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23.02.2023

Littérature : dialogue entre deux grands écrivains francophones

Nathacha Appanah, Mohamed Mbougar Sarr et Ali Baddou au passage de relais 2023 de l'écrivain en résidence du CER. (crédits : Sciences Po)

La passation de relais de la Chaire d’écrivain en résidence est un moment précieux pour les férus de littérature de la communauté de Sciences Po. Retour sur cet événement par Clara Gervaise-Volaire, étudiante à l'École de la recherche ayant suivi plusieurs ateliers d'écriture du Centre d'écriture et de rhétorique (CER) de Sciences Po et lauréate du concours d'histoires courtes 2022.

Une passation de relais annuelle et attendue

Le 16 février dernier avait lieu la désormais rituelle passation de relais de la Chaire d’écrivain en résidence de Sciences Po. L’évènement s’est ouvert avec un discours par le directeur de Sciences Po, Mathias Vicherat, qui a expliqué l'apport créatif et complémentaire des arts au profit des sciences sociales, évoquant le lancement de la Chaire Cinéma

Mathias Vicherat a rappelé que les cours proposés par le CER à destination des étudiants de Sciences Po depuis 2019 visent à les encourager à faire œuvre de création et développer une pensée singulière. Ce dernier a remercié les partenaires de la Chaire ainsi que tous les écrivains l’ayant occupé, et en particulier Nathacha Appanah pour sa générosité à l’égard des étudiants, et la puissance de son œuvre littéraire. L’assemblée a ensuite pu apprécier la récitation, par Jean Charpentier et Cléophée Papon, de l’association Rhinocéros, de quelques extraits choisis de l’œuvre du nouveau titulaire. Neuvième écrivain titulaire de la Chaire, Mohamed Mbougar Sarr s’est installé au pupitre pour prononcer sa leçon inaugurale

La bibliothèque de Babel et son défaut d'universalité

Pour sa leçon inaugurale, Mohamed Mbougar Sarr a choisi de nous inviter à considérer la Bibliothèque de Babel de Borges et particulièrement ce qui fait office de littérature de référence dans la salle centrale de la Bibliothèque. Le propos de Mohamed Mbougar Sarr s’est déployé de manière lumineuse, mettant au jour le défaut d’universalité de cette dernière, en alignant des anecdotes « pas si anecdotiques ».

Mohamed Mbougar Sarr, nouvel écrivain en résidence 2023 du CER. (crédits : Sciences Po)

Si Goethe avait déjà posé l’idéal de la « Weltliteratur » et notamment toute la partie invisible de la littérature orale, l’écrivain doute qu’il y aurait compris les contes « de la griotte malienne ». Ainsi, l’écrivain appelle de ses vœux à ce que l’on mette en relation de manière féconde les canons littéraires, ce qui se joue concrètement dans la composition de la bibliothèque de chacun d’entre nous, en tâchant chacun et chacune d’être le ou la bibliothécaire de la Bibliothèque de Babel. Concluant son discours en citant la nouvelle de Borges, Mohamed Mbougar Sarr nous a ainsi exposé son rêve d’une Bibliothèque où se trouveraient des généalogies puissantes et secrètes « d’œuvres éloignées dans le temps et l’espace ».

Dans la « sentimenthèque » des écrivains

À la suite de la leçon inaugurale, l’échange entre Mohamed Mbougar Sarr et Nathacha Appanah, animé par le journaliste Ali Baddou, nous a permis d’en savoir plus sur la composition et l’agencement de leurs propres bibliothèques. Convoquant la « sentimenthèque » de Patrick Chamoiseau, Nathacha Appanah nous a fait part d’une intime intuition : les livres de sa bibliothèque dialoguent entre eux. Mohamed Mbougar Sarr, abondant en ce sens, nous a indiqué que les livres qu’ils détestent font aussi partie de sa sentimenthèque. Pour les deux écrivains, il faut lire tout le temps et de tout pour pouvoir écrire. Et s’il fallait choisir en lecture et écriture, tous deux choisiraient la lecture. Selon Mohamed Mbougar Sarr, il existe d’ailleurs aussi une littérature qui ne s’inscrit pas dans une œuvre, un rapport de création qui peut exister dans l’expérience purement intérieure

Nathacha Appanah, écrivain en résidence 2022 du CER. (crédits : Sciences Po)

Les « grands livres » ont une place particulière dans la sentimenthèque. Selon l’auteur de La plus secrète mémoire des hommes, les grands romans, s’ils racontent d’abord de formidables histoires, débordent leur résumé, expriment une vérité qui résonnent au plus profond de nous-mêmes. Ainsi, la phrase « un grand livre ne parle jamais que de rien », qui a éveillé bien des questions, n’est pas si contre-intuitive, d’autant qu’elle se conclut par « et pourtant tout y est ».

Un échange éclairant sur l’expérience subjective de l’écriture

La passion qu’entretiennent les deux écrivains avec la littérature et le plaisir qu’ils ont à l’exprimer étaient très prégnants lors de cet évènement. A propos de leur cheminement dans l’écriture, ils se sont accordés sur le fait que la littérature relève de la névrose. Nathacha Appanah se questionne constamment : « est-ce que ce que je raconte est nécessaire ? ». Mohamed Mbougar Sarr constate que l’écrivain est pris dans une tension au sujet de l’identité dont il peut se réclamer mais à laquelle il ne veut pas se voir réduire. Et d’affirmer qu’il s’agit surtout de « ne pas se laisser nommer par qui que ce soit ». 

L’assistance a aussi pu poser quelques questions aux écrivains, et apprendre que, pour Mohamed Mbougar Sarr, il arrive qu’écriture et vie se confondent dans l’expérience du moment présent, lorsque plutôt que de vivre « les choses tranquillement », il se prend à les concevoir comme de la « littérature potentielle ». L’expression « l’écriture ou la vie », empruntée à Jorge Semprun, relevant alors non d’une alternative mais d’une égalité. Mais parfois, le prix Goncourt 2021 oublie tout à fait qu’il est écrivain.

Cette parenthèse littéraire en Amphi Chapsal s’est clôturée aux alentours de 18h45. Pour les plus chanceux – inscrits aux ateliers d’écriture proposés par Mohamed Mbougar Sarr : “Le tour de la mémoire et la narration à l'épreuve ambigüe du Temps : la recherche du détail capital” et “Le tour de la mémoire et la narration à l'épreuve ambigüe du Temps : l'infinité des possibles” – la conversation avec l’écrivain se poursuivra tout au long du semestre. Pour les autres, un tout aussi vaste programme les attend : celui d’examiner leur propre bibliothèque, d’y faire entrer les contes ou tout du moins d’explorer un peu plus du vaste continent littéraire et, peut-être, de s’aventurer sur les chemins de l’écriture.

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