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11.06.2018

Mieux prévenir la criminalité

Comment prévenir la criminalité ? L’incarcération permet-elle de réduire durablement la récidive ? Roberto Galbiati, chercheur à Sciences Po, se penche sur “l’économie du crime”. Il propose d’ouvrir la boîte noire des politiques d’incarcération et de lutte contre la récidive en France, en Italie et aux États-Unis. Il présentera les enseignements de ses travaux le 4 juillet prochain lors d’un colloque co-organisé par le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques de Sciences Po, en partenariat avec France Stratégie.

Une partie de vos recherches porte sur l'économie du crime. De quoi s’agit-il ? En quoi celle-ci peut-elle intéresser un chercheur ?

Mes thèmes de recherche portent sur l’analyse économique du droit avec une question centrale : comment concevoir des institutions juridiques efficaces ? Comme dans d’autres champs de l’économie, tout part d’un problème d'”externalités” : l’activité d’une personne a des conséquences sur le bien-être d’une autre, sans que cette interaction fasse l’objet d’un échange, d’une transaction économique. Le crime est une externalité négative : il crée des conséquences néfastes sur la vie des gens sans contrepartie.

Dans ce contexte, le droit sert à créer un coût qui viendra influencer le comportement des individus. Le droit, par exemple en fixant une échelle des peines, permet d’internaliser l’externalité : en modifiant les incitations, de façon à ce que les individus considèrent les effets externes de leurs actions. L’intuition étant que plus la peine est lourde pour un délit, moins celui-ci sera commis. Ces sujets intéressent les économistes puisque la prise en compte d’externalité est au coeur de la théorie économique.

Vous vous êtes notamment intéressé au volet prévention de la récidive...

Oui, mes recherches portent particulièrement sur les prisons et la récidive car ce sont des problèmes sociaux. L'incarcération a un coût financier et social pour la société. Comment et jusqu’à quel point cet instrument doit-il être utilisé? Les peines sont conçues pour avoir trois fonctions : dissuader les individus de commettre un délit, leur en enlever la capacité en les emprisonnant et enfin les réhabiliter à la société. La fonction de dissuasion - donc l’impact du niveau des peines sur la criminalité -  est bien étudiée. La seconde est évidente - un individu emprisonné ne peut a priori commettre de crime. En revanche, la réhabilitation est une vraie boîte noire. L’incarcération est pensée comme un instrument pour réduire la récidive. Or, on sait que les prisons parviennent très difficilement à assurer cette fonction. De plus en plus de recherches montrent même que l’emprisonnement a un effet criminogène.

Que nous apprennent les évaluations des mesures de prévention de la criminalité et de la récidive ?

Sur la prévention de la criminalité, la littérature scientifique montre clairement qu’il faut agir sur l’éducation et le marché du travail. Des individus plus éduqués et en emploi ont moins de chances de commettre un crime. Sur les façons de prévenir la récidive, c’est beaucoup moins clair. Comment casser cette spirale criminalité - incarcération - criminalité ? La recherche nous donne peu d’éléments. Il est possible d’agir à deux niveaux : que faire quand l’individu est en prison ou que faire quand il en sort ? Il y a toutes sortes d’interventions possibles : accompagner les prévenus dans leur recherche d’emploi, lever la stigmatisation carcérale, proposer des formations professionnelles pendant ou à la sortie… En l’absence d’évaluation, on a très peu d’informations sur l’efficacité de ces mesures. C’est encore un champ dans lequel la recherche peut beaucoup apporter, et en particulier dans une perspective d’évaluations des politiques publiques.

Ces enseignements sont-ils pris en compte dans les débats politiques ? Sinon pourquoi ?

Les recherches sur ces thèmes commencent à entrer dans le débat aux États-Unis mais en France beaucoup moins. En Europe continentale, il n’y a pas de culture d’évaluation économique du droit, on s'intéresse plus à l’efficacité du droit qu’à l’impact des politiques pénales. Aux États-Unis, cela passe en partie à travers l’enseignement. Dans les écoles de droit, il y a des cours de “law and economics”, les juristes sont aussi plus formés aux statistiques. En France, les juges ne sont pas formés à cela. De plus, la culture sur l’évaluation des politiques publiques en France progresse mais lentement. Il y a également un problème de communication entre les chercheurs et les pouvoirs publics, à commencer par la langue : la recherche se fait en anglais et la communication avec les pouvoirs publics se fait en français. Cela réduit la possibilité de mener de nouvelles évaluations et la prise en compte des résultats des recherches effectuées. Créer des points de rencontre entre chercheurs et décideurs publics est extrêmement important. Des laboratoires comme le LIEPP dont une des missions est la valorisation scientifique peuvent ici jouer un rôle d’intermédiaire.

Quelles sont vos recherches actuelles ?

Sur les juges aux États-Unis ! Avec Emeric Henry, également chercheur au Département d’économie de Sciences Po, nous nous demandons comment réduire les possibilités d’erreurs ou d’abus dans les décisions des juges. La liberté des juges est essentielle. Ils ont plus d’information que le législateur pour adapter les peines et doivent pouvoir prendre leurs décisions librement. Cependant cette liberté s’accompagne aussi de risque d’erreur ou d’abus. Comment conserver la liberté des juges tout en réduisant les possibilité d’erreurs ou d’abus ? Nous avons choisi d’étudier cette question aux États-Unis, notamment parce que c’est là que nous avons pu obtenir des données. La question de l’accès aux données est centrale pour l’évaluation des politiques publiques.

Propos recueillis par Juliette Seban, secrétaire générale du LIEPP

Colloque “Quelles diffusion et influence des évaluations ? Le cas des politiques pénales et carcérales”, 4 juillet 2018, Sciences Po, organisé en partenariat avec France Stratégie. Renseignements et inscription.

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Légende de l'image de couverture : sakhorn / shutterstock