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16.06.2017
Juin 1967, la guerre la plus longue
Par Samy Cohen (CERI). 1967-2017 : 50 ans sont passés depuis la victoire écrasante de Tsahal sur les armées égyptienne, syrienne et jordanienne, remportée au terme d’une guerre de six jours, la « plus courte de l’histoire d’Israël ». Un puissant sentiment d’optimisme s’emparait alors des Israéliens, sûrs que face à leur armée « invincible », les Arabes n’avaient plus d’autres choix que de négocier un accord de paix. Cette euphorie est assez compréhensible. La population venait de vivre des semaines d’angoisse éprouvantes, convaincue que Gamal Abdel Nasser lancerait une attaque-surprise.
Plus discutable est la construction ex-post qui a été faite de la nature de cette guerre. Ce n’est pas la plus courte mais la plus longue des guerres d’Israël. Celle des Six Jours peut se lire comme la matrice, le prélude à une longue période d’insécurité et de conflits à répétition, au cours desquels des milliers d’Israéliens ont péri, sans compter les nombreuses pertes civiles palestiniennes et libanaises. La victoire-éclair de 1967 a suscité une puissante volonté de revanche de la part des perdants et des dominés. Elle a transformé la guerre des Six Jours en une guerre de cinquante ans, ponctuée de périodes d’accalmie plus ou moins brèves.
Après l’OLP, le Hezbollah
Dès 1967, Tsahal, l’armée israélienne, eut maille à partir avec une OLP réorganisée sous la houlette de Yasser Arafat. En représailles à un attentat, perpétré contre un autocar dans le désert de l’Arava, l’armée lança, en mars 1968, une importante opération militaire sur le QG d’Arafat de Karameh en Jordanie. Elle passa pour un échec : Tsahal perdit 33 hommes et pour l’OLP ce fut l’occasion de recruter de nombreux volontaires. Au Sud-Liban, les fedayins palestiniens commencèrent à lancer des attaques contre les villages israéliens bordant la frontière.
Puis l’Égypte, à son tour, défia Israël, provoquant deux conflits armés. Si la guerre d’Usure (1969-1970) ne modifia pas le rapport de force entre les deux pays, celle du Kippour fut autrement plus grave. Elle commença le 6 octobre 1973 par une vaste offensive de l’armée égyptienne contre la ligne Bar-Lev, des fortifications érigées le long du canal de Suez, dont l’ampleur et l’efficacité ont surpris les dirigeants israéliens. Au bout de trois semaines de combats très durs, au sud comme au nord contre la Syrie, Tsahal put inverser la situation en sa faveur, mais au prix de 2 500 soldats tués.
En juin 1982, le gouvernement de Menahem Bégin lança l’opération « Paix en Galilée » au Liban, dans le but de se débarrasser une fois pour toutes de l’OLP et d’œuvrer en faveur d’un État dominé par les chrétiens, avec qui Israël signerait un traité de paix. Elle tourna au fiasco. Arafat fut vaincu et évacué vers la Tunisie, mais l’OLP ne fut pas mise hors jeu.
Et surtout une nouvelle guérilla émergea, celle du Hezbollah, qui introduisit au Proche-Orient la technique des attaques-suicides. Un contingent de 2000 soldats fut chargé d’entretenir une zone de sécurité au Sud-Liban. Ce fut un piège dans lequel Israël s’enferma pendant 15 années, le Hezbollah harcelant régulièrement ses troupes, enlevant et tuant des soldats. L’armée perdit 1 500 hommes entre 1982 et 2000, pour un résultat calamiteux.
Vaincre le terrorisme à tout prix
Dans les territoires occupés la situation ne cessait de se dégrader. Les problèmes de fond, tels que les aspirations nationales ou les problèmes économiques et sociaux des Palestiniens, étaient ignorés. La tension s’aggrava avec le développement des colonies. En décembre 1987 éclata la première Intifada, la « révolte des pierres ». L’armée mit en œuvre une politique de châtiments collectifs destinée à briser le moral des insurgés, procédant à des arrestations par milliers.
Mais toutes ces mesures renforcèrent la résistance. Au bout de plusieurs années de vaine répression, Yitzhak Rabin devait se résoudre à l’idée qu’il n’y aurait pas de solution militaire à ce conflit. Une prise de conscience qui ne fut pas étrangère à la signature des accords d’Oslo, en 1993, actant la reconnaissance mutuelle entre Israël et l’OLP.
Mais cette nouvelle ère porteuse d’espoir de paix fut combattue par les radicaux des deux bords. Le Hamas et le Djihad islamique lancèrent leurs attaques-suicide dès 1994, tandis que la droite s’en prenait à Rabin, assassiné par un jeune colon extrémiste en novembre 1995. En juillet 2000, Ehud Barak retira l’armée du Sud-Liban et reprit le processus de paix, gelé par son prédécesseur Benyamin Netanyahu, mais sans aboutir à un quelconque résultat. En septembre éclatait alors la seconde Intifada, sous la forme d’attaques terroristes faisant plus d’un millier de morts, et contribuant largement à son échec aux élections de février 2001, face à Ariel Sharon.
Convaincu de la nécessite de vaincre le terrorisme à tout prix, Sharon ordonna à l’armée, en avril 2002, de pénétrer dans Djénine, sous contrôle de l’Autorité palestinienne. Suite à l’opération « Rempart » les principales cellules radicales furent démantelées. Fin 2004, les Israéliens recommençaient à vivre normalement. Toute menace n’était pas écartée pour autant. Tsahal et le Shin Beth (le service de sécurité israélien) continuant, jusqu’à ce jour d’ailleurs, infiltrations et arrestations. La seconde Intifada a fait plus de 4000 tués parmi les civils palestiniens.
Le Hamas et le Hezbollah plient mais ne rompent pas
Vaincu en Cisjordanie, le Hamas se replia sur son fief de Gaza, gardant une capacité de nuisance non négligeable. Conscient que la présence israélienne dans la bande de Gaza était une absurdité, Ariel Sharon annonça, en 2003, son intention de retirer l’armée et les 7 500 colons. Mais le désengagement terminé en 2005, les tirs de roquettes Kassam reprirent.
La tension s’aggrava, en juillet 2006, avec la seconde guerre du Liban, l’évènement le plus traumatisant de cette période. Le premier ministre israélien Ehud Olmert décida de lancer une offensive contre le Hezbollah pour le punir de son attaque contre un fortin situé au long de la frontière avec le Liban. Ses infrastructures et plusieurs sites civils dans Beyrouth furent bombardés. Des centaines de Katioucha furent tirées vers Israël. Résultat : Tsahal n’atteignit aucun de ses objectifs militaires et perdit plus d’une centaine de soldats. Compte tenu du réarmement massif du Hezbollah, un nouvel affrontement aurait des conséquences incalculables.
Les attaques du Hamas au sud se poursuivirent s’ajoutant à l’humiliant enlèvement du caporal Gilad Shalit qui était survenu en juin 2006. Le Hamas réclama pour sa libération l’élargissement d’un millier de prisonniers incarcérés en Israël, qu’il finit par obtenir. Ces attaques exaspérèrent l’opinion publique qui réclama vengeance. L’opération « Plomb durci » menée à Gaza, fin 2008-début 2009, fut meurtrière, faisant 1 390 morts, dont plus de 750 civils, selon l’ONG B’tselem.
Mais les tirs de roquettes reprirent peu après et conduisirent en 2012 à l’opération « Pilier de défense » qui dura une semaine et fut marquée par l’élimination du chef des Brigades Iz-al Din al-Qassam, Ahmed Jaabari. Les hostilités repartirent de plus belle à l’été 2014, suite à l’enlèvement et l’assassinat de trois jeunes israéliens en Cisjordanie, attribués par le gouvernement israélien au Hamas, qui conduisirent à l’opération « Bordure protectrice ».
L’« armée la plus puissante au Proche-Orient » ne réussit pas, au terme de 50 jours de combats, à vaincre militairement les quelques milliers de combattants du Hamas, même si elle les a sérieusement affaiblis. Elle subit alors les pertes les plus importantes qu’elle ait connues lors d’un affrontement avec ce mouvement : 64 soldats, sans compter les 8 civils tués. Plus de 2 000 Palestiniens trouvèrent la mort, dont la moitié étaient des civils.
Victoire empoisonnée pour Israël
La victoire de juin 1967 était censée assurer la sécurité d’Israël, renforcer sa capacité de dissuasion et ouvrir la voie à un accord de paix avec le monde arabe. Certes, la paix a été conclue avec l’Égypte en 1979 (puis en 1994 avec la Jordanie), mais c’est la guerre du Kippour et non celle des Six Jours qui a permis à Anouar el Sadate de se rendre à Jérusalem la tête haute.
Pour le reste, la victoire-éclair de 1967 a eu des conséquences dramatiques pour Israël : occupation des territoires, prolifération de colonies de peuplement, éveil d’un nationalisme palestinien, radicalisation des groupes armés hostiles à Israël, émergence d’un messianisme juif agressif, fracture sociétale entre colombes et faucons et entre religieux et laïcs, et enfin pertes importantes en vies humaines des deux côtés, israélien et arabe. La dissuasion, quant à elle, n’a fonctionné que par intermittence et chaque confrontation oblige Tsahal à élever le niveau de sa riposte.
Le grand paradoxe est qu’en juin 1967 Israël n’avait pas de projet d’expansion territoriale. Il fit cette guerre le dos au mur. Il dut ensuite gérer cette victoire pour le moins empoisonnée, et il le fit mal. Le refus arabe exprimé à Khartoum, en septembre 1967, de négocier avec Israël servit les tenants de la colonisation, alors qu’au départ l’occupation se voulait temporaire. Un sentiment d’invincibilité modifia de fond en comble l’état d’esprit des dirigeants, convaincus qu’il n’y avait nulle urgence à se défaire de ces territoires.
Dès juin 1967, plusieurs personnalités, comme Aryé Eliav, le général Mati Peled et Uri Avnery, s’engagèrent en faveur d’un État palestinien. Mais Golda Meir fit la sourde oreille. Un quart de siècle plus tard, Yitzhak Rabin signait les accords d’Oslo, avec toutefois une sérieuse réserve : il ne voulait pas d’un État palestinien mais d’une « entité moins qu’un État ». Il le répétera encore la veille de son assassinat.
Les Israéliens, naguère euphoriques, se sont laissé convaincre qu’ils devront « vivre éternellement par l’épée » et que les territoires sont plus importants que la paix. Qu’elle est loin, la jolie victoire de 1967 !
Samy Cohen, directeur de recherche émérite, Centre de recherches internationales de Sciences Po (CERI).
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.