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19.03.2020
Non, le modèle italien n’est pas celui du confinement total
Par Théo Fournier, enseignant à Sciences Po - Les mesures françaises en vigueur depuis le 17 mars dans la lutte contre le Covid-19 s’apparentent-elles à un copier-coller des mesures italiennes ?
Le 4 mars, le Président du Conseil Giuseppe Conte annonçait la fermeture de toutes les écoles et universités. Le 9 mars, un nouveau décret ordonna la fermeture des lieux publics tels que bars, discothèques et lieux culturels. Le 11 mars, ce fut au tour de toutes les activités commerciales non essentielles de cesser.
Du côté français, le 12 mars, Emmanuel Macron annonçait le passage du stade 2 au stade 2+ correspondant à la fermeture de toutes les écoles et universités, ainsi que l’interdiction des rassemblements publics. Quelques jours après, le 14 mars, Édouard Philippe décida l’activation du fameux stade 3 synonyme de fermeture de tous les commerces et services publics non essentiels. L’ultime carte à jouer était le confinement de la population française.
Mardi 17 mars, nous y voilà. Le gouvernement français a franchi une nouvelle étape dans la lutte contre le Covid-19 en décidant de restreindre les mesures de déplacement sur l’ensemble de la population française. S’agit-il d’un couvre-feu national sur le même modèle que les mesures italiennes ? Quel est le cadre légal de ces nouvelles mesures et surtout, le gouvernement pouvait-il aller plus loin dans les restrictions ?
Non l’Italie ne connaît pas un couvre-feu généralisé
Avant toute chose, il est important de revenir en détail sur le cadre juridique des mesures italiennes. Le décret italien du 11 mars se situe dans la lignée du décret du 9 mars qui décida l’extension des mesures prises en Italien du nord à l’ensemble du territoire italien.
Il fut pris par le premier ministre italien en application de l’article 15 de la loi du 23 août 1988 qui gère les relations entre le gouvernement central et les régions. L’Italie étant un État régional, l’activation de cet article s’imposait pour adopter une politique homogène sur l’ensemble du territoire.
Cet article permet au gouvernement de légiférer et de passer outre les compétences des régions en cas de situation d’urgence ou de nécessité. Parmi ces mesures il y avait la fermeture de certains lieux publics (étendus à toutes les activités non essentielles le 11 mars) ainsi que l’interdiction de quitter la zone contaminée en dehors d’une raison de travail, de santé ou de retour à son lieu de résidence.
C’est cette mesure d’interdiction qui a causé la plus grande confusion en Italie : puisque les mesures étaient étendues à toute l’Italie, s’agissait-il d’une application d’un couvre-feu sur l’ensemble du territoire ?
L’interdiction de quitter une zone ne signifie pas une interdiction de quitter son habitation personnelle. En d’autres termes, les citoyens italiens peuvent quitter une zone géographique particulière (par exemple la province de Florence) s’ils justifient d’une raison valable (santé, travail ou domicile).
Le décret italien n’impose pas de couvre-feu dès 18h, comme cela a pu être écrit ou dit. Il est tout à fait possible à l’heure actuelle de faire son footing, de sortir son chien ou même de flâner de manière raisonnable sans être inquiété, selon le décret, par les forces de l’ordre.
Il ne s’agit pas d’une interprétation extensive de la loi. Il s’agit d’une interprétation stricto sensu de la loi. Les forces de l’ordre ont reçu le mandat de contrôler une restriction d’aller et de venir (sortir des provinces) et non une restriction de la liberté personnelle (sortir de chez soi).
Parler de confinement généralisé « à l’italienne » signifie donc une restriction de quitter un territoire donné afin de lutter efficacement contre la propagation du virus. L’objectif principal de cette mesure est de répartir l’effort sanitaire sur l’ensemble du territoire afin d’éviter une surcharge des hôpitaux dans des zones sensibles.
Ni couvre-feu, ni état d’urgence
En France, le décret du Premier ministre du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus covid-19 s’inspire largement du cas italien. Le décret permet à toute personne de sortir de son domicile pour raisons professionnelles, pour effectuer des commissions, pour motif de santé, pour motif familial impérieux, pour assistance à des personnes vulnérables ou pour la garde d’enfants, pour faire du sport ou pour sortir son chien. Il ne s’agit pas d’un couvre-feu et il ne pouvait pas s’agir d’un couvre-feu car le gouvernement n’avait pas les armes juridiques à disposition.
Un couvre-feu est une restriction de la liberté personnelle alors que les mesures prises par le décret du 16 mars 2020 sont des restrictions de la liberté d’aller et venir. La distinction est importante car les réponses juridiques ne sont pas les mêmes.
En droit français, une restriction de la liberté personnelle doit être motivée par un motif impérieux comme l’interdiction de sortie du territoire dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Surtout, ces mesures doivent être individualisées, ce qui impossible quand il s’agit de contraindre plus de 60 millions de personnes.
Le gouvernement aurait pu appliquer la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et modifiée le 16 mars 2020. Cette loi ne s’applique qu’en situation d’état d’urgence, c’est-à-dire, selon l’article 1 :
« en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique ».
Le premier cas a justifié son application à de nombreuses reprises, notamment à la suite des attentats du 13 novembre 2015. Le cas de calamité publique pourrait par ailleurs s’appliquer à la situation actuelle eu égard à la menace que fait peser la propagation du virus sur notre système de santé.
L’état d’urgence si déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain (article 1), couvrirait l’ensemble de la population. Il permet d’interdire la circulation des personnes ou des véhicules dans les lieux et aux heures fixés par arrêté (article 5al1).
Quant aux assignations à résidence elles doivent se prendre au cas par cas, or comment évaluer les lieux concernés par l’interdiction ? Fallait-il interdire toutes les rues du territoire ? Mais dans ce cas, comment en contrôler la bonne exécution sur le territoire français ?
Un cadre juridique flou justifié par la nécessité d’agir
Le décret du 16 mars 2020 se situe dans la lignée des autres décrets Covid-19, à ceci près qu’il a été pris par le premier ministre alors que les précédents décrets furent pris par le ministre de la Santé. La nuance peut sembler bénigne mais elle est importante car elle témoigne d’une évolution du cadre juridique des mesures Covid-19.
L’évolution juridique ne concerne pas la base juridique des décrets. Le décret du 16 mars, comme son prédécesseur, le décret du 14 mars 2020, ont été tous les deux pris sur la base de l’article L3131-1 du code de la santé publique qui permet au ministre de la Santé de prescrire « toute mesure proportionnée… afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population » en cas d’épidémie. C’est ainsi que le ministre de la Santé a pu décider des différentes mesures du stade 3 : fermeture des lieux publics et des commerces non indispensables, interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes mais aussi renouvellement automatique de certaines ordonnances et organisation de la distribution des masques de protection.
Est-ce que le ministre de la Santé pouvait aller plus loin dans les mesures de restriction, jusqu’à limiter le déplacement des citoyens français ? Tout dépend de l’interprétation qui est faite des « mesures proportionnées ». À lire le code de la santé publique, il a lieu de penser qu’une telle restriction de la liberté d’aller et venir dépasserait la compétence du ministre de la Santé.
Face à ce dilemme, le gouvernement a choisi d’interpréter manière extensive l’article L3131-1. Il a permis au premier ministre de remplacer le ministre de la Santé afin de prendre des mesures exceptionnelles qui n’étaient pas de son ressort. Cela peut aussi expliquer la faible base légale de l’amende de 38€ annoncée par Christophe Castaner. Celle-ci n’est inclue ni dans le décret, ni dans le code de la santé publique.
Légalement, les choix du gouvernement sont contestables. Mais politiquement le gouvernement avait peu d’autre choix. En Italie, les mesures de restriction commencent à prouver leur efficacité. En insistant sur la nécessaire responsabilité individuelle de chacun, le gouvernement français a aussi rappelé qu’il ne peut pas prendre en charge seul la crise sanitaire. Il faut que chacun et chacune d’entre nous se restreignent dans ses mouvements, dans ses activités sociales, dans ses contacts personnels. C’est à ce jour le moyen le plus efficace de lutter contre le Covid-19.
Théo Fournier, est doctorant en droit au European University Institute de Florence et chargé de cours à Sciences Po et à l'université de Bologne. Son expertise porte sur les transitions démocratiques, le populisme, le droit constitutionnel comparé et politiques comparées.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.