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19.02.2019
Européennes 2019 : renaissance ou repli de l’Union ?
Directrice du Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences Po, Florence Haegel travaille sur l’étude des partis politiques et sur les processus de politisation. Dans le cadre du cycle de conférences “Waiting for European Elections”, elle analyse les enjeux des futures élections européennes.
Selon vous, ces élections vont-elles conduire à regain d’intérêt des citoyens pour l’Union européenne ou bien à un rejet ? Que disent vos recherches ?
Les recherches ont longtemps insisté sur l’indifférence plus que sur le rejet de l’Union européenne par les citoyens des États membres. L’Europe apparaissait lointaine et compliquée. On en parlait peu dans le cours quotidien des vies politiques nationales. Et le fait que l’Europe soit mise aux agendas nationaux, tous les cinq ans, à l’occasion des élections européennes, n’y faisait rien. Progressivement, et principalement à partir du traité de Maastricht, en 1992, puis du vote sur le Traité constitutionnel européen, en 2005, les chercheurs ont souligné que la montée d’un courant critique, voire hostile, à la construction européenne pouvait être un moyen de renforcer l’intérêt des citoyens en sortant le débat de son registre technocratique et de son univers élitiste. En réalité, depuis 1979, date de la première élection européenne, le taux de participation au vote a globalement décliné même si les évolutions de ce taux sont en réalité très variables selon les pays, les pays d’Europe de l’Est (Slovaquie, République Tchèque, Pologne) étant les moins participatifs. En tous les cas, les dissensions profondes sur le projet européen n’ont jusqu’à présent pas conduit les citoyens européens à davantage se mobiliser lors des élections.
Après le Brexit, est-ce que l’on peut envisager que d'autres pays demandent une sortie de l’Union européenne ?
Les dernières enquêtes Eurobaromètre réalisées à l’automne 2018 indiquent que dans le contexte tendu des négociations sur le Brexit, les citoyens européens interrogés sont plus enclins qu’auparavant à considérer de manière positive l’Union européenne, comme si l’incertitude ambiante et la fermeté affichée par l’Europe dans cet épisode leur donnaient des raisons d’être satisfaits. En tous les cas, c’est cette interprétation que le président du Parlement européen a voulu retenir. En moyenne, plus de la moitié des citoyens des États membres déclarent qu’ils voteraient pour le maintien dans l’Union européenne si d’aventure ils étaient consultés. Néanmoins, les Italiens et les Tchèques apparaissent tentés par une sortie et les Roumains, les Grecs, les Croates, les Slovènes sont plus nombreux à comprendre le choix du Royaume-Uni qu’à le condamner.
Le populisme a tendance à progresser dans de nombreux pays, y compris en dehors de l’Union européenne. Y a-t-il des spécificités propres aux populismes européens ?
Le populisme a été analysé comme une « thin ideology », c’est à dire un mouvement hétérogène dont l’unité ne se construit qu’autour d’une défense du « peuple » contre les élites. Il peut donc prendre des formes variables et on en voit des manifestations partout dans le monde. Différentes variantes ont poussé sur le terreau européen. D’ailleurs, au Parlement européen, ceux que l’on pourrait désigner comme les “populistes de droite” étaient jusqu’à présent éclatés entre plusieurs groupes. Un des enjeux de ces élections européennes est de savoir si l’unité des droites radicales va se faire. La Ligue italienne y travaille d’arrache-pied, en tentant en particulier de se rapprocher du parti Droit et Justice polonais (il faut se rappeler qu’au Parlement la délégation polonaise est la quatrième en termes d’effectifs), mais des divergences existent sur la question migratoire, les rapports avec la Russie de Poutine, etc.
Malgré les réformes qui ont donné plus de pouvoir au Parlement, un des reproches que l’on fait à l’Union européenne est sa faible dimension démocratique. Cela correspond-il à la réalité ?
La place du Parlement européen a été, en effet, renforcée dans plusieurs domaines : législatif, budgétaire, ainsi que dans le choix des commissaires et du président de la Commission européenne. Mais l’asymétrie entre le Parlement et le Conseil demeure : l’activité parlementaire européenne est peu visible et lisible. Les prises de position sont difficiles à décrypter car le Parlement ne s’organise pas toujours de manière simple : les majorités varient selon les sujets et celui qui veut s’y intéresser peut vite se perdre dans les arcanes de circuits de décision complexes. En France, Thomas Piketty et Stéphanie Hennette-Vauchez ont fait des propositions pour renforcer le rôle du Parlement et lui donner un vrai rôle en matière budgétaire. Ils suggèrent également que 80% des parlementaires européens soient des parlementaires nationaux afin de rapprocher l’institution de Strasbourg des citoyens. À l’opposé, la dirigeante de l’AFD, la droite radicale allemande, milite pour que l’on supprime le Parlement. Dans une période de remise en cause du régime représentatif au nom de la démocratie participative, le Parlement européen est évidemment une cible.
Les questions migratoires semblent avoir contribué à renforcer la défiance des citoyens. Est-ce un des enjeux de ces élections ?
Les politiques migratoires sont attaquées sur les deux fronts. Elles ont d’ailleurs été au cœur du vote pour le Brexit et les droites radicales vont en faire leur cheval de bataille lors de la campagne. Même si, lorsque l’on entre dans les détails, on constate que tous les leaders européens de cette mouvance ne sont pas d’accord sur les solutions à mettre en œuvre. À gauche, la politique européenne est aussi sévèrement critiquée dans la mesure où elle restreint l’application de la convention de Stockholm sur le droit d’asile. En parallèle de ces mouvements de migrations venant de pays extra-européens, il est aussi intéressant de constater l’ampleur de la mobilité intra- européenne. C’est le cas en particulier en Roumanie, en Pologne, dans les pays baltes mais également en Italie : ces pays perdent une partie conséquente de leur jeunesse. L’enjeu de la mobilité, des réfugiés, des travailleurs détachés, des étudiants, est aujourd’hui au cœur de l’Europe.
Vous organisez prochainement plusieurs conférences au sujet des élections européennes. Pouvez-vous nous en dire plus à ce propos ?
Oui, le Centre d’études européennes et de politique comparée de Sciences Po (CEE) organise avec l’École des affaires internationales (PSIA), l'École d’affaires publiques et l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), une série de conférences « Waiting for European Elections » sur les grands enjeux de l’élection européenne 2019. La première aura lieu le 20 février et se focalisera sur le Brexit. Xavier Ragot, de l’OFCE, animera la discussion avec John Burton, l’ancien Premier ministre irlandais, Fiona Hyslop, membre du gouvernement écossais et du Scottish National Party, Kalypso Nicolaidis, professeure à Oxford, et Colin Hay, professeur à Sciences Po (CEE). Trois autres conférences suivront tous les mois jusqu’aux élections en abordant le sujet des questions institutionnelles, des migrations et, pour finir, des populismes.
Florence Haegel est professeure à Sciences Po. Ses recherches actuelles portent sur l’étude des partis politiques et des processus de politisation. Elle est membre du comité de rédaction de la revue Sociétés contemporaines.
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