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22.05.2025
Dissolution du PKK : fin de la lutte ou poursuite par d’autres moyens ?
Le 12 mai, le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) a annoncé sa dissolution. Cette décision historique devrait permettre d’ouvrir la voie à un processus de paix visant à mettre un terme à plus de cinquante ans de lutte armée avec la Turquie.
Depuis 1984, le mouvement de guérilla, qui a d’abord cherché à établir un état kurde indépendant, combat le gouvernement turc par les armes afin d’obtenir une reconnaissance des droits politiques et culturels pour les kurdes. Les affrontements sanglants ont causé la mort de plus de 40.000 personnes, et provoqué le déplacement forcé de 2 à 3 millions d’autres.
Quelles pourraient être les conséquences concrètes de cette décision déclarative et unilatérale ? L’analyse d’Iris Lambert, doctorante au CERI.
Le PKK a annoncé sa dissolution, était-ce prévisible ?
Cette annonce émane d’un congrès qui a eu lieu du 5 au 7 mai 2025, au cours duquel des représentants du PKK se sont réunis pour débattre de leur propre dissolution. Concrètement, cette décision est une sorte de ratification de l’appel à la dissolution lancé fin février par le leader emprisonné du PKK, Abdullah Öcalan. Dans un contexte de recalibrage des équilibres régionaux à la suite de l’offensive israélienne à Gaza, de la guerre au Liban et de la chute du régime baasiste en Syrie, sa démarche était d'appeler au dépôt des armes pour faire advenir un processus de paix interne en Turquie. Dans la mesure où Abdullah Öcalan reste aujourd’hui une figure historique et presque incontestée du mouvement de libération kurde dans son ensemble, au-delà même du PKK, il était peu probable que son appel ne soit pas acté par le groupe.
La façon dont le PKK a communiqué sur cette décision paraît particulièrement intéressante : ils ont présenté leur dissolution comme une victoire, estimant avoir réussi à amener la question kurde sur le devant de la scène politique, nationale et internationale, et à avoir fait du combat pour les droits politiques et culturels kurdes un combat qu’il serait désormais possible de résoudre par voie démocratique. Autrement dit, il estiment avoir réussi à imposer au monde une forme de subjectivité politique kurde. Cela traduit également d’un constat partagé selon lequel la lutte armée ne serait désormais plus une méthode efficace afin de faire advenir des gains politiques, et qu’il s’agit aujourd’hui d’aller puiser d’autres moyens d’agir dans le répertoire de l’action collective. La dissolution effective du PKK n’impliquerait pas la fin de la lutte, mais plutôt la continuation de la lutte par d’autres moyens.
Ce n’est pas forcément un point de vue partagé par le gouvernement turc, qui perçoit plutôt cette annonce de dissolution comme une forme de capitulation dans le cadre du bras de fer militaire engagé depuis 50 ans.
Concrètement, quelles sont les conséquences de ce vote ?
Faisons un pas en arrière. L’appel d’Öcalan a interloqué une grande partie de ses auditeurs car il ne mentionnait, en surface, aucune contrepartie : dans le texte, il ne fait pas de demande explicite de reconnaissance des droits kurdes dans la constitution turque ou de libération de prisonniers politiques.
Le communiqué du Comité, lui, a posé des exigences : la dissolution requiert la mise en place par le gouvernement turc d’un cadre légal devant encadrer le processus de paix à venir, ainsi que des garanties juridiques concernant les droits du peuple kurde. Ils exigent également que leur leader dirige ce processus, or Abdullah Öcalan est emprisonné depuis 1999 sur l’île d’Imrali, au large des côtes de la Turquie. Cette condition implique donc a minima une forme d’allègement des conditions de détention, ou bien, dans une interprétation maximaliste, sa libération. Pour l’heure, les discussions tournent plutôt autour d’un placement en résidence surveillée. L’annonce de la dissolution du PKK est donc déclarative et il faut attendre de voir les mesures que prendront le gouvernement et l’assemblée turque pour véritablement parler d’une fin effective de la guérilla.
Côté turc, le président Erdogan a explicitement indiqué que les offensives militaires qui ont lieu au nord de l’Irak, là où se trouvent les combattants du PKK depuis de nombreuses années, se poursuivront tant que la guérilla n’aura pas prouvé sa bonne foi. Le cessez-le-feu reste donc unilatéral pour le moment, même si l’on observe une réduction des hostilités dans les zones de combat.
Un autre point d’interrogation est la question des 5 000 à 6 000 combattants à démobiliser. Que vont-ils devenir ? Leur futur n’est d’ailleurs pas forcément homogène. S’il est possible d’envisager un retour en Turquie pour une partie d’entre eux, les cadres historiques devraient plutôt être accueillis par des pays tiers. Quoi qu’il en soit, il y aura probablement une phase impliquant un passage de ces combattants par des camps de démobilisation en Irak et le dépôt des armes, qui n’est pas encore à l'œuvre aujourd’hui.
Il faudra aussi voir ce qu’il advient, par exemple, des seize maires kurdes destitués depuis les élections municipales de 2024, accusés de “terrorisme”. Quid également des milliers de prisonniers politiques ? Seront-ils relâchés ? A quelle échéance, et sous quelles conditions ? Tous ces éléments donnent à la situation un caractère encore très évasif et ambigu. Il n’est pas impossible, à ce stade, que le PKK se reconstitue si le processus de paix n'avance pas. Cela a déjà été le cas par le passé, notamment en 2004 et 2015.
Quelles peuvent être les conséquences au-delà des frontières turques ?
Le PKK est, depuis longtemps, retranché dans les montagnes du nord de l’Irak. C’est là qu’ont lieu les combats qui les opposent à l’armée turque. Concrètement, tout le nord du pays est une zone de guerre. Plusieurs régions sont bombardées quotidiennement, de nombreux villages ont été évacu és. Si le cessez-le-feu devient mutuel, les populations pourront retourner dans leurs villages.
Par ailleurs, l’offensive militaire turque dans le nord de l’Irak a impliqué la construction de routes, de très nombreuses bases militaires et de partenariats sécuritaires avec le gouvernement de la Région autonome du Kurdistan d’Irak ainsi qu’avec Bagdad. Que vont devenir ces éléments lorsque la présence militaire turque contre le PKK ne sera plus “justifiée” ?
Un autre enjeu complexe se situe en Syrie. Le nord-est du pays est contrôlé par l’Administration Autonome du Nord et de l’Est de la Syrie (AANES). Cette administration est dominée par un parti, le Parti de l’Union Démocratique (PYD) et sa branche militaire, les Unités de Protection du Peuple (YPG). Ces organisations défendent un application locale du projet politique et idéologique d’Abdullah Öcalan, et font partie d’une même organisation ombrelle que le PKK, à savoir l’Union des Communautés du Kurdistan (KCK). Cette proximité avec le PKK sert de justification aux opérations militaires lancées depuis plusieurs années par la Turquie dans la région du nord-est Syrien. Il est donc possible que l’annonce de la dissolution du PKK ait des conséquences sur ce rapport de force-là. C’est en tout cas l’espoir des Kurdes de Syrie.
Un troisième élément plus transversal se joue en Irak, en Syrie, en Turquie et en Europe : la criminalisation du PKK a entraîné la criminalisation de multiples structures sociales, politiques ou culturelles mobilisées pour la défense des droits kurdes et pour le projet politique d’Abdullah Öcalan. La dissolution du PKK et la mise en place d’un processus de paix pourraient permettre une décriminalisation du militantisme pro-kurde, en allégeant la pression sur les civils emprisonnés pour y avoir participé.
Iris Lambert est doctorante au CERI. Titulaire d’un bachelor de University College London et d’un master en relations internationales de l’École de la recherche de Sciences Po, Iris Lambert a été correspondante de presse pour Libération, Le Soir ainsi que pour la presse magazine française. Son travail de thèse porte sur les codes de conduite des groupes armés et les relations entretenues avec les normes du droit international humanitaire.