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27.03.2017

"La ville numérique est plus politique que technologique"

L’École urbaine de Sciences Po, en coopération étroite avec le Centre d'études européennes, a inauguré lundi 27 mars une nouvelle chaire de recherche et d’enseignement consacrée aux enjeux de la révolution numérique pour la ville. Entretien avec Antoine Courmont, responsable scientifique de cette chaire “Villes et numérique”.

Pourquoi créer une chaire “Villes et numérique” ?

Antoine Courmont : Aujourd’hui, il est devenu très compliqué de penser la ville sans penser le numérique en même temps. On résume souvent la ville numérique à la smart city, qui est un terme mis en avant surtout pour définir les stratégies numériques de villes ou d’entreprises. Or, cela va bien au-delà : le numérique est indissociable des pratiques et des politiques urbaines. Il pose de nombreux défis à la ville qui sont à la fois sociaux, économiques, politiques, juridiques ou éthiques.

Le numérique transforme la gestion des espaces et des services urbains. Il offre de nouvelles représentations de la ville. Il déplace la chaîne de valeur vers l’usage et les services. De nouveaux acteurs apparaissent, les initiatives publiques, privés ou citoyennes se multiplient. Le numérique, c’est également une culture qui fait émerger de nouveaux modes d'action et fait évoluer les modalités de fabrication de la ville.

Tout cela interroge les acteurs de la ville et pose le défi de la gouvernance de la ville à l’ère du numérique. Comment se structurent les modes de gouvernance de la ville numérique ? Quelles sont les formes de recomposition du pouvoir ? Quelle place pour les citoyens et les habitants ? Nous manquons d’analyse réflexive sur ce sujet émergent. C’est tout l’objet de la chaire.

Vous parlez de gouvernance : le numérique a-t-il pris le pouvoir sur les villes ?

Antoine Courmont : C’est le premier axe de recherche de la chaire : la gouvernance des villes numériques, et notamment les politiques des données urbaines. Au coeur de la ville numérique, les données sont devenues un enjeu central pour l’ensemble des acteurs de la fabrique urbaine, que ce soit pour optimiser la gestion des infrastructures, développer de nouveaux services, offrir des représentations alternatives de la ville ou proposer de nouvelles modalités de coordination entre les acteurs. Mais, la donnée, de sa production à son usage, est loin d’être neutre, elle est éminemment politique. A titre d’exemple, les traces numériques, que nous laissons par l’intermédiaire de nos téléphones portables, permettent à de nouveaux acteurs, d’investir le champ urbain : Google, Airbnb, Uber.

Ces plateformes de l’économie numérique le font d’une manière tout à fait novatrice, puisqu’elles passent par les utilisateurs de services, sans aucun lien avec les puissances publiques. L’exemple de l'application Waze est très intéressant puisqu’il vient questionner les politiques de régulation du trafic routier mis en place par les métropoles, faisant perdre à ces dernières la maîtrise de leurs politiques publiques.

La chaire va aussi s’intéresser à l’échelle du territoire...

Antoine Courmont : C’est notre second axe de recherche : il interroge la question de l’urbain et des territoires dans leur interaction avec le numérique. Trop souvent, on se focalise sur le numérique, sans véritablement interroger son caractère territorial : qu’est-ce que le numérique fait aux territoires ? A l’inverse, qu’est-ce que les territoires font au numérique ?  Ces questions, peu traitées, sont pourtant fondamentales pour soulever les questions d’inégalités spatiales au sein des métropoles, du rapport entre urbain et rural, de recomposition des frontières, etc.  

La chaire est également une chaire d’enseignement. Des enseignements seront proposés dans l’ensemble des masters en formation initiale et en formation continue de l’École urbaine mais aussi en premier cycle au Collège universitaire. L’objectif est de former des professionnels de haut niveau sur ces questions pour répondre aux besoins des acteurs urbains.  

Dans toutes ces activités, la diversité de nos partenaires (CISCO, La Poste, RTE, La Caisse des dépôts) nous permettra d’être au plus près du terrain pour produire des données, des analyses et des nouvelles méthodes pour penser la ville.

Quels sont les enjeux pour les managers de demain ?

Antoine Courmont : Tous les professionnels seront confrontés à la question du numérique pour décrypter les enjeux sociaux, juridiques, économiques, politiques et éthiques de la ville. Les choix technologiques ne sont pas neutres. La ville numérique est d’ailleurs plus politique que technologique. Les nouveaux métiers émergents ne sont pas seulement des postes techniques mais bien des postes stratégiques comme Chief data officer ou Chief digital officer. Il est important de doter les futurs professionnels de la gouvernance urbaine, de la gestion des réseaux ou de l’urbanisme d’une culture numérique pour qu’ils prennent en considération ces enjeux.

En savoir plus sur le site de l’École urbaine

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Légende de l'image de couverture : Ekaphon maneechot/shutterstock