Accueil>Politique de santé : des mesures indispensables mais insuffisantes
17.12.2018
Politique de santé : des mesures indispensables mais insuffisantes
Le plan « Ma santé 2022 » a été présenté à la rentrée par Emmanuel Macron et Agnès Buzyn. Financement des hôpitaux, prise en charge transversale des pathologies, coordination avec la médecine de ville… Daniel Benamouzig, chercheur au Centre de sociologie des organisations de Sciences Po et spécialiste des politiques de santé analyse les principales mesures qui ont été annoncées.
Une nouveauté du plan santé est de penser conjointement l'hôpital et la médecine de ville pour améliorer l'accès aux soins. Ce changement d'approche vous paraît-il bénéfique ?
Cette orientation est indispensable ! Le système de santé souffre d’un cloisonnement excessif entre médecines hospitalière et ambulatoire. Ce clivage a des racines profondes, qui se sont ossifiées autour de modes de fonctionnement techniques, administratifs, financiers et humains. Au fur et à mesure que la population vieillit, que les maladies chroniques prennent plus d’importance, il est de plus en plus problématique. La circulation des patients à différents moments de leur prise en charge devient le véritable enjeu. Le mérite du plan est d’acter cette évolution, de signifier sans ambiguïté que le modèle d’organisation clivée et à dominante hospitalière a atteint ses limites. La portée symbolique du diagnostic est majeure. L’action publique pourra désormais s’en revendiquer.
La réforme marque-t-elle donc une rupture ?
Cet acte politique n’est ni inédit, ni abouti. Il prolonge des principes débattus depuis quelque temps, et place au cœur de la réforme des dispositifs existants, comme les Communautés professionnelles de santé des territoires. Il n’est pas non plus abouti car il fait l’impasse sur les deux bouts de la chaîne. Alors qu’il s’agit de repenser la transversalité entre la ville et l’hôpital, le plan contourne la question hospitalière et ne questionne pas l’organisation interne de l’hôpital, dont il restaure plutôt les modes d’organisation traditionnels (les services et les commissions médicales d’établissement). Parallèlement, alors qu’il s’agit de faire face à l’importance des maladies chroniques, la réforme reste silencieuse sur la santé publique et sur les déterminants de la santé extérieurs au système de soins. La réforme reste très médicale, et dit peu de choses des autres professions de santé. Le principal levier de changement sont les médecins eux-mêmes, comme l’illustrent les deux mesures emblématiques que sont la fin du numerus clausus des études médicales et la création d’assistants médicaux permettant de libérer du temps médical. Ces éléments sont intéressants, mais ne seront pas les vecteurs principaux des transformations à engager.
Le plan n’est pas tout à fait silencieux sur l’hôpital, puisqu’il prévoit une évolution du financement. Quels en sont les enjeux ?
La tarification à l’activité à l’hôpital a représenté, à partir de 2004, une évolution assez brutale. Elle a conduit les acteurs hospitaliers à prendre plus directement en compte des exigences d’efficience, auxquels ils n’étaient pas exposés jusqu’alors. Elle a, de plus, été mise en œuvre en même temps que d’autres réformes bousculant l’organisation de l’hôpital, comme les 35 heures ou une verticalisation de la gouvernance renforçant le pouvoir administratif aux dépens des médecins. Dans ce contexte, le financement à l’activité a conduit à proportionner le financement des établissements à leur activité réelle, selon des règles connues et partagées par les établissements. Il a aussi eu des effets pervers : il a conduit les acteurs hospitaliers à faire évoluer leurs activités pour tirer le meilleur parti des financements, en multipliant parfois les actes au dépens de la qualité, de la pertinence des soins et du sens même du travail de soin. Parallèlement, les pouvoirs publics n’ont eu de cesse de réviser sinon les règles du moins les tarifs, de manière souvent opaque et technocratique. De sorte que le financement à l’activité est devenu le symbole d’une gestion bureaucratique de l’hôpital.
Les indicateurs de qualité et le paiement forfaitaire de maladies chroniques comme le diabète permettront de surmonter ces difficultés ?
La prise en compte de la qualité vise à amortir les effets de la tarification à l’activité, qui amène une multiplication des actes sans visibilité sur la qualité ou la pertinence des soins. Conçus depuis de nombreuses années, des indicateurs de qualité peuvent être pris en compte, d’autant qu’ils peuvent intégrer le point de vue des patients. Le paiement forfaitaire de maladies chroniques est beaucoup plus innovant. Il ne finance plus des actes ou des structures, mais une organisation transversale de la prise en charge entre la ville et l’hôpital. La réforme commence par deux pathologies et s’en tient à la part hospitalière, laissant l’articulation avec la ville pour plus tard. Quelles que soient ces limites, c’est sans conteste le début d’un processus qui gagnera à être observé, même si son évaluation n’est malheureusement pas prévue à ce stade.
Le chef de l'État a indiqué que l'hôpital souffre moins d'un problème de financement que d'un problème d'organisation. Qu'en pensez-vous ?
Les difficultés d’organisation de l’hôpital, dont le financement n’est qu’un levier, restent largement devant nous. Ses évolutions restent difficiles à envisager, d’autant qu’il n’est plus l’objet d’aucune réflexion prospective depuis des années. Le modèle hospitalier, inauguré avec la réforme Debré de 1958, que le président de la République dit aujourd’hui vouloir dépasser, reste bien en place : l’hôpital à tout faire, ce conglomérat dans lequel les acteurs font toute leur carrière, comme médecins mais aussi comme directeurs ou comme étudiants, correspond au type des organisations bureaucratiques des années soixante, dont il est contemporain. Ce modèle absorbe aujourd’hui une part considérable des ressources et des énergies, notamment celles des personnels. Il est mal adapté aux enjeux d’une prise en charge transversale mais ses évolutions restent à dessiner, au-delà de la réforme. Le recours au management et aux instruments de gestion est une chose, qui arrive à la fin d’un cycle, mais une vision de nouveaux principes d’organisation en est une autre : elle nécessite un travail sur l’organisation interne et externe de l’hôpital, dont dépendent les relations avec la médecine ambulatoire. Ces sujets ne font pas l’objet d’assez de réflexions, de recherches et de prospective. De sorte que l’expérimentation se fait en temps réel. La réforme y prend sa part, et engage le système de santé sur un chemin de transformation qui s’annonce encore long.
Propos recueillis par Anna Egéa , Centre de sociologie des organisations de Sciences Po