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08.03.2024

Féminisation des conseils d'administration : la France à l'avant-garde

La place des femmes dans les conseils d’administration a sensiblement progressé en France en une dizaine d’années sous l’effet d’une réglementation contraignante pour les entreprises. De nombreux chantiers restent toutefois à mener pour l’égalité professionnelle dans les organisations, au sein comme à l’extérieur des conseils d’administration.

Découvrez l'analyse d'Anne Boring, chercheuse associée au Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (LIEPP) de Sciences Po et directrice de la Chaire pour l'emploi et l'entrepreneuriat des femmes de Sciences Po. Cet article a été initialement publié sur le site de l'Executive Education de Sciences Po.

Une révolution d'abord législative

Ce fut une petite révolution législative, et une grande avancée pour l’égalité professionnelle. Le 27 janvier 2011 était promulguée la loi Copé-Zimmermann. Elle imposait une proportion minimale de femmes au sein des conseils d’administration et surveillance des sociétés cotées et des sociétés non cotées employant plus de 500 salariés (250 depuis le 1er janvier 2020) et présentant un chiffre d’affaires ou un bilan d’au moins 50 millions d’euros. Un quota de 20 % de femmes était exigé en 2014, de 40 % à partir de 2017.

Qu’en est-il aujourd’hui ? D’importants progrès ont été réalisés. De fait, 46,4 % de femmes siègent aujourd’hui aux conseils d’administration des sociétés du CAC 40 et 46,3 % au sein du SBF 120, selon une étude de l’Institut français des administrateurs (IFA) et Ethics & Boards parue en mars 2023. Elles n’étaient que 13 % dans les conseils d’administration et de surveillance des sociétés du BSF 120 en 2010.

Un risque de sanction qui paye

Des sanctions sont prévues pour les entreprises ne respectant pas la loi. C’est un puissant levier pour que les organisations sortent de leur inertie et que la diversité progresse. Différents dispositifs contraignants ont ainsi été mis en place comme la suspension du versement des jetons de présence en cas de composition irrégulière des conseils. Des sanctions qui apparaissent fondamentales pour faire évoluer la composition des conseils d’administration et de surveillance. Pour preuve, dans les PME n’entrant pas dans le champ d’application de la loi, les femmes ne représentaient, en 2021, qu’environ 18 % des membres de ces conseils, selon un rapport d’information de la délégation aux droits des femmes du Sénat.

Grâce à la mise en place de cette loi, la France fait désormais, sur le sujet, figure de bonne élève à l’échelle internationale. Elle se situe à l’avant-garde, en compagnie de la Norvège. Notre pays est aujourd’hui au premier rang mondial en termes de féminisation des conseils d’administration des grandes entreprises cotées, précisait même, en 2021, le rapport sénatorial. Et grâce à l’ensemble des lois contraignantes mises en place au cours des quinze dernières années, la France se place en première place mondiale de l’égalité femmes-hommes dans le monde du travail, selon certains classements tel que celui d’Equileap, qui évalue les plus grandes entreprises mondiales selon un ensemble de 19 critères.

Des positions moins stratégiques pour les administratrices

Si l’égalité professionnelle a pu ainsi gagner du terrain dans l’entreprise, des marges de progression ont toutefois été identifiées. Elles concernent tout d’abord la position qu’occupent les femmes au cœur des conseils d’administration. “[En leur sein], elles accèdent moins que les hommes aux comités les plus stratégiques et les plus rémunérateurs (comité stratégique, comité d’audit…)”, précise le rapport sénatorial. Elles sont également moins souvent présidentes de ces conseils que leurs homologues masculins. Il faut cependant observer l’évolution du rôle des femmes dans ces instances sur le long terme, nombre d’entre elles ayant jusqu’alors moins d’années d’expérience que les hommes en leur sein. 

Autre sujet d’attention : l’évolution de la composition des conseils d’administration a-t-elle eu un impact sur la féminisation de l’ensemble de la direction opérationnelle des entreprises ? La réponse est aujourd’hui négative. Des marges de progrès existent donc là aussi. Les quotas imposés par la loi Copé-Zimmermann n’ont pas eu “l’effet de ruissellement attendu”, tranche le rapport d’information sénatorial. Certains postes de direction sont, certes, davantage féminisés (direction marketing, communication ou RH). Mais d’autres rassemblent toujours très majoritairement des profils masculins (direction financière par exemple). La question de la féminisation est complexe : elle revient à créer de la diversité au sein des entreprises, mais également sur l’ensemble des postes.

Sur ce point, les conséquences de la loi Rixain seront suivies au plus près. Ce texte adopté fin 2021 prévoit des quotas de 30 % de femmes cadres-dirigeantes et de femmes membres des instances dirigeantes en 2027 (40 % en 2030) dans les entreprises de plus de 1 000 salariés. Il sera intéressant de voir comment les entreprises s’adaptent à ces textes contraignants dans les années qui viennent, cela devrait avoir un impact fort sur leurs politiques RH.

Pour favoriser l’égalité professionnelle au-delà des seuls conseils d’administration, il sera aussi nécessaire de mener une réflexion sur un autre point : la place des jeunes femmes dans les différentes filières de l’enseignement supérieur. On observe aujourd’hui des déséquilibres dans certaines disciplines comme la banque et la finance, où la proportion d’hommes est plus importante. Il faudra trouver des leviers pour que davantage de femmes suivent ces études. C’est à cette condition que l’on pourra observer une plus grande égalité entre femmes et hommes à l’entrée sur le marché du travail. Et, in fine, aux différents échelons de l’entreprise.

Se méfier des stéréotypes de genre

Les femmes ont-elles des qualités spécifiques qui peuvent être bénéfiques à l’activité d’un conseil d’administration ? On dit fréquemment qu’elles savent mieux prendre leurs distances par rapport aux risques que les hommes.

Mais il faut nuancer cette idée : si cela peut être en partie vrai dans la population générale, certaines études laissent penser que dans un environnement professionnel qui favorise la prise de risque, ce seront précisément les femmes qui prennent des risques qui seront promues. Il vaut mieux prendre ses distances avec ce type de stéréotypes de genre.

(crédits : Fitzkes / Shutterstock)