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09.11.2018

Que sont devenus les soldats blessés de la Grande Guerre ?

En ce mois de novembre 2018 qui marque le centième anniversaire de l’armistice de 1918, nous rendons hommage au près d’1,5 million de soldats français tombés au front. Mais si les livres adaptés en films La chambre des officiers et Au revoir là-haut, ont fait prendre conscience de l’infinie souffrance des « gueules cassés », on sait mal ce que sont devenus les 1,3 million de soldats revenus invalides. C’est à ces hommes – et tout particulièrement à leur retour à la vie professionnelle – que Clément Collard, doctorant au Centre d’histoire consacre sa thèse : “La rééducation et la réintégration professionnelle des mutilés de la Grande Guerre de 1914 à 1940 “. Aperçu.

Votre étude montre que, dès les premiers mois de guerre, des actions de rééducation des soldats mutilés sont mises en place. Pourquoi une prise de conscience si précoce ?

Six mois après le début du conflit, des voix se font entendre et s’alarment du coût que le nombre de mutilés constituerait après-guerre : coût financier (à cause du paiement des pensions), et coût social (les invalides représentent une perte de main-d’œuvre qui s’ajoute aux milliers  de morts qui amenuisent considérablement la force de travail). On s’inquiète aussi du coût moral, car il apparaît inconcevable que les héros de la guerre soient confinés dans l’inactivité et perdent la dignité qu’ils ont conquise sur le champ de bataille. C’est dans ce contexte qu’un homme comme Édouard Herriot, maire de Lyon, décide de créer la première école de rééducation en  décembre 1914.

En quoi consistent ces actions de rééducation ?

De nombreux processus sont mis en place dès 1914, et notamment de très nombreux centres dans lesquels les mutilés peuvent réapprendre leur métier d’avant la guerre, en composant avec leurs blessures (grâce à des prothèses ou des appareillages notamment) ou, lorsque cela n’est pas possible, se former à une autre activité. L’offre concerne l’ensemble des secteurs professionnels. Des écoles spécialisées en « rééducation agricole » voient le jour permettant aux agriculteurs invalides de « retourner à la terre », - l’agriculture fait alors vivre  68 % de la population. Il y a également des écoles, généralistes, qui enseignent un large éventail de professions manuelles (cordonnier, vannier, ferblantier, etc.) et proposent aussi des formations pour des emplois de bureau. Enfin, la rééducation professionnelle entend s’adresser à tous les échelons de la société et des formations sont spécifiquement pensées pour les blessés les plus diplômés. Ainsi, à l’École Libre des Sciences Politiques, - ancêtre de Sciences Po -, est créé en 1917 un cours spécifiquement dédié aux officiers mutilés, afin de leur enseigner les notions nécessaires à l’exercice des professions d’encadrement dans l’industrie. En janvier 1918, une loi est adoptée qui crée un droit à la rééducation professionnelle pour les soldats mutilés et qui officialise ainsi l’accès à toutes ces offres.

Vous pointez aussi que la rééducation a permis à de nombreux mutilés d’acquérir une culture générale dont ils étaient dépourvus avant la guerre.

C’est en effet le cas pour deux types de public. Il s’agit tout d’abord  des élèves des écoles généralistes qui se destinent à des emplois publics. Ils préparent des examens afin d’accéder  aux « emplois réservés » aux invalides de guerre dans l’administration, grâce à une loi adoptée dès 1916. Lorsqu’on regarde certains parcours individuels, on décèle des trajectoires ascendantes d’invalides débutant  avec un niveau scolaire rudimentaire, voire illettrés, et qui parviennent à accéder à ces emplois de bureau qualifiés grâce à l’enseignement général dispensé dans les centres de rééducation. Une autre possibilité est offerte aux « mutilés agricoles ». Des prothèses spécfiques sont créées, afin de leur permettre de poursuivre leurs travaux dans leurs fermes. Dans les centres dédiés est aussi avancée l’idée que la perte de capacité physique doit être compensée par une meilleure connaissance technique : des cours de semence, d’horticulture ou de maîtrise des machines agricoles sont dispensés, si bien que la rééducation professionnelle a permis de former des agriculteurs bien plus compétents que s’ils n’avaient pas été contraints par leur blessure à ce type d’éducation.

Ces entreprises étaient aussi en charge de proposer des emplois pour ceux qui ne pouvaient reprendre leurs activités précédentes. Quels emplois leur a-t-on proposé ?

Outre les emplois réservés aux mutilés dans la fonction publique, de nombreux processus sont mis en place tels que des « prêts d’honneur » accordés par l’Office national des mutilés, qui permettent aux invalides désirant lancer leur « affaire » artisanale d’acheter les locaux et le matériel nécessaire. Enfin, une  loi de 1924 instaure une préférence à l’emploi en faveur des mutilés de guerre, en contraignant les entrepreneurs à compter parmi leur force de travail 10 % de pensionnés de guerre. Nous avons tous en tête l’image d’Épinal du mutilé de guerre gardien de square ou surveillant de musée ; elle n’est pas complètement fausse, mais elle est à relativiser, de nombreuses possibilités leur ont été offertes.

Dans le processus de réinsertion de ces soldats, il y avait aussi un enjeu financier important…

Il est fondamental dans la mise en place de la rééducation professionnelle. L’idée est que, sans une réintégration du monde du travail, les mutilés de guerre seraient livrés à l’assistance publique et ne devraient compter que sur le montant de leurs pensions pour subsister. Or, celles-ci ne peuvent être élevées pour des raisons budgétaires et du fait du nombre conséquent d’individus concernés. Le retour au travail des personnes invalides est donc vu comme un moyen de contrôler ce coût pour l’État.

Un des aspects importants de votre travail est de souligner que c’est à cette occasion que se sont mis en place les fondamentaux des politiques d’insertion des personnes en situation de handicap...

En effet, si cette politique est pionnière, et la Première Guerre mondiale le point de départ d’une réflexion globale sur l’emploi des invalides, on observe que la majorité des mesures prises à destination des mutilés de la Grande Guerre sont progressivement étendues à l’ensemble des invalides : au cours des années 1920, les écoles de rééducation professionnelle s’ouvrent aux infirmes civils et aux accidentés du travail. La loi de 1924 qui a instauré le quotas de travailleurs invalides de guerre dans les entreprises, constitue le fondement de « l’obligation d’emploi » des personnes en situation de handicap, consolidée par les lois de 1987 et 2005 en France.

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Légende de l'image de couverture : Musée d'Histoire contemporaine, Paris © BDIC Museum d'histoire contemporaine