Religions et classes sociales. Entretien avec Juliette Galonnier
Juliette Galonnier, Assistant Professor au CERI à Sciences Po, nous parle de l'ouvrage Religions et classes sociales qu'elle a codirigé avec Anthony Favier, Yannick Fer et Ana Perrin-Heredia, paru à ENS Editions, collection Sociétés, Espaces, Temps, 2023.
Cet ouvrage réunit onze enquêtes qualitatives qui portent sur des traditions religieuses et des groupes sociaux très divers et qui mobilisent des entretiens, des observations ethnographiques, des archives ou de la cartographie. Par leur attention au détail et leur recours à la description dense, ces enquêtes explorent chacune de nombreuses facettes des liens entre religions et classes sociales, si bien qu’il n’a pas toujours été facile de les faire rentrer dans une table des matières ordonnée. Pourtant, trois lignes de force nous ont semblé se détacher, qui constituent autant d’étapes analytiques pour comprendre l’articulation entre religions et classes sociales, et qui nous ont donné les trois grandes parties de l’ouvrage.
La première partie est ainsi consacrée à la fabrique des groupes sociaux et au rôle que jouent le religieux et la classe sociale dans la formation des frontières entre les groupes et au sein des groupes : on y découvre des superpositions intéressantes entre appartenance religieuse et appartenance de classe (des ouvriers catholiques et des patrons protestants dans une ville du sud de la France), mais aussi des réflexions sur les petites logiques de différenciation interne que permet le religieux au sein des classes sociales.
La deuxième partie porte sur la manière dont l’articulation entre religions et classes sociales peut renforcer des mécanismes de domination ou au contraire favoriser des moments d’indistinction et de mise en suspens de l’ordre social. On y découvre notamment comment le dédain pour les pratiques religieuses populaires peut servir à renforcer des positions de classe dominantes (comme chez les élites argentines) ou comment la lutte pour la définition de la « bonne religion » recoupe souvent des luttes de classe (comme au sein de la jeunesse musulmane française).
La troisième partie se concentre sur l’intersection du religieux et de la classe à l’échelle des destins individuels pour explorer de manière encore plus fine les mobilités sociales que permet le religieux (comme pour les officiers catholiques dans l’armée française) ainsi que les dissonances, les contradictions et les désajustements qui ne manquent pas d’apparaître dans les parcours.
Ces trois dimensions sont bien sûr toujours étroitement imbriquées dans la réalité du monde social et elles traversent chacune des enquêtes du livre, mais nous espérons que cette organisation permet aux lecteurs de mieux s’approprier la complexité des liens que nous mettons en lumière entre religions et classes sociales.