Accueil>“La politique du cinéma en France nous est enviée dans le monde entier”
11.07.2016
“La politique du cinéma en France nous est enviée dans le monde entier”
Xavier Lardoux, directeur du cinéma au CNC (Centre national du cinéma et de l’image animée) a découvert lors de ses études à Sciences Po sa passion pour le 7ème art et pour la politique culturelle. Il la transmet désormais aux étudiants de l’École d’affaires publiques. Entretien.
Le cours que vous donnez à Sciences Po s’intitule "Forces & faiblesses du cinéma français". Quel est l’objectif de ce cours ? Qu’est-ce que vous aimeriez que les étudiants en retiennent ?
Xavier Lardoux : Le but de ce cours, c’est d'abord de mettre en lumière et de mieux comprendre les spécificités du modèle français en matière de cinéma. Notre politique cinématographique - qui date de 1946 - nous est enviée dans le monde entier, et parfois même copiée ! Des pays comme l’Allemagne, le Maroc, le Brésil ou encore la Corée du Sud s’en sont inspirés et ont même créé des équivalents du CNC*.
Par ailleurs, les étudiants qui suivent ce cours ont tous une appétence pour le cinéma et souhaitent souvent travailler dans ce domaine : soit dans le secteur privé, surtout du côté de la production, soit au sein des structures publiques comme la Cinémathèque française, les collectivités locales ou le CNC. En conviant cette année à ce cours des acteurs importants du secteur (comme Denis Freyd, le producteur des Frères Dardenne, le cinéaste Michel Hazanavicius ou encore Thierry Fremaux, le directeur du Festival de Cannes), l'idée est de faire découvrir aux étudiants des métiers différents et idéalement de créer des vocations !
En quoi le système français est-il un modèle ?
X. L. : C’est un secteur qui a su s’organiser très tôt, parce que les pouvoirs publics y ont attaché une importance particulière. C’est aujourd’hui le domaine culturel le mieux structuré et le mieux financé de tous : il est d’ailleurs regardé avec envie par d’autres secteurs, comme la musique, qui a tenté en vain il y a peu de temps de créer, sur le modèle du CNC, un Centre National de la Musique … Les résultats de cette politique sont frappants : la France est aujourd'hui le 1er pays européen en termes de production de films (avec 235 films produits en 2015), mais aussi en termes de fréquentation en salle (avec 205 millions de spectateurs en 2015). La France est - certes très loin derrière les États-Unis - mais régulièrement le 2ème exportateur mondial de films, et les films français représentent une part de marché de 35% à 40% en France chaque année, ce qui est exceptionnel. Enfin, nous accueillons bien sûr le plus grand festival de cinéma du monde avec Cannes...
Est-ce compliqué de former des étudiants sur un sujet qui évolue aussi vite ?
X. L. : Ce que je trouve intéressant pour les étudiants, c’est de traiter justement d’un secteur qui doit s’adapter en permanence à l’évolution des technologies, des acteurs économiques et artistiques, ainsi que des pratiques des spectateurs. Et le système français y parvient relativement bien. Contrairement à ce que l'on pense souvent, le cinéma en France ne repose pas sur des subventions publiques : les ressources du CNC proviennent des recettes des salles de cinéma, des chaînes de télévision, et, depuis quelques années, des opérateurs de téléphonie mobile et d’internet. La redistribution de ces taxes par le CNC permet d’accompagner la diversité de la création, en soutenant les auteurs, les producteurs, les distributeurs et les salles de cinémas. C’est un modèle qui n’a cessé et ne cesse de se réinventer !
Quels sont les enjeux que vos étudiants auront à gérer s’ils travaillent dans ce domaine ?
X. L. : Aujourd’hui ce financement du cinéma s’appuie sur des opérateurs établis en France. Or des acteurs décisifs aujourd’hui ciblent le marché français en se situant à l’étranger (Itunes, Netflix...). Un des grands enjeux, c’est de faire en sorte que ces nouveaux opérateurs participent également au financement de la création. Il faut que ce soit, non pas le pays d’origine comme c’est le cas aujourd’hui qui soit visé, mais le pays de destination, c’est-à-dire le pays ciblé par le service en matière de taxation (notre taxe sur les services vidéo) ou de régulation (quotas, obligations d’investissement) : en ce sens, une proposition législative, qui date début juin et fortement soutenue par La France, ouvre des pistes prometteuses et va être examinée par les institutions européennes. Tous ces défis intéressent beaucoup les étudiants, notamment les étudiants étrangers qui suivent mon cours.
Vous avez fait Sciences Po vous aussi, vous en parlez comme d’une “éducation classique” : le cours que vous donnez, vous l’auriez choisi à l’époque s’il avait existé ?
X. L. : Mais c’est un des cours que je suivais à Sciences Po qui m’a convaincu de travailler dans le secteur culturel ! Celui de Maryvonne de Saint-Pulgent et Georges Liébert, qui s’appelait “Pratiques et politiques culturelles en France”. L’objectif était de nous faire comprendre les mécanismes de la politique culturelle en France. Ils faisaient venir de grands noms du secteur dans le cours, et ces rencontres m’ont beaucoup inspiré. C’est aussi à ce moment-là que j’ai commencé à écrire des critiques de films, parce que je passais beaucoup de temps au cinéma (un peu trop !) et que j’avais envie de faire partager mon enthousiasme.
Est-ce que vous encouragez vos étudiants à aller au cinéma ?
X. L. : J’ai deux motivations pour faire ce cours. D’abord, je dois énormément à Sciences Po qui m’a conduit à des fonctions successives passionnantes, comme celle que j’ai la chance d’exercer aujourd’hui. Ensuite, j’ai envie de transmettre aux étudiants ce goût du cinéma, à la fois et avant tout comme plaisir artistique, mais aussi pour sa fonction politique, qui est essentielle. On l’a vu encore à Cannes il y a quelques semaines : ce festival, qui est le coeur du cinéma d’auteur international, est une fenêtre unique sur le monde et ses grands enjeux.
Quel bilan tirez-vous de cette dernière édition du Festival ?
X. L. : Sur un plan artistique d'abord, nous étions très heureux que soit présentée plus d’une quinzaine de films (sur 80, toutes sections confondues) qui avait été soutenue par l'avances sur recettes - l'aide la plus prestigieuse du CNC- à l'image très beau film de Joachim Lafosse "L'économie du couple" avec Bérénice Bejo et Cédric Kahn présenté à la Quinzaine des réalisateurs.
Ensuite, d'un point de vue politique, et après plusieurs mois de négociations âpres, nous avons pu signer à Cannes le 13 mai dernier un accord décisif avec toute la profession pour accroître la diversité de l’offre cinématographique dans les salles de cinéma en France. C’est une réussite collective importante car l’objectif du CNC* est précisément de lutter contre l’uniformisation de l’offre cinématographique, qui est malheureusement le lot quotidien de l’immense majorité des pays à travers le monde.
Et votre palmarès personnel des films en compétition ?
X. L. : Comme le jury, j’ai été très séduit par le film de Xavier Dolan (Juste la fin du monde, ndlr), qui n’est pas un film "aimable", mais qui est très fort, très émouvant avec une Nathalie Baye incroyable, qui rappelle les grandes héroïnes de Cassavetes et de Almodovar. Et pour la rentrée de septembre, je recommande aussi Victoria, le 2ème film de Justine Triet (sélectionné à la Semaine de la critique), une jeune cinéaste française, qui signe une comédie enjouée sur une femme dépressive qu’interprète, avec beaucoup d’humour, Virginie Efira.
*Centre national du cinéma et de l’image animée : le CNC est un établissement public dont les missions principales sont de réglementer, soutenir et promouvoir le cinéma en France et à l'étranger.
En savoir plus