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15.03.2018

Pourquoi Vladimir Poutine a déjà gagné la présidentielle en Russie

Par Cyrille Bret, enseignant à Sciences Po. Depuis bientôt deux décennies, de nombreux observateurs en Europe et en Amérique du Nord répètent la même question : pourquoi Vladimir Poutine est-il élu et réélu, mandat après mandat ?

À quelques jours du scrutin du 18 mars, et alors que la tension monte entre Russie et Royaume-Uni concernant la mort de l’ancien agent Skripal, beaucoup observent le phénomène Poutine emplis de perplexité. Le Président russe et son bilan sont loin d’être au-dessus des critiques, même du point de vue de l’électeur russe ordinaire : la vigueur des manifestations de l’hiver 2011-2012 en a attesté suite aux irrégularités aux élections législatives. Mais le Président candidat sera sans rival sérieux lors de cette élection. Reste à comprendre les raisons de cette victoire annoncée.

Les ressorts d’une popularité bien réelle

En ce qui concerne les taux de popularité et les intentions de vote, certains restent sceptiques : ne s’agirait-il pas d’une popularité organisée, comme l’étaient les scrutins soviétiques par le passé ?

L’institut Levada les a pourtant confirmés année après année. Il jouit d’une indépendance reconnue au-delà des frontières de la Russie. Il est d’ailleurs classé « agent de l’étranger » par l’administration russe. Aujourd’hui, ces sondages de Levada ne sont plus autorisés car ce statut interdit à Levada d’interférer avec le processus électoral. Néanmoins, les données disponibles indiquent un président à environ 65 % des intentions de vote.

La popularité du Président a des ressorts puissants qui échappent parfois. C’est un ancien colonel du KGB. Il est, à ce titre, un membre de la communauté des « siloviki », les « hommes de force ». Autrement dit, un fonctionnaire des services de sécurité. Le KGB, devenu FSB depuis la fin de l’URSS, n’est pas seulement, pour les Russes, le service d’espionnage des romans de John Le Carré. C’est une institution centrale pour le fonctionnement de l’État russe. Pour les Occidentaux, cette origine professionnelle suscite la suspicion. Mais pour bien des électeurs russes, c’est un gage d’efficacité et de rigueur et de dévouement aux intérêts nationaux.

Dans cette popularité, la capacité du président russe à occuper la scène médiatique joue un rôle essentiel. Depuis plus de dix ans, il se montre capable de tenir son rôle et son rang dans des émissions télévisées le plaçant, des heures durant, dans un jeu de questions et réponses directes avec les téléspectateurs de toute la Fédération. Ces « conversations au coin du feu » version poutinienne entretiennent la réputation de proximité du Président.

Ainsi, l’émission Ligne directe réunit de très nombreux téléspectateurs sous la forme d’un marathon télévisuel. Et la mise en évidence du corps du Président, sa passion pour le judo et les sports de plein air renforcent son image d’homme fort et sain. Là encore, que les Européens et les Occidentaux ne s’y trompent pas : leur propre perception de l’interview du président Poutine par Oliver Stone ne reflète pas l’état de l’opinion russe.

Une opposition à la faiblesse structurelle et organisée

Dans la compétition électorale, la candidature Poutine surclasse largement les autres. Les candidats communistes, d’abord Ziouganov et aujourd’hui Pavel Groudinine, ne font entendre que des thèmes compatibles avec les objectifs de grandeur nationale de la présidence Poutine.

Le candidat du Parti libéral démocrate de Russie (LDPR), Vladimir Jirinovksi, est lui aussi tonitruant en apparence mais intégré dans le système politique. Ses thèmes nationalistes à la frontière de la xénophobie ne peuvent présenter de véritable danger pour la candidature Poutine. De fait, ces deux candidatures ne rallient que 10 % des intentions de vote à l’heure actuelle.

La faiblesse de l’opposition parlementaire et politique est structurelle. Elle est favorisée de plusieurs façons. D’une part, les médias d’État ont été réorganisés durant la décennie 2000. Les Occidentaux le savent en ce qui concerne les médias russes d’expression étrangère : à partir de 2008, ils ont été réorganisés autour de la holding à fonds publics Rossya Segodnia qui chapeaute les désormais fameuses RT et Sputnik.

D’autre part, les opposants véritablement alternatifs au système poutinien rencontrent des obstacles : le plus célèbre d’entre eux, l’avocat Alexei Navalny, avait organisé des manifestations importantes et est interdit de compétition électorale pour inéligibilité jusqu’en 2028 pour détournement de fonds. Quant à Xenia Sobtchak, fille de l’ancien maire de Saint-Pétersbourg, elle ne convainc pas comme « opposante de choc » et réunit 2 % d’intentions de vote…

À mesure que le temps passe, les chances de l’opposition de se structurer en alternative véritable s’amenuisent : depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine en 1999, plusieurs générations de jeunes électeurs se sont formées et sont devenu des « générations Poutine », qu’elle le veuille ou non.

Le Président de la prospérité

Si les observateurs occidentaux ont en tête la crise économique qui a plongé la Russie dans la récession depuis 2014, les électeurs russes ont, eux, en mémoire la décennie 2000 et la croissance importante de l’économie durant cette période. Ainsi, la croissance russe a été constamment autour de 7 % par an entre 1999 et 2008. On peut contester la solidité de cette croissance : elle est en large partie due au rattrapage par rapport à la décennie 1990 ; elle dépend de facteurs exogènes et notamment des exportations de minerais et d’hydrocarbures ; et elle est fragile, comme l’ont montré les deux retournements brutaux de 2008 et 2014.

Toutefois, les électeurs russes ont des attentes à l’égard de ce « Président de la prospérité » : ils lui sont reconnaissants d’avoir limité la visibilité des oligarques mais ils souhaitent une réduction des inégalités. Ils reconnaissent qu’il a maîtrisé la crise récente du rouble mais s’inquiètent de leurs prestations sociales dont le niveau est encore limité.

La restauration du statut international et la lutte contre le terrorisme

Enfin, les électeurs russes ont été sensibles au redressement de l’image de la Russie sur la scène internationale. Depuis l’ère Eltsine marquée pour l’électeur russe par l’humiliation internationale, les présidences Poutine ont représenté un tournant.

Depuis les années 2000, la Russie s’est réaffirmée sur la scène internationale : en créant avec le Brésil, l’Inde et la Chine l’organisation des BRICs et en structurant avec la Chine l’Organisation de Coopération de Shangaï.

Elle a aussi de plus en plus fait pièce à l’influence américaine en s’opposant à sa présence en Asie centrale, en Europe et au Moyen-Orient. La contestation du bouclier antimissile, le renforcement de la présence militaire russe dans la Baltique, le plan de modernisation des forces armées lancé en 2009, la guerre en Géorgie (2008), la guerre en Ukraine et l’intervention en Syrie sont autant de réaffirmations des intérêts russes, de la puissance russe et de la capacité à se projeter à l’extérieur. Là encore, ce qui inquiète les Occidentaux est précisément ce qui renforce la candidature Poutine à l’intérieur du pays.

The ConversationLe 18 mars 2018, jour anniversaire du « rattachement » de la Crimée à la Fédération de Russie et premier tour des élections présidentielles russes, les Européens ne devront pas s’étonner de la réélection d’un candidat qu’ils adorent détester.

Cyrille Bret, Maître de conférences, Sciences Po – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Légende de l'image de couverture : Kirill Kudryavtsev/AFP