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23.09.2022
Tour d'horizon du Festival des 150 ans de Sciences Po
Le 16 septembre 2022, le Festival des 150 ans de Sciences Po offrait un programme de festivités divers et foisonnant : conférences internationales, invités prestigieux, gala d’éloquence, performances d’artistes, concerts, projections… Avec plus de 3000 visiteurs, le bâtiment historique du 27 rue Saint-Guillaume et le tout nouveau campus du 1 Saint-Thomas ont vibré de midi à minuit. Morceaux choisis.
Conférence de Bruno Latour : “The New Free University”
Cet après-midi du 16 septembre, les gradins de la Cour Gribeauval du nouveau campus du 1 Saint-Thomas étaient combles pour accueillir le philosophe, anthropologue, sociologue et professeur émérite Bruno Latour, dans le cadre d’une conférence sur le thème “La nouvelle université libre”.
Le directeur de Sciences Po, Mathias Vicherat, a fait part de son admiration pour cet "enchanteur" qui a su "renouveler la façon de penser et de s'exprimer en Sciences sociales", avec des initiatives originales comme la création du médialab ou du master en Arts politiques de Sciences Po.
Bruno Latour part du même constat qui a poussé Émile Boutmy à fonder Sciences Po : les dirigeants ne sont pas correctement formés à leur métier. En 1872, le fondateur de ce que l’on appelle alors l’École libre des sciences politiques, crée un cursus complet mêlant science politique, économie, histoire, géographie, langues, à même de permettre aux gouvernants de répondre aux enjeux de leur temps.
150 ans plus tard, le changement climatique bouleverse notre monde. Il est temps de repenser un cursus à destination des hauts fonctionnaires, des journalistes, des dirigeants du privé, qui permette d'appréhender correctement ces nouveaux enjeux écologiques. Au programme, selon Bruno Latour ? Réintégrer des sciences naturelles, envisager notre environnement comme un tout, travailler avec les populations concernées très directement par les changements climatiques.
Découvrir le discours de Bruno Latour en intégralité
École de journalisme : “Informer en temps de guerre”
Pour cette journée exceptionnelle, l’École de journalisme (EDJ) avait convié dans sa toute récente Newsroom, trois alumni : Valentin Boissais, reporter à RTL ; Ksénia Bolchakova, co-auteure du documentaire “Wagner, l’armée de l’ombre de Poutine” et Anthony Lebbos, envoyé spécial BFM TV. Ils étaient accompagnés de Franck Mathevon, rédacteur en chef de la rédaction internationale de Radio France et professeur à l’EDJ, pour évoquer le sujet “Informer en temps de guerre”.
D’une voix commune, la préparation insuffisante des journalistes à se rendre en terrain de guerre a été mentionnée, tout comme la possibilité de s’opposer à une mission que l’on juge trop dangereuse ou volatile, en prenant en compte à la fois la situation sur le terrain et ses propres limites. S’agissant de la mission du reporter sur place, la vérification des informations fournies est centrale pour ceux qui ont été “les yeux, sur le terrain, des rédactions à Paris”. Les questions de la demande des médias, de la lassitude du public et de l’impact d’une telle expérience ont également été discutées. Une session riche en apprentissages, et teintée de la mémoire de Frédéric Leclerc-Imhoff, leur collègue disparu en mai dernier dans le Donbass.
(Re)voir la conférence en intégralité
Libertés académiques : que doit la communauté universitaire à la société ?
Dans le cadre de la Semaine des libertés académiques organisée à Sciences Po du 14 au 16 septembre, Michael Ignatieff, professeur d’histoire, écrivain et ancien homme politique ; Silvia Giorguli, directrice d’El Colegio de México et Sergei Guriev, directeur de la formation et de la recherche et professeur au département d’économie de Sciences Po, étaient les trois invités d’une table ronde orchestrée par Vanessa Scherrer, directrice des affaires internationales de Sciences Po, afin de discuter du sujet essentiel : “Libertés académiques : que doit la communauté universitaire à la société ?”.
Au cœur des interventions et des questions posées par les étudiants et professeurs présents dans l’amphithéâtre : la liberté d’étudier, d’enseigner et de faire de la recherche, comme condition nécessaire pour que la société dans son ensemble soit libre.
Les trois intervenants ont évoqué les limites de toute liberté, chaque droit impliquant un devoir, en l'occurrence celui d’aider la société civile à faire face à ses défis, mais aussi l’importance de promouvoir un débat universitaire et social respectueux des idées ainsi qu’une recherche intègre qui échappe à la censure et à l’autocensure.
Lire l’article résumé de l’événement
#ScPoAcademicFreedom
Gala d’éloquence des 150 ans
Alors que Sciences Polémiques, l’association historique d’art oratoire de Sciences Po célèbre quant à elle son 15e anniversaire, d’anciens vainqueurs des différents concours d’éloquence étaient rassemblés le soir du 16 septembre devant un jury exceptionnel de diversité et d’excellence, et un amphithéâtre Émile Boutmy comble et enthousiaste.
“La parole, ça libère toujours parce que prendre la parole, cela veut dire surmonter, se lancer, sans forcément savoir où aller. Alors la prendre, cela élève, et la maîtriser, c’est donner envie aux autres d’écouter”. À travers les mots prononcés en introduction par Léa Gobbi, présidente de Sciences Polémiques, c’est l’art oratoire qui prend tout son sens.
Les orateurs et oratrices d’un soir sans véritable concours, ont planché sur six sujets aussi divers que :
S’éveiller, est-ce surveiller ? ; La virilité fait-elle mauvais genre ? ; Universel(s) : les lumières ont-elles besoin d’ombre? ; Sur quelle tête poser l’auréole d’un Dieu qu’on a guillotiné ? ; Eco-logis : comment habiter ses nouvelles habitudes et enfin La transparence en politique conduit-elle au voyeurisme ?
Avec brio, malice, drôlerie et performances physiques même parfois, les six artistes de la parole et du verbe ont tous et toutes délivré des prestations dignes de ce grand anniversaire. “Le débat, la controverse sont au coeur de l’ADN de Sciences Po (...) Restez tout à la fois vivants, amusants et engagés, avec deux qualités fondamentales : l’humour qui est une distance sur soi et sur le monde, mais aussi avec de vraies capacités d’indignation et d’émerveillement”, a déclaré Mathias Vicherat, directeur de Sciences Po, à l’adresse des orateurs et oratrices du soir et à l’ensemble des étudiants de l’auditoire.
Revoir le Gala d'éloquence des 150 ans en intégralité
Le Tribunal pour les générations futures
“Au Tribunal pour les générations futures, les questions débattues le sont dans l'intérêt de nos descendants à tous, c'est donc dans l'espoir de leur offrir un avenir meilleur que nous allons juger aujourd'hui l’affaire suivante : “Faut-il déserter ?” Pour tenter de répondre à cette question, une présidente, un avocat et un procureur ont appelé à la barre cinq témoins sommés de jurer de s’exprimer dans l’intérêt des générations futures.
Avec en toile de fond la crise écologique, c’est un véritable phénomène de désertion qui s’est opéré ces deux dernières années : en 2021, ce sont près de 48 millions d'Américains qui ont quitté leur emploi alors qu’en France, le nombre de démissions a augmenté de 20 % entre l’été 2019 et l’été 2021. Un sondage réalisé dans 34 pays indique que près de la moitié des jeunes préférerait être sans emploi plutôt que malheureux dans un travail peu apprécié.
Première appelée au banc des témoins, Charlotte Halpern, chercheure et enseignante à Sciences Po, estime que les jeunes désertent “un système économique qu’ils ne considèrent plus en adéquation avec leurs valeurs ou en tout cas avec ce qu’ils considèrent en adéquation avec ce que requiert l’habitabilité de la Terre”.
Le journaliste Hugo Clément se définit pour sa part comme “l’exemple même de celui qui n’a pas déserté”, qui n’a pas quitté le système médiatique dont il est issu, pour mieux l’utiliser et trouver des leviers d’action pour informer sur les questions environnementales qui lui semblent primordiales.
Troisième témoin, Mathias Vicherat, directeur de Sciences Po, considère quant à lui que “l’on est heureux lorsque l’on est aligné avec ce que l’on est, avec ses valeurs et la tâche que l’on accomplit, le travail que l’on a”.
La co-fondatrice de Raise et femme d’affaires, Clara Gaymard, quant à elle, ne perçoit pas la démission comme négative, au contraire : “Si la démission est une forme de remise en question, alors oui, c’est bon, le doute. C’est quand l’on a confiance en soi que l’on peut douter, se questionner soi-même", a-t-elle partagé.
Dernière invitée à témoigner, la jeune activiste pour le climat Camille Etienne, souligne à son tour l’importance de trouver du sens à ce que l’on fait pour mieux “servir le bien commun”, car si l’on choisit de déserter “alors il faut que ce soit politisé, il faut le faire avec fracas et panache”. Et si l’on déserte, si l’on fuit, c’est “pour refuser de coopérer avec un système qui détruit l’intégralité du vivant.”
Cinq personnalités, cinq témoignages qui ont chacun à leur manière influencé le vote final du public : pour ou contre la désertion ? (Re)voir l’intégralité du Tribunal des générations futures et découvrir le verdict !
Conférence “Les doyens face à l’actualité”
Invités à s’exprimer sur l’actualité, les huit doyennes et doyens de Sciences Po, ainsi que Sergei Guriev, directeur de la recherche et de la formation, ont pris la parole tour à tour sous format TEDx. 30 minutes pour informer, convaincre et capter l’attention : mission accomplie !
Urgence climatique et transmission en toile de fond
Philippe Martin, doyen de l’École d’affaires publiques, a présenté le lien entre inflation et crise énergétique. S’interrogeant sur l’utilisation de la politique budgétaire pour lutter contre la poussée inflationniste, il a insisté sur l’intérêt de cette inflation pour atteindre le bon mix énergétique.
Tommaso Vitale, doyen de l’École urbaine, s’emparant du sujet des villes comme facteur de “destruction de la planète”, a expliqué que les enseignants étaient au service de la transition écologique, qu’aujourd’hui notre défi résidait dans “la nouvelle gouvernance des ces défis majeurs”. Natacha Valla, doyenne de l’École du management et de l’impact, a expliqué que si les entreprises ont souvent été pointées du doigt, l’heure était à la réconciliation avec ces entités génératrices de croissance. “Nous sommes dans une phase de prise en main citoyenne et politique pour déployer le cadre normatif de demain”.
La quête de la vérité
À l’heure de la sur-information qui entraîne parallèlement des phénomènes d’évitement (plus d’un français sur deux souffre de fatigue informationnelle selon une enquête Fondation Jean Jaurès / Arte), Marie Mawad, doyenne de l’École de journalisme, a évoqué “la crise de confiance qui représente le défi du journalisme”. Grâce au socle académique dispensé, les étudiants peuvent décrypter le monde, se rapprocher des faits, de l’objectivité. Sébastien Pimont, doyen de l’École de droit, a expliqué que le projet intellectuel de Sciences Po était décliné au cœur de la formation. Un cursus qui apprend aux étudiants à trouver des solutions au service du bien commun, sans se contenter d’une solution uniquement “technique”. Pierre François, doyen de l’École de la recherche a ajouté quant à lui, “le savoir des sciences sociales est un savoir qui met au cœur de son existence la recherche de la vérité. Cette recherche n’est pas partagée par tout le monde, il y a un rapport à la vérité qui peut relever du déni”.
Tournés vers l’international
Face à l’impact économique de la guerre engagée par la Russie, Sergeï Guriev, directeur de la formation et de la recherche, a appelé les Européens à ne pas alimenter financièrement ce pays qui cherche uniquement à financer cette lutte et à anéantir le peuple ukrainien.
Stéphanie Balme, doyenne du Collège universitaire, a explicité la notion de G3 : entendue comme la relation entre les États-Unis, la Chine et l'Union européenne afin de sortir de la relation historique, exclusive et souvent toxique entre Pékin et Washington. Le concept de G3 permet aussi de questionner la capacité de l'Union européenne à devenir une puissance d'équilibre entre ces deux puissances. Arancha González, doyenne de l’École des affaires internationales, a démontré en quoi le monde se trouvait face à un choix : coopération ou fragmentation. “Oeuvrer pour la coopération, c’est agir pour la croissance” a-t-elle déclaré en rappelant que 85% de la croissance européenne provient de l’extérieur. Un nouveau système multilatéral basé sur la co-construction est appelé de ses vœux afin de démultiplier, collectivement, nos capacités.
(Re)voir les prestations des doyennes et doyens en intégralité