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20.08.2018
Que peut faire le droit pour les animaux ?
Le combat pour limiter ou supprimer la souffrance animale est de le plus en plus présent dans le débat public. Expériences scientifiques, corrida ou encore foie gras sont l’objet de critiques insistantes. Des vidéos dénonçant les conditions de vie et de mort des animaux sont largement diffusées et le véganisme, encore confidentiel il y a quelques années, fait de plus en plus d’adeptes. Quel est l’apport du droit dans ce contexte ? Régis Bismuth, professeur à l’École de droit de Sciences Po et co-directeur de l’ouvrage Sensibilité animale. Perspectives juridiques (CNRS éd.) dresse un tableau des avancées des droits des animaux.
En 2015, le Code civil français a été modifié pour reconnaître l’animal comme un “être vivant doué de sensibilité” et non plus comme un “bien meuble”. Est-ce une avancée importante pour le droit animalier ?
Oui et non. Ce que l’on a retenu du nouvel article du Code civil (515-14) est surtout sa première partie, à savoir que les animaux “sont des êtres vivants doués de sensibilité”, et moins la seconde indiquant que “sous réserve des lois qui les protègent, (ils) sont soumis au régime des biens.” Ainsi, la protection reconnue aux animaux dépend surtout d’autres branches du droit, ce qui fait que l’apport de cette disposition n’est que très marginal.
Quelle est l’origine du statut juridique de l’animal ?
Le droit animalier, en Europe tout du moins, a été défini par rapport à nos relations avec les animaux et non en fonction de l’animal en lui-même, pris dans sa subjectivité. On peut faire remonter ce droit animalier au Martin’s Act (Cruel Treatment of Cattle Act) adopté en 1822 en Angleterre. Il interdit les actes de cruauté à l'encontre du bétail. C’est un progrès mais il reste limité à une catégorie d’animaux. En France, c’est la loi Grammont de 1850 qui est la première à s’occuper des animaux en sanctionnant les mauvais traitements exercés à leur encontre en public. Mais ici c’est la sensibilité du public qui est visée et non la souffrance de l’animal.
Il a fallu plus d’un siècle pour que la loi soit modifiée - en 1959 - et pour que les mauvais traitements infligés en privé deviennent condamnables. Depuis, le droit protégeant les animaux se développe régulièrement, en intégrant notamment l’exigence de leur bien-être. Mais force est de constater qu’il reste essentiellement déterminé par l’usage que nous faisons des animaux.
Qu’entendez-vous par “usage” des animaux ?
Pour bien comprendre, il faut se référer aux catégories d’animaux établies par le droit : il y a les animaux de rente, destinés à « la production de denrées alimentaires, de laine, de peaux ou d’autres fins agricoles ». Les autres catégories étant les animaux de compagnie, les animaux de loisirs, ou bien encore les nuisibles. Derrière ces catégories, il y a des enjeux économiques considérables. Il y a bien sûr ceux de l’industrie agro-alimentaire mais pas seulement. On peut penser par exemple aux animaux destinés aux expérimentations scientifiques ainsi que ceux dédiés aux activités sportives.
Y a-t-il d’autres enjeux qui entrent en ligne de compte ?
Oui, ils sont multiples et s'entremêlent souvent mais l’économie est quasiment toujours en arrière-plan. Prenons les débats autour de la corrida. Ceux qui la défendent parlent tout d’abord de culture, de tradition. Mais ils parlent aussi des revenus et des emplois que génèrent les corridas qu’il s’agisse de l’élevage ou du tourisme. Un autre exemple - intéressant car il a fait l’objet de batailles juridiques entre le Canada et l’Europe - est celui des produits issus de phoques. En Europe, leur vente est interdite à moins que ces produits proviennent de la chasse traditionnelle. Le Canada a contesté cette interdiction auprès de l’Organisation mondiale du commerce qui, dans l’ensemble, a donné raison à l’Europe. Or, les arguments du Canada étaient audibles. Ceux-ci pointaient entre autres le fait que l’Europe autorise des pratiques plus contestables telles que les conditions de vie des cochons d’élevage qui sont pires que celles des phoques qui vivent à l’état naturel. Cet exemple est important parce qu’il montre que nos rapports aux animaux sont différents d’un espace à l’autre. Son intérêt tient aussi au fait qu’il fait entrer en jeu les conditions de vie et pas seulement de mort.
Et qu’en est-il dans le droit européen ? Les conditions de vie des animaux sont-elles une préoccupation?
Oui, mais à la marge. Par exemple, le droit européen va fixer une taille des cages d’élevage des poulets afin qu’elles soient agrandies. Mais en même temps qu’il établit le principe du bien-être des animaux, il prévoit des exceptions : rites religieux, traditions culturelles, patrimoines régionaux. Mais, bien sûr, tout cela peut évoluer car les législateurs sont aussi à l’écoute de l’opinion publique
Une opinion publique qui sélectionne aussi ses sujets d’indignation…
L’opinion publique est multiforme et elle, aussi, évolue. Les émotions y jouent une part essentielle. On est plus facilement révolté par des souffrances infligées aux animaux “mignons” ou bien à ceux qui renvoient à une certaine forme de noblesse tels les chevaux, ou d’intelligence, telles les baleines. La proximité avec l’humain est aussi une dimension qui compte. Prenons le cas des animaux de laboratoires. La souffrance qu’éprouvent les rats soumis à des expériences permettant de faire avancer notre bien-être est mieux tolérée que lorsque ces expériences sont réalisées sur des grands singes. Ces dernières sont d’ailleurs particulièrement limitées par le droit de l’Union européenne sous l'argument que les grands singes ont des comportement sociaux qui se rapprochent particulièrement de ceux des humains... Mais la recevabilité de ce critère d’intelligence a été contestée dès à la fin du XVIIIe siècle par le philosophe anglais Jeremy Bentham. Il écrivait que la question n’est pas de savoir si on peut être capable de raisonner ou de parler pour être protégé mais si l’on peut souffrir, sans quoi, argumentait-il, on pourrait très bien s’autoriser à faire souffrir des nourrissons du fait qu’ils ne parlent ni ne pensent.
Les combats contre la souffrance animale ne cessent de s’étendre...
Absolument. Il y a par exemple la question des animaux de cirques. Dans un certain nombre de pays européens, les animaux sauvages sont interdits dans les cirques et certaines communes en France prennent des mesures similaires. D’ailleurs, le monde du cirque est en train de le comprendre et l’un de ses acteurs majeurs, André-Joseph Bouglione, a décidé d’arrêter les spectacles d’animaux. La question se pose aussi pour les delphinariums : un arrêté de 2017 leur a interdit la reproduction, les échanges et l'importation d’orques et de dauphins. S’il a été remise en cause par le Conseil d’Etat en janvier dernier, il ne faut pas perdre de vue que c’est un mouvement inéluctable. Se posent aussi des questions plus inattendues. Je pense aux pièges à souris collants qui ont été interdits en Irlande. On peut aussi mentionner cette nouvelle loi adoptée en Suisse imposant que certains crustacés soient étourdis avant d’être plongés dans l’eau bouillante.
Il y a donc des progrès notables inscrits dans le droit ?
Oui, et c’est davantage par le biais de telles initiatives,que via le Code civil, que l’on voit des avancées. C’est d’ailleurs ce constat qui a conduit des étudiants à réaliser un projet sur la “Labellisation du bien-être animal” au sein du programme « Responsabilité et Innovation Sociale des Entreprises » de la Clinique de l’École de droit de Sciences Po. L’idée étant de mieux encadrer l’information affichée sur les produits. Les avancées doivent aussi beaucoup aux associations de défense des animaux, aux méthodes parfois contestables, mais qui ont eu le mérite de rendre publiques certaines pratiques et, finalement, de faire avancer le débat.
Régis Bismuth, Fabien Marchadier, Sensibilité animale. Perspectives juridiques, CNRS Éditions, juin 2015
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