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14.08.2017
L’homme qui veut faire parler les Europes
Énergique directeur du campus de Dijon spécialisé sur l’Europe centrale et orientale, le Tchèque Lukáš Macek voit grandir l’établissement au gré des vents contraires qui soufflent sur le continent.
« Cela me rappelle des souvenirs ! ». Assis à la cafétéria du campus de Sciences Po à Paris par un jour d’été pluvieux, Lukáš Macek, costume-cravate impeccable et sourire en coin inamovible, se rappelle ses années sur ce campus à la fin des années 1990. À cette époque, ses trois années d’études parisiennes parachèvent ses rêves d’enfance en Tchécoslovaquie, lorsque, très tôt, il s’est pris de passion pour la culture française et sa langue, qu’il a commencé à apprendre en autodidacte avant de prendre des cours du soir.
Du bloc soviétique à la France, parcours d’un francophile
Quand s’effondre le bloc soviétique en 1989, le jeune francophile se porte candidat pour « logiquement » intégrer un lycée en France, à Dijon. Il est tout aussi logiquement admis, et part pour la France à l’âge de 16 ans. « J’ai voulu réaliser ce que la génération de mes parents n’avait pu faire, en poursuivant mes études librement, en Europe de l’Ouest », se rappelle-t-il, le regard pétillant.
Après son lycée, il enchaîne avec une classe préparatoire à Dijon puis il rejoint Sciences Po à Paris. Diplômé en 1999, il retourne dans sa République Tchèque natale où il travaille cinq ans comme conseiller politique et attaché parlementaire auprès d’un sénateur, ancien ministre des Affaires étrangères. Mais, en 2001, la création d’un campus délocalisé de Sciences Po dédié à l’Europe centrale et orientale attire son attention…
En 2004, Lukáš Macek rencontre Richard Descoings, le directeur de Sciences Po de l’époque, pour un entretien d’embauche au cours duquel son profil « fait mouche ». Il devient alors le nouveau directeur du campus de Dijon. « Je suis retourné à Sciences Po… et à Dijon », se souvient-il, amusé. Lorsqu’il retrouve la ville de son adolescence, le campus frémit encore du dernier élargissement de l’Union Européenne, qui voit dix nouveaux pays la rejoindre. « C’était quelques mois avant mon arrivée, et pourtant, j’ai senti que le 1er mai 2004 avait été vécu comme un moment mythique qui a façonné l’identité du campus. »
Un Sciences Po très europhile à Dijon
Le nouveau directeur poursuit le développement du campus bourguignon et diversifie encore l'origine géographique des étudiants. Alors que les premières années voyaient essentiellement entrer des Français, des Russes, des Polonais, des Tchèques ou des Hongrois, le campus dijonnais accueille à présent une trentaine de nationalités, d’Europe occidentale comme orientale, mais aussi quelques Américains ou Chinois, sans oublier les quelque 40 % de Français.
Faire dialoguer les Europes, c’est ce que cherche avant tout à faire l’infatigable directeur, réputé pour ses emails nocturnes, voire très matinaux. La maquette pédagogique s’enrichit de nombreux cours, que viennent parfois donner d’anciens élèves du campus. « Notre objectif est que les étudiants aient une bonne maîtrise des institutions européennes et une meilleure connaissance de l’Europe Centrale, une région qui véhicule encore pas mal de démons et de fantasmes. »
À l’occasion de l’école d’hiver 2016 du campus de Dijon, les étudiants ont ainsi pu se pencher sur l’histoire comparée du communisme en URSS, en Chine, en Europe centrale et en France, quand d’autres étudient les minorités en Europe ou suivent des enseignements approfondis sur les Balkans.
En treize ans, Lukáš Macek a vu son campus évoluer à mesure que l’Europe s’ouvre. Sciences Po devient le lieu où se rencontrent et sympathisent des ressortissants d’États aux rapports parfois tendus. « C’est encourageant de voir ces étudiants qui arrivent à travailler ensemble et à se parler dans une ambiance apaisée », ponctue le directeur.
Lukáš Macek suit au plus près la vie associative du campus « dont les élèves sont les meilleurs développeurs ». Dijon est une ville de taille moyenne, ce qui permet aux étudiants de nouer facilement des partenariats avec les acteurs locaux, de lancer de nouveaux projets associatifs, initiative que Lukáš soutient le plus possible en mettant par exemple des locaux à disposition ou en allouant des subventions. « Il était toujours disponible, même quand il fallait ouvrir ou fermer le bâtiment à toute heure du jour ou de la nuit », se rappelle Dimitri Rechov, étudiant franco-russe qui l’a bien connu en tant que trésorier du Bureau des Elèves du campus de Dijon.
Chaque 9 mai, la Journée de l’Europe est également l’occasion de parer les lieux aux couleurs de tout un continent, et sert de prélude aux collégiades, un tournoi artistique et sportif qui réunit une fois par an les sept campus de Sciences Po. Après avoir longtemps adopté une attitude qualifiée de « churchillienne » par leur directeur en matière de sport, les étudiants Dijonnais, vêtus de jaune et de bleu - les couleurs du campus - semblent aujourd’hui très mobilisés sur la question, notamment en football et en volley.
Des anciens « Dijonnais » qui s’entraident
« Lukáš Macek incarne l'identité européenne du campus. Les étudiants, y compris les anciens, prennent toujours plaisir à échanger avec lui, à prendre des selfies ou à scander son nom aux collégiades ! » se souvient Emma Giraud, ancienne étudiante, qui garde un très bon souvenir de son passage en Bourgogne malgré un rythme de travail intensif.
Après deux années dans une ambiance quasi-familiale, les Dijonnais d’adoption ne se perdent pas de vue, malgré des choix de master différents à Paris. L’association des anciens élèves du campus de Dijon a récemment connu un nouveau souffle, et lorsque les étudiants se retrouvent en master, « ils se serrent les coudes », décrit Lukáš Macek. Et le directeur de conclure sur cette private joke populaire chez les alumni : « Entre nous, on appelle ça la mafia dijonnaise, pour plaisanter. Où qu’ils soient, les anciens dijonnais se retrouvent et s’entraident ».
Noé Michalon, étudiant à l’École de journalisme de Sciences Po
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