’enquête Conditions de travail de la DARES, en 2019, 46 % des ouvrières et ouvriers sans qualification estimaient que le travail avait une influence négative sur leur santé, contre 30 % des cadres et professions intellectuelles supérieures. Cette même année, la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) enregistrait 7 fois plus d’accidents par million d’heures de travail salarié pour le corps ouvrier que pour les cadres (37 plutôt que 5), et 15 fois plus de maladies professionnelles sur l’année (34 079 plutôt que 2 205) (INSEE, 2023). Nous savons par ailleurs que les problèmes de santé sont moins bien compensés dans les milieux sociaux les plus modestes, si bien qu’ils sont plus souvent associés à des difficultés dans les activités du quotidien.

D’autre part, les personnes handicapées sont souvent pénalisées dans le monde professionnel. Historiquement, le handicap a longtemps été perçu comme incompatible avec l’exercice d’un emploi rémunéré. Cette perspective a évolué. Toutefois, les personnes handicapées rencontrent toujours des obstacles pour accéder à l'emploi, s'y maintenir et y progresser (Revillard, 2019). Dans cette contribution, nous mettons l’accent sur ces obstacles. Après un panorama général des inégalités professionnelles qui frappent les personnes handicapées, nous présentons les principaux enjeux des politiques publiques les concernant.

À quelles inégalités professionnelles les personnes handicapées sont-elles confrontées ? Existe-t-il des statistiques sur le sujet ?

Comme toute catégorisation, la démarche de catégorisation statistique d’une “population handicapée” court le risque d’essentialiser le handicap, en le traitant comme un attribut figé des personnes. Cette démarche est toutefois nécessaire pour mesurer les inégalités concrètes liées au handicap. Dans cette optique de mesure des inégalités, nous appelons ici “personnes handicapées” (par opposition à “personnes valides”) les personnes répondant à une certaine définition statistique, tout en ayant conscience des limites de cette approche et de la porosité de ces catégories. Plusieurs critères statistiques existent pour délimiter une population handicapée, et ils ne se recoupent pas totalement. Nous utilisons l’indicateur global de limitation d'activité (Global Activity Limitation Indicator ou GALI), qui recouvre l’ensemble des personnes déclarant être “limitées, depuis au moins six mois, à cause d’un problème de santé, dans les activités que les gens font habituellement”. Cet indicateur est intégré à la plupart des enquêtes de l’INSEE auprès des ménages, notamment l’Enquête emploi en continu (EEC).

Selon cette enquête, en 2021, 15 % des 15-64 ans étaient concernés, soit 6 millions de personnes. Leur taux d’emploi était de 51 %, contre 70 % pour les personnes valides, et leur taux de chômage était de 13 % (contre 8 %). 471 000 personnes handicapées appartenaient au halo du chômage, soit les personnes sans emploi désirant travailler mais n’étant pas disponibles dans les deux semaines ou en recherche active d’emploi. Cela correspond à 8 % des personnes handicapées de 15-64 ans (là où seules 4 % des personnes valides sont dans ce halo). Les personnes handicapées travaillent plus souvent à temps partiel : en 2021 c’était le cas de plus d’un tiers des femmes handicapées (contre un quart des femmes valides) et de 14 % des hommes handicapés (contre 7 % des hommes valides). Elles occupent en moyenne des postes moins qualifiés : 55 % d’ouvrières et d'ouvriers et d'employées et employés (44 % dans la population valide), et seulement 15 % de cadres, professions intellectuelles supérieures ou cheffes et chefs d’entreprise (24 % dans la population valide). Leurs conditions de travail sont souvent difficiles, notamment du fait des manquements des employeurs en matière d’aménagements qui peuvent être nécessaires (ex. aménagements techniques du poste de travail, aménagement des horaires…) (Lejeune, 2019). Ces personnes pâtissent plus généralement de milieux de travail qui restent globalement peu inclusifs tant sur le plan matériel (accessibilité) que symbolique (stigmatisation).

En parallèle de ces données concernant les individus vivant en ménage (selon la définition de l’INSEE), il ne faut pas oublier la situation des personnes handicapées vivant en institutions : en 2014 d’après l’enquête ES-Handicap, sur les 150 400 pensionnaires d’institutions spécialisées, seulement 25,6 % exerçaient un travail rémunéré, à plus de 97 % dans le milieu protégé (voir infra).

Les définitions larges du handicap utilisées par les enquêtes en ménage englobent par ailleurs des groupes hétérogènes en termes de types, degrés et moments de survenue du handicap. Les inégalités professionnelles vécues varient selon ces paramètres. Les dernières données disponibles sur ce point datent de 2011. Le moment de survenue du handicap compte. En 2011, 13 % des personnes handicapées (parmi les 15-64 ans) l’étaient de naissance, le tiers avant la fin des études, les 54 % restants ayant connu une survenue plus tardive du handicap. Or, presque 9 % des personnes handicapées depuis la naissance et 6 % des personnes handicapées depuis la période scolaire n’ont exercé aucun emploi régulier après leur scolarité ou leurs études, signifiant une absence de droits assurantiels - cas beaucoup plus rare dans la population handicapée plus tardivement (3 %) et la population valide (4 %).

Les désavantages rencontrés dans l’accès à l’emploi et en emploi se déclinent aussi selon les types et degrés de limitations. En 2011, le taux de chômage des personnes de 15-64 ans ayant fini leurs études initiales était en moyenne de 8 % pour la population valide et de 15 % pour les personnes ayant grandi avec un handicap ; mais, parmi ces dernières, il pouvait monter jusqu’à 22 % en cas de limitations cognitives fortes, 23 % en cas de limitations visuelles fortes et 26 % en cas de troubles psychiques forts (Bouchet, 2021a). Les inégalités dans les conditions de travail sont également d’ampleur variable. Les personnes handicapées disposent globalement de revenus du travail bien inférieurs à ceux des personnes valides : 1 personne sur 5 (19,4 %) ayant grandi avec un handicap perçoit moins de 10 000 € par an de revenus du travail, contre une sur 9 (11,2 %) pour les personnes valides. Cette proportion s’élève à 38,7 % pour les personnes ayant des limitations cognitives fortes, et 29,6 % pour les personnes ayant des troubles psychiques forts. Le handicap est donc fortement synonyme de pauvreté, et les politiques sociales jouent dans ce contexte un rôle vital pour beaucoup.

Le handicap interagit par ailleurs avec les autres rapports sociaux dans la distribution des positions sur le marché du travail. Les parcours professionnels des personnes handicapées sont soumis aux mécanismes genrés classiquement étudiés en sociologie. L’arrivée d’enfants dans le foyer a des effets différenciés en défaveur des femmes (diminution du travail rémunéré, voire arrêt total) (Boudinet et Revillard, 2022). Les taux de temps partiel sont bien plus élevés pour les femmes handicapées (37 %) que pour les hommes handicapés (14 %). Enfin, les phénomènes de ségrégation horizontale et verticale selon le genre structurent l'emploi des personnes handicapées : les femmes handicapées comme les femmes valides ont beaucoup plus de chances d’être employées (une femme handicapée sur deux contre 13 % des hommes handicapés en 2021 selon l’EEC), et les hommes d’être ouvriers (38 % des hommes handicapés contre 11 % des femmes handicapées). L’accès aux professions les plus valorisées varie également selon le genre : 17 % des hommes handicapés (27 % des hommes valides) étaient cadres, professions intellectuelles supérieures ou chefs d’entreprise, contre 13 % des femmes handicapées (21 % des femmes valides).

De même, les personnes handicapées d’origine favorisée peuvent moins compter sur une reproduction sociale liée à la classe : parmi les personnes en emploi, en 2021, selon l’EEC, alors que 48 % des personnes valides dont au moins un des parents était cadre, profession intellectuelle supérieure ou chef d’entreprise occupaient une position similaire, cette proportion n’est que de 35 % parmi la population handicapée.

Quelles sont les causes de ces inégalités ?

Ces inégalités reflètent pour partie la survenue plus fréquente du handicap chez des catégories de population déjà fragilisées dans leur rapport à l’emploi : personnes peu qualifiées, de plus de 50 ans, personnes ayant des emplois précaires plus producteurs de handicap. Mais il existe par ailleurs un effet propre du handicap. Dans certains cas, les problèmes de santé peuvent limiter la capacité de travail ou la disponibilité pour l’emploi : fatigabilité, douleurs, temps de la prise en charge médicale… Mais, les personnes handicapées sont surtout confrontées à des discriminations massives, directes ou indirectes. Les enfants, adolescents et jeunes adultes handicapés souffrent de discriminations dans leur accès à l’éducation à tous les niveaux : les aménagements disponibles restent insuffisants et la réflexion sur la nécessaire transformation du système éducatif pour une accessibilité universelle reste embryonnaire. Ces dynamiques alimentent une sous-qualification et un faible niveau de diplôme chez les personnes ayant grandi avec un handicap, ce qui restreint leurs opportunités professionnelles. L’accès à l’emploi est par ailleurs fortement entravé par le défaut d’accessibilité de l’espace public, des transports, du cadre bâti et des communications.

En outre, le handicap induit aussi un travail supplémentaire au travail : expliquer son handicap, négocier les aménagements nécessaires, revient le plus souvent aux salariés dans un contexte où la gestion du handicap reste largement perçue comme une responsabilité individuelle (Dalle-Nazébi et Kerbourc’h, 2013). Ainsi, la gestion (ou non-gestion) de ces contraintes par les employeurs détermine leur degré d’incidence sur la vie professionnelle. Par exemple, une personne qui a besoin de fragmenter ses horaires de travail peut se trouver très pénalisée dans des entreprises imposant des horaires fixes, alors qu’elle ne le serait pas si la flexibilité horaire était possible.

Si ces défauts d’accompagnement collectif du handicap au travail peuvent être analysés comme des discriminations indirectes, au sens d’un traitement apparemment neutre qui défavorise en pratique les personnes handicapées, ces dernières sont aussi et surtout victimes de discriminations directes dans l’accès à l’emploi et au travail : elles sont traitées défavorablement au motif de leur handicap (Bouchet, 2022). Dans toutes les études françaises par testing, les candidates et candidats à un emploi faisant mention d’un handicap reçoivent moins de réponses que les personnes valides, avec des ratios allant de 12 (Mbaye, 2018) à 32 (Ravaud, Madiot et Ville, 1992) personnes valides rappelées pour 10 personnes handicapées (voir aussi L'Horty, Mahmoudi et al., 2022). D’autres travaux statistiques identifient des présomptions de discriminations, c’est-à-dire des inégalités qui ne sont pas imputables à d’autres caractéristiques connues des individus. Par exemple, il existe des écarts de rémunération de plusieurs centaines d’euros entre les personnes en emploi qui ont grandi avec des limitations visuelles ou auditives fortes et les personnes valides qui ont les mêmes âge, sexe, statut migratoire, niveau de diplôme, temps de travail, catégorie socio-professionnelle et domaine d’activité (entre autres) (Bouchet, 2021b).

Quelles politiques publiques face à ces inégalités ?

Face à cette double marginalisation des personnes handicapées vis-à-vis du marché du travail et sur le marché du travail, que font et que devraient faire les politiques publiques ? Au regard de la gravité de la situation et notamment de la précarité des revenus du travail précédemment décrite, un premier constat s’impose : les politiques de l’emploi ne sauraient constituer une réponse suffisante. On peut, certes, œuvrer à favoriser l’insertion professionnelle et le maintien en emploi, mais il est essentiel d’assurer par ailleurs l’autonomie économique des personnes handicapées indépendamment de leur situation d’emploi (ce qui passe notamment en France par des dispositifs assistantiels - l’allocation aux adultes handicapés, et assuranciels - les pensions d’invalidité).

En outre, l’efficacité des politiques d’emploi des personnes handicapées est largement conditionnée par celle d’autres politiques publiques encore très lacunaires : politiques éducatives de la crèche à l’enseignement supérieur, mise en accessibilité des logements, des transports et de l’espace public… Les personnes handicapées font par ailleurs les frais des réformes visant la population d’ensemble, à l’instar de la récente réforme des retraites qui, augmentant la durée de cotisation nécessaire pour accéder à une retraite à taux plein, fragilise particulièrement ce public aux trajectoires professionnelles instables, notamment dans le cas des femmes handicapées (Boudinet et Revillard, 2022). La précédente réforme des retraites (votée en 2010), qui a relevé l’âge légal minimal de départ à la retraite de 60 à 62 ans, fournit en cela un enseignement précieux : alors que, pour les personnes valides, la durée passée en emploi après 50 ans s’est allongée en conséquence, les personnes handicapées ont essentiellement connu un allongement de la période sans emploi ni retraite (DREES, 2023, p.68).

En matière de politique d’emploi des personnes handicapées, l’action publique est marquée en France par la centralité d’un dispositif contraignant visant les employeurs, l’Obligation d’emploi des travailleurs handicapés (OETH). Conformément à cette politique, les entreprises et administrations publiques doivent embaucher au moins 6 % de salariées et salariés ou d’agents handicapées et handicapés, à défaut de quoi elles doivent s’acquitter (dans le cas des structures de plus de 20 salariés ou agents) d’une contribution à l’Association de gestion du fonds pour l'insertion des personnes handicapées (Agefiph) (pour le secteur privé) et au Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la Fonction publique (Fiphfp) (pour le secteur public). Cependant, le taux d’emploi direct des personnes handicapées reste globalement en deçà des 6 % prescrits par la loi : en 2021, il est de 3,5 % dans les entreprises privées et publiques et 5,4 % dans la fonction publique (DREES, 2023, p.64).

Si l’objectif n’est pas atteint, cette politique a néanmoins un effet incitatif pour les entreprises et les administrations du fait du coût qu’elle représente en cas de non-respect. Il faut toutefois se garder de comprendre cette incitation comme une incitation directe à l’embauche. En effet, ce qui compte pour les structures concernées est le nombre d’emplois déclarés, et non le nombre d’embauches de travailleurs handicapés : le nombre de travailleurs handicapés déclarés peut aussi augmenter grâce à des situations de maintien en emploi de personnes devenues handicapées (y compris du fait de handicaps résultant du travail lui-même). Si nous manquons d’études d’impact quantitatives sur ce point, les travaux qualitatifs signalent une tendance des employeurs à répondre ainsi à l’obligation d’emploi, par le maintien en emploi plutôt que par l’embauche (Valdes, 2016). Les effets de cette politique sur l’embauche en tant que telle restent donc à évaluer.

Cette politique court par ailleurs le risque de focaliser la politique handicap des employeurs sur cet objectif chiffré, au détriment de préoccupations telles que la qualité de vie au travail, la fourniture des aménagements nécessaires (constituant pourtant une obligation légale) et la progression professionnelle. Du côté des personnes handicapées elles-mêmes, cette politique impose une démarche de reconnaissance administrative du handicap qui peut être perçue comme stigmatisante, induisant un recours très variable. En pratique, les employeurs font aussi le plus souvent de cette reconnaissance administrative un prérequis pour l’accès aux aménagements nécessaires, aménagements qui interviennent par conséquent souvent trop tard par rapport aux besoins des personnes. Cette politique de l’obligation d’emploi n’est donc pas dénuée d’effets pervers et pourrait sans conteste être améliorée. Elle présente toutefois le mérite de poser une responsabilité forte des employeurs, là où les politiques de l’emploi visant d’autres publics marginalisés ciblent plus volontiers les demandeurs d’emploi.

Les politiques catégorielles permettent-elles l’inclusion ?

Parallèlement à cette politique centrale visant l’emploi “en milieu ordinaire” s’est développé depuis les années 1950 un secteur de travail “protégé”, actuellement géré par les établissements et services d’aide par le travail (ESAT) et accueillant principalement un public de personnes avec des handicaps intellectuels ou psychiques (respectivement 69 % et 23 % des individus en ESAT en 2014) (Boudinet, 2021). Ces structures qui fournissent un soutien médico-social en plus d’une activité professionnelle font l’objet d’importantes critiques, notamment du fait de leur caractère ségrégatif (lieux de travail séparés du milieu ordinaire) et du statut des personnes handicapées qui y travaillent (ne relevant pas du droit du travail). Malgré des réformes récentes visant à rapprocher leur statut du milieu ordinaire, les personnes handicapées en ESAT demeurent des usagers d’établissements médico-sociaux, et ne peuvent par exemple pas se syndiquer, faire grève, ou cotiser pour le chômage.

Dans plusieurs autres pays, l’emploi accompagné, consistant en un accompagnement individuel et durable des personnes vers l’emploi et dans l’emploi en milieu ordinaire, s’est développé comme une alternative prometteuse. Son développement est toutefois récent en France, et reste très timide (2 400 personnes actuellement accompagnées, dans le cadre d’un dispositif inscrit dans la loi depuis 2016). Parallèlement, les entreprises adaptées, qui constituent une forme d’intermédiaire entre travail protégé et travail dans des établissements classiques, ont connu d’importantes réformes visant à les rapprocher de ces derniers.

Finalement, que ce soit en matière d’accompagnement vers l’emploi ou de travail protégé et adapté, on fait face à une politique qui intègre de plus en plus une rhétorique “d’inclusion” et de rapprochement avec les politiques de droit commun. Si le principe est louable, il ne faut pas négliger l’ampleur des transformations nécessaires dans ces politiques de droit commun pour rendre effectivement possible une telle inclusion (Baudot et Pillon, 2023). Il s’agit de veiller à ce que cela ne se fasse pas au détriment des droits sociaux des personnes, tant en termes de revenus que d’accompagnement ou d’aménagements.

En matière de handicap comme pour d’autres populations marginalisées, il importe de ne pas opposer droits spécifiques et inclusion. Dans le secteur du handicap, le droit à la non-discrimination en matière d’emploi est ainsi loin de se limiter à un principe d’égalité de traitement, mais impose aux employeurs l’obligation de fournir aux personnes handicapées les aménagements raisonnables dont elles ont besoin : il s’agit donc d’une politique publique spécifique très substantielle, loin d’un principe abstrait. Au travail comme ailleurs, l’inclusion des personnes handicapées ne se décrète pas, c’est avant tout une affaire de politiques publiques.

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