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16.05.2025
Wauquiez ou Retailleau, derrière la présidence de LR, l’ombre du trumpisme
Les deux candidats à la présidence du parti Les Républicains, Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez, seront départagés par les militants les samedi 17 et dimanche 18 mai. Leur positionnement pourrait-il répondre aux aspirations « trumpistes » d’une partie des électeurs français – si l’on entend par trumpisme une combinaison de libéralisme économique, d’autoritarisme et de critique de la démocratie considérée comme inefficace ?
Analyse par Luc Rouban, chercheur au CEVIPOF de Sciences Po, initialement publiée par notre partenaire The Conversation.
L’élection du nouveau président du parti Les Républicains (LR) les 17 et 18 mai 2025 se revêt d’une importance toute particulière dans l’histoire récente des droites en France. Certes, la compétition entre Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez met en lumière le besoin pour les LR de renouveler leurs équipes dirigeantes après le long déclin du parti, puis les affaires judiciaires qui se sont accumulées sur la personne de Nicolas Sarkozy après celles qui ont visé François Fillon en 2017.
Mais la désignation d’un nouveau patron de LR constitue également une étape décisive pour la droite dite républicaine dans la préparation de l’élection présidentielle de 2027. Celle-ci revêt pour elle un double enjeu : sortir le pays d’une crise démocratique qui n’en finit plus en reprenant le récit de la Ve République et trancher la question centrale de savoir qui sera en mesure d’assurer l’union des droites face à un Rassemblement national (RN) ayant connu une dynamique électorale sans précédent lors des élections législatives de 2022 et de 2024.
En d’autres termes, les adhérents de LR, en tranchant la question de leur leadership interne, vont devoir également se demander si leur parti doit garder ses distances avec le RN et affirmer sa différence ou bien, au contraire, jouer la carte de la convergence avec lui afin d’attirer la partie la plus bourgeoise de son électorat, ce que semble faire d’ailleurs Bruno Retailleau qui est crédité aujourd’hui de la plus grande probabilité de succès.
Sur le terrain idéologique, la question pour LR est de savoir comment absorber l’effet de souffle du trumpisme.
Le trumpisme est l’expression propre aux États-Unis d’une philosophie alliant le libéralisme économique et l’autorité dans une critique fondamentale de la démocratie représentative, considérée comme inefficace. Mais ces idées alimentent aussi les progrès des droites radicales ou extrêmes en Europe et en France. Pour tenter d’appréhender cette double question, on doit étudier les électorats bien plus que les déclarations des candidats.
Une convergence grandissante autour du libéralisme économique
L’analyse des enquêtes menées dans le cadre du Baromètre de la confiance politique du Cevipof montre une montée en force du libéralisme économique depuis 2017 et une assez nette convergence des électorats de LR et du RN.
Les forces électorales des droites extrêmes ou radicales se sont diversifiées puisque les électeurs de Reconquête s’avèrent plus fortunés, plus âgés et plus libéraux que celui du RN, mais n’en constituent pas moins une armée électorale de réserve pour le RN comme le montrent les transferts de voix entre les deux tours des élections législatives de 2024. On a donc regroupé en un seul ensemble ces électeurs pour les comparer à ceux de LR auxquels on ajoute également les électeurs de ses alliés divers droite.
Pour mesurer le libéralisme économique, on a construit un indice reposant sur le fait de vouloir réduire le nombre de fonctionnaires, de faire confiance aux grandes entreprises et de penser que l’État doit faire confiance aux entreprises plutôt que les contrôler. Cet indice a été ensuite divisé entre un niveau faible (aucune ou une réponse positive) et un niveau élevé (deux ou trois réponses positives).
Comme le montre le graphique, le libéralisme économique a gagné beaucoup de terrain chez les électeurs des droites radicales entre 2017 et 2024, ce qui les met presque au même niveau que les électeurs LR.
Il est également important dans l’électorat macroniste et pas si faible chez les électeurs de la gauche socialiste ou des écologistes (regroupés sous l’étiquette G social-écolo) ou bien encore chez ceux qui votent blanc et nul ou qui s’abstiennent (regroupés sur l’étiquette Abstention).
Le libéralisme économique reste associé à la recherche de l’autorité
Si la philosophie originelle du libéralisme politique, telle qu’elle est par exemple proposée par John Locke au XVIIe siècle, suppose une nette séparation de la sphère publique et de la sphère privée, le libéralisme illustré par le trumpisme s’associe aussi fortement avec la recherche de l’efficacité managériale sur le modèle plus ou moins mythifié de l’entreprise privée. On s’éloigne donc des théories libertariennes dans la mesure où cette efficacité est censée passer par une verticalité autoritaire qui n’a pas nécessairement à préserver la sphère privée ou les libertés traditionnelles comme celles de la communauté académique.
On a donc construit un indice d’autorité verticale reposant sur les réponses à trois propositions : un bon système politique est celui qui a un homme fort à sa tête qui n’a pas à se préoccuper des élections ou du Parlement, où les experts décident de ce qui est dans l’intérêt général, où l’armée dirige le pays. L’indice va donc de 0 à 3.
Une première observation tient à la forte corrélation avec l’indice de libéralisme économique puisque ceux qui se situent au niveau 0 du libéralisme économique sont 16 % à être fortement autoritaires contre 52 % de ceux qui se situent au niveau maximum 3 du libéralisme économique. Le libéralisme autoritaire est donc un concept dont on peut mesurer la validité statistique. Les enquêtés qui sont à la fois fortement autoritaires et fortement libéraux sur le plan économique représentent 25 % de tous les enquêtés.
Une seconde observation, comme le montre le graphique 2, est que l’électorat LR est plus proche de l’électorat macroniste sur ce terrain que de l’électorat RN, même si l’écart s’est réduit entre 2022 et 2024. Le même graphique montre également la fracture entre les gauches comme l’évolution notable des abstentionnistes ou de ceux qui ont voté blanc ou nul.
Un « trumpisme d’atmosphère »
Si les électeurs des droites radicales ou extrêmes, et notamment ceux du RN, se distinguent toujours de ceux de LR, cette distance s’est amenuisée dans le temps. Ils partagent assez largement le rejet de l’immigration, l’affirmation de la souveraineté nationale et se méfient fortement de la justice, autant de caractéristiques que l’on retrouve dans le trumpisme.
En arrière-fond, l’argument de l’efficacité de l’action publique, développé par la droite depuis longtemps et plus récemment par le macronisme, qui déploie en permanence le récit de « l’action », vient cimenter cette nouvelle philosophie politique. Celle-ci reste difficile à caractériser car elle ne se déploie pas sur les registres habituels du populisme. Elle se révèle très élitiste par le recours à la tech comme moyen d’organiser une rupture historique, tout en dénonçant le rôle sociétal de la science, promeut le changement par le haut et vient démonétiser les pratiques de la vie politique ordinaire.
Pour mesurer, partiellement, la part que prend ce « trumpisme d’atmosphère », on a créé un indice reposant sur les réponses positives à deux propositions (il y a trop d’immigrés en France, la France doit se protéger davantage du monde) et le fait de ne pas avoir confiance dans la justice. En moyenne, les enquêtés français se situent à 56 % sur le niveau supérieur en 2025.
Comme le montre le graphique 3, le potentiel trumpiste s’avère important dans tous les électorats de droite au premier tour des élections législatives de 2024 comme chez les abstentionnistes.
La bataille pour le leadership de LR se revêt donc de deux questions. La première est de savoir qui sera en mesure d’activer dans un programme politique ce « trumpisme d’atmosphère » pour envisager une victoire à la présidentielle de 2027.
La seconde tient au fait qu’un avatar du trumpisme n’est guère compatible avec l’héritage gaulliste et son culte de l’État, héritage que LR et le RN tentent de récupérer chacun de son côté – à moins que cet avatar ne soit vendu sous l’étiquette de néo-gaullisme.
Légende de l'image de couverture : Entrée du siège du parti Les Républicains, Paris, juillet 2023. (crédits : HJBC / Shutterstock)