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05.04.2018

Penser la ville

Patrick Le Galès, directeur de recherche CNRS au Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences Po (CEE), doyen de l’École Urbaine et Fellow de la British Academy, vient de recevoir la prestigieuse médaille d’argent du CNRS. Une distinction qui vient souligner la qualité de ses recherches en science politique et en sociologie, mais aussi l’engagement d’un homme qui a participé activement à la création du CEE, devenu aujourd’hui un laboratoire de référence de sciences sociales en Europe, et a créé voici trois ans l’École urbaine de Sciences Po. Portrait.

Un breton voyageur

Patrick Le Galès quitte Saint-Brieuc pour faire ses études à Sciences Po avec Henri Mendras, qu’il rejoint à Nanterre pour sa thèse en sociologie avec Odile Benoit-Guilbot. Il est ensuite admis au prestigieux Nuffield College d’Oxford où il obtient un Master of Letters (MLitt) en science politique comparant la centralisation britannique et la décentralisation française. Son directeur de mémoire, Vincent Wright, brillant et non-conformiste, est alors l’un des premiers chercheurs comparatifs européens sur les politiques publiques et la political economy. Il devient son ami et son mentor. Patrick Le Galès est recruté au CNRS à Sciences Po Rennes en 1992 et rejoint Sciences Po et le CEVIPOF en 1998 avant de participer à la création du Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences Po (CEE) en 2008. Ses travaux comparatifs se nourrissent de séjours de recherche à l’Institut Européen de Florence, à King’s College (où il enseigne pendant trois ans), à UCLA, Northwestern, Helsinki, à l’Institut Max Planck de Cologne, au Colejio de Mexico, à l’Université de Sao Paolo et à Oxford, sa deuxième maison, mais aussi de ses échanges continus avec les principaux centres de recherche français, en particulier en régions.

"Cities are back in town"

Il fait partie de cette génération de chercheurs en sciences sociales qui, dans les années 80, voit les limites des recherches centrées sur un pays ; il s’engage dans les comparaisons pour penser les dynamiques des sociétés européennes des villes (avec Olivier Borraz, Marco Oberti) puis des grandes métropoles mondiales.

Sa thèse compare les politiques de développement économique urbain en France et en Grande-Bretagne, soulignant le rôle des nouvelles élites de gauche issues des classes moyennes. Il enchaîne ensuite sur la comparaison de la gouvernance économique locale et les limites de la territorialisation en Grande-Bretagne, en France et en Italie et développe de nouvelles recherches sur les villes européennes ("Le retour des villes européennes") les politiques urbaines contre la pauvreté à Mantes-la-Jolie ou les politiques des régions en Europe. Il s’intéresse alors à la métropolisation, au mouvement qui rend les villes et les régions actrices de la gouvernance européenne, mais qui creuse le fossé entre les quartiers et territoires en crise et les dynamiques capitales régionales.

Toujours sur les questions de gouvernance, il conduit aujourd’hui un nouveau programme de recherche « WHIG : What is governed and not governed in large metropolis » avec Tommaso Vitale. Conçu pour se déployer sur 10 ans et destiné à comprendre les limites de la régulation politique et la gouvernance de grandes métropoles mondiales : Grand Paris, Grand Londres, Mexico et São Paulo, cette recherche ne néglige pas le côté obscur de la gouvernance – corruption, clientélisme, non décision, exclusion. De fait, les grandes métropoles sont devenues des acteurs politiques majeurs sur le changement climatique, les transports, la mobilité sociale, des infrastructures ou les inégalités, mais les échecs de gouvernance sont patents. En complément, le programme de la chaire de l’École Urbaine « Villes et numérique » contribue à analyser la production et le traitement de toutes sortes de données dans l’objectif de favoriser la participation démocratique, de rationaliser de politiques publiques ou d’accroître la surveillance.

"Globazing minds, roots in the city" : des classes sociales françaises ou européennes ?

Les processus de mondialisation ont des conséquences sociales et politiques majeures. Ils génèrent de nouvelles formes d’inégalités, modifient les rapports de classe au sein des États-nations en faisant émerger de nouveaux processus de différenciation sociale reposant sur les mobilités. Certains groupes sont peu mobiles, voire enfermés dans certains territoires, tandis que d’autres voyagent, travaillent, ont des réseaux à l’étranger. Pour autant, l’enquête qu’il a menée avec Alberta Andreotti à Milan et Francesco Javier Moreno Fuentes à Madrid sur les cadres supérieurs européens montre que ceux-ci, s’ils sont très globalisés dans leurs têtes, le sont bien moins dans leurs pratiques. Se dessine alors une sorte de classe sociale de cadres supérieurs européens qui partagent des valeurs, des formes de mobilité, des formations, des modes de vie urbains (cf. Un monde à la carte, les cadres supérieurs des villes européennes, Paris, PUF 2016). Cette réflexion se poursuit actuellement dans un travail sur les Français à Londres et les Anglais à Paris, un thème encore plus d’actualité avec le Brexit…

Cette question des inégalités contemporaines est au cœur du programme “Successful societies : inequalities” de l’Institut Canadien de Recherche avancée, dirigé par Michèle Lamont, Peter Hall et Paul Pierson auquel il participe depuis 2012, un lieu exceptionnel d’intelligence collective pour réfléchir de manière interdisciplinaire.

"Reconfigurating European states in crisis"

Après des travaux sur la gouvernance et les réseaux des politiques publiques, Patrick Le Galès va initier un programme de dix ans de recherche sur les activités de l’État et ses outils à partir de l’analyse des instruments et de l’instrumentation de l’action publique avec ses complices de recherche et d’enseignement Pierre Lascoumes puis Charlotte Halpern. Ces travaux sont inspirés par Max Weber, Christopher Hood et Michel Foucault pour réfléchir sur les instruments des politiques publiques : Comment gouverne-t-on ? Et pour quel résultat ? L’instrumentation de l’action publique est donc un moyen d’orienter les relations entre la société politique (via l’exécutif administratif) et la société civile (via ses sujets administrés) par des intermédiaires, des dispositifs mêlant des composantes techniques (mesure, calcul, règle de droit, procédure) et sociales (représentation, symbole).

Ses travaux sur les limites et les recompositions de l’État ont d’abord été inspirés par la révolution néolibérale initiée par Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, soit l’invention de nouveaux modes de gouvernements : gouvernement à distance, indicateurs de performances, sanctions et récompenses, agences de régulation, changement permanent, privatisations, réduction de la dépense publique. Les gouvernements New Labour proposeront une version renouvelée de ce modèle avec un État activiste, organisant les marchés mais développant l’investissement public. La Grande-Bretagne reste un laboratoire exceptionnel d’innovation, le pire et le meilleur, mais ce n’est pas l’Europe… et ce n’est pas fini (Brexit !).

La recherche sur la reconfiguration de l’État (avec Desmond King à Oxford et Philippe Bezes) permet de penser les limites de la régulation politique en pensant les États comme des producteurs de politiques publiques, transnationaux, interdépendants et structurés/contraints par le développement d’un capitalisme mondialisé et financiarisé. Les États ont perdu le monopole de l’exercice de l’autorité politique, ils agissent en interaction avec d’autres organisations publiques et privées, mais en apportant une légitimité et des ressources particulières, certains parlent de « manager de l’autorité politique » (Reconfigurating European states in crisis).

Diffuser le savoir, enseigner et expérimenter

Patrick Le Galès a enseigné des grands cours généraux à Sciences Po sur les sociétés européennes, les villes ou les politiques publiques, mais aussi à l’École doctorale. Il a dirigé avec bonheur une vingtaine de thèses. À la demande de Frédéric Mion, il a créé l’École Urbaine, avec Brigitte Fouilland et toute une équipe, après avoir créé plusieurs masters et groupes de recherche à Sciences Po (MPA, STU, GLM, MAXPO, “Cities are back in town”). Il a aussi expérimenté avec les cours en ligne "Urban sociology for a globalizing world"  et un nouveau cours plus grand public et collectif élaboré avec des étudiants « À la recherche du Grand Paris ».

Car c’est aussi un passionné des questions de diffusion de savoirs et des enjeux de l’édition scientifique, de la publication en différentes langues sur différents supports. Il a été le directeur de l’International Journal of Urban and Regional Research et il participe au comité éditorial de nombreuses revues scientifiques. Il co-dirige trois collections d’ouvrage  “Gouvernances” aux Presses de Sciences Po (avec Pierre François), "U Sociologie" chez Colin (jusqu’en 2018 avec Marco Oberti) ou encore “Urban and Social Change » chez Wiley/ Blackwell. Actif dans des organisations scientifiques françaises (AF Science Politique) ou internationales (AIS, Council of European Studies), il a présidé la SASE, Society for the Advancement of Socioeconomics.

En savoir plus


Principaux ouvrages récents

  • LE GALÈS (Patrick), Le Retour des villes européennes ? Sociétés urbaines, mondialisation, gouvernement et gouvernance, Paris, Presses de Sciences Po, deuxième édition, 2010, Prix Stein Rokkan UNESCO/ISSP/ECPR
  • FAUCHER-KING (Florence) et LE GALÈS (Patrick), L’Expérience New Labour, 1997-2009, Paris, Presses de Sciences Po, 2010
  • HALPERN (Charlotte), LASCOUMES (Pierre), LE GALÈS (Patrick), dir., Instrumentation de l’action publique, Paris, Presses de Sciences Po, 2014
  • ANDREOTTI (Alberta), LE GALÈS (Patrick), MORENO FUENTES (Javier Francesco), Un monde à la carte, les cadres supérieurs dans les villes européennes, Paris, PUF, 2016
  • KING (Desmond), LE GALES (Patrick), 2017 eds., Reconfigurating European states in crisis, Oxford, Oxford University Press
  • UGALDA (Vicente), LE GALÈS (Patrick), dir., 2018  Que se Gobierna ? El caso de la ciudad de Mexico, Mexico, Colejio de Mexico

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Légende de l'image de couverture : Caroline Maufroid / Sciences Po