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21.11.2016

L’identité nationale, ou le récit d’une passion française

Dans son nouveau livre, Dire La France : Culture(s) et Identités Nationales, 1981-1995, Vincent Martigny, maître de conférences à l'École polytechnique et chercheur associé au CEVIPOF, bat en brèche les idées reçues. L’identité nationale, thématique considérée de droite à partir de l'élection présidentielle de 2007, est née à gauche pour porter avec force les idées de la diversité. Pour dériver ensuite vers la droite et ses extrêmes. Retour sur une polémique française.

L’identité nationale n’est pas une thématique de droite ?

C’est la gauche, et en particulier le parti socialiste, qui a mis la question sur l’identité nationale à l’agenda politique dès la fin des années 1970, bien que dans des termes très éloignés du débat actuel. Certes, des groupuscules d’extrême droite comme la Nouvelle Droite ou le club de l’Horloge mettent en exergue l’identité nationale à la même période, mais le PS est le premier parti de gouvernement à s’y intéresser et à comprendre le bénéfice politique de son usage, alors que la droite classique est largement indifférente à cette question jusqu’au milieu des années 80. Alors que la controverse sur l’identité nationale se focalise aujourd’hui sur l’immigration, le rapport à l’Islam et la laïcité, cela n’a pas toujours été le cas. Tout au long des années 80, c’est la politique culturelle et la réflexion sur la culture française et son rôle qui a servi de cadre prioritaire à la thématique identitaire. La culture était considérée comme le ciment de l’identité française.

Vous avez choisi de concentrer votre réflexion sur la période allant de 1981 à 1995. Pourquoi ?

Les années 80 constituent une période clé pour comprendre la controverse actuelle sur l’identité nationale. À partir de 1981, la gauche au pouvoir va articuler une politique culturelle qui est une politique de l’identité qui ne dit pas son nom. Celle-ci passe à la fois par la promotion de la culture nationale sous toutes ses formes et par la reconnaissance des différences culturelles à travers l’ouverture aux influences culturelles étrangères, l’éloge de l’ouverture et du métissage, ou encore par les politiques du « droit à la différence ». Ces dernières sont significatives de l’esprit du temps à gauche. Elles ont pour objectif de valoriser la diversité culturelle française et de présenter la nation comme une mosaïque d’identités culturelles singulières qui, ensemble, forment l’identité nationale. La valorisation des identités minoritaires devient dès lors prioritaire : identités culturelles régionales et celles des immigrés. Valoriser la différence culturelle doit permettre de construire une nation à l’identité plus affirmée parce que plus diverse, plus confiante, plus harmonieuse. C’est ce que l’on peut qualifier d’ébauche d’un « multiculturalisme à la française », ou en tous cas d’une véritable volonté de reconnaître le pluriculturalisme en France.

Pourquoi le thème de l’identité nationale prend-il un tournant conservateur  ?

Dès 1983, apparaît un nouvel acteur sur la scène politique : le Front national, qui entretient un discours nationaliste traditionnel sur l’identité nationale, sur « la terre qui ne ment pas », tout en dénonçant le péril immigré. La droite, quant à elle, met du temps à comprendre l’intérêt des questions culturelles prises au sens large et à réactualiser son discours sur la culture et sur l’identité française. À partir du milieu des années 80, elle effectue une véritable riposte identitaire qui conteste le pluriculturalisme promu par les socialistes au nom de l’unité nationale. La droite reproche à la gauche de participer au recul de l’identité française à travers la reconnaissance des cultures immigrées, la valorisation des cultures minoritaires étant accusée de « libaniser » la France.

Comment réagit la gauche ?

Elle persiste dans l’ambition d’une politique culturelle reconnaissant la diversité des cultures mais recule sur l’apologie des différences dans le récit national. Le droit à la différence est alors combattu par une frange du parti socialiste et par les communistes qui considèrent qu’elle est, au mieux, un danger électoral - car l’opinion ne l’accepte pas -  et au pire une menace pour l’unité nationale, se rangeant ainsi aux arguments de la droite. Le tournant républicain, qui voit la référence à la République se systématiser dans la vie politique française à la fin des années 80, fait le reste. Il contribue à valoriser l’idée que la production de valeurs communes passe par une culture commune. Dès lors, la prise en compte et la valorisation des différences est accusée d’incompatibilité avec la République et le récit national unitaire qu’elle promeut. Face à cette offensive politique et intellectuelle, c’en est fini de la prise en compte du pluralisme culturel dans le récit national. Celui-ci continue d’être valorisé, mais à la marge, sous le manteau, pour laisser place à une mise en exergue de la culture commune : la culture française, seule et unique.

Il n’y a donc plus de place pour une culture des différences ?

D’abord, il faut rappeler que ce n’est pas parce que la politique abandonne l’éloge de la différence culturelle que celle-ci ne s’épanouit pas dans la société, surtout chez les jeunes. La France est dans les faits un pays à la culture de plus en plus pluraliste, même si la politique s'en fait beaucoup moins l’écho. Dans la vie politique, la gauche a oublié son combat mené au début des années 80 pour une identité nationale riche de sa diversité. Les termes du débat sont plus que jamais ceux de l’homogénéité culturelle, à gauche comme à droite. Ce qui n’empêche pas de brusques résurgences de cette ambition pluraliste, dans la campagne de Ségolène Royal en 2007 à travers le slogan « La France métissée » ou dans les discours de Christiane Taubira aujourd’hui.

En savoir plus

  • Dire La France ; Culture(s) Et Identités Nationales, 1981-1995, Vincent Martigny, Presses de Sciences Po
  • Rencontre au CEVIPOF le 1er décembre de 18h à 20H - avec Nonna Mayer directrice de recherche émérite au CNRS, Eric Fottorino, directeur de la publication Le 1 Hebdo,  et Vincent Martigny autour du livre. 

Légende de l'image de couverture : Sciences Po