Une petite salle de lecture qui a fait d'un étudiant étranger un historien de la politique française

Yohei Nakayama, 15 décembre 2020

C’était dans la fameuse petite salle de lecture des Archives d’histoire contemporaine (AHC) du Centre d’histoire de Sciences Po (CHSP), alors située 44, rue de Four à Paris dans le 6e, que j’ai commencé ma carrière en tant qu’historien de la politique française du XXe siècle il y a presque trente ans. Mon premier livre, publié en japonais en 2002 par les Presses de Université de Tokyo (A Political Experiment in Post-War France : the Fourth Republic and its "Organized Parties", Tokyo, University of Tokyo Press, 2002, 356 p. + 26 p. [en japonais]) et dont l’aperçu est accessible aux lecteurs français à travers mon petit chapitre publié en 2000 (« La naissance de la Troisième Force et la lutte contre la hausse des prix : échec de la dernière offensive des «partis organisés» », Serge Berstein, Frédéric Cépède, Gilles Morin et Antoine Prost (dir.), Le Parti socialiste entre Résistance et République, Paris, Publications de la Sorbonne, 2000, p. 269-281), portait sur le parti socialiste SFIO et le Mouvement républicain populaire (MRP) sous la IVe République, en particulier sur le déclin de leurs organisations militantes.

Peu après mon arrivée à Paris à l’été 1993, j’ai compris que la rue de Four serait un des points de passage incontournables pour mes travaux. En effet, elle m’a fourni des sources essentielles telles que les fonds du MRP, de Léo Hamon, de Daniel Mayer et du Groupe parlementaire socialiste. La collection des circulaires du Secrétariat général aux fédérations a beaucoup contribué à confirmer mon hypothèse que non seulement la SFIO mais aussi le MRP ont été conçus et construits en tant que partis de militants, et ont fonctionné comme tels, surtout dans les premières années de la IVe République. Les comptes rendus (le plus souvent manuscrits) de la commission exécutive du MRP m’ont permis de retracer les passions et rancœurs des militants démocrates-chrétiens à l’égard de leurs dirigeants qui étaient alors au pouvoir pour faire face à la guerre froide, à la construction européenne et à la décolonisation.

Les archivistes des AHC développaient des réseaux de coopération avec plusieurs services d’archives et centres de documentation à la fois parisiens et de province. J’en ai beaucoup profité, surtout lorsque je suis descendu en province pour travailler sur les politiques d’aménagement du territoire. À Grenoble, par exemple, j’ai pu feuilleter une immense série de dossiers d’interventions en faveur des projets de travaux publics locaux dans le fonds Jean Berthoin (sénateur radical), confiés en 1975 à la FNSP et déposés aux Archives départementales de l’Isère en 1986 (« Une étude comparative du dynamisme de l’aménagement urbain des années 1960. Les cas de la Loire et de l’Isère », dans Philippe Verheyde et Michel Margairaz (dir.), Les politiques des territoires. La Caisse des dépôts et consignations, les institutions financières et les politiques, Presses universitaires de la Sorbonne, 2020).

Si certaines archives privées que j’ai consultées dans les locaux des partis ou chez des particuliers à l’époque ont été ultérieurement données aux AHC (fonds du MRP-Fédération de la Seine, de Simon Nora et d’Ernest Pezet), je sais que c’est grâce aux efforts assidus de nos collègues archivistes. Il est donc peu surprenant de voir un élément ou deux ajoutés à la liste déjà longue des fonds à chaque fois que l’on consulte le site web du CHSP. Le flambeau passé d’une génération à l’autre, je suis convaincu que les AHC continueront à jouer un rôle essentiel dans l’initiation et la formation de jeunes historiens.

Yohei Nakayama (Professeur d’histoire politique européenne, Université de Tokyo)

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