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28.10.2022

Les démocraties à l’épreuve de la diversité : Yascha Mounk invité des Rendez-vous de la recherche

Yascha Mounk aux Rendez-vous de la recherche de Sciences Po (crédits : Thomas Arrivé)

L’amphithéâtre Jacques Chapsal a accueilli le 25 octobre 2022, dans le cadre des Rendez-vous de la recherche l’écrivain, professeur et chercheur spécialisé en science politique et affaires internationales, Yascha Mounk. Sergei Guriev, directeur de la Formation et de la Recherche et professeur d’économie à Sciences Po, a présenté ce dernier, en rappelant son activité de professeur et de chercheur à l’université Johns Hopkins mais aussi son passé de doctorant à Paris dans le cadre d’un échange avec l’université Harvard. Ouvert à une discussion constructive avec les membres du CEVIPOF de Sciences Po, Janie Pelabay and Annabelle Lever, Yascha Mounk est revenu sur le thème de son ouvrage “La grande expérience, les démocraties à l’épreuve de la diversité” (Éditions de L’Observatoire). En analysant les défis que pose la diversification des populations aux démocraties libérales, il s’est montré prudemment et rationnellement optimiste et a proposé des pistes d’amélioration au contexte actuel.

L’expérience démocratique est multiculturelle

L’un des ouvrages les plus célèbres de Yascha Mounk, “Le peuple contre la démocratie” (Éditions de L’Observatoire) qui lui a permis d’atteindre une telle notoriété en tant qu’écrivain et chercheur, traitait du sujet de la montée des populismes en 2016. Lors d’une interview pour un média allemand, il a exposé les trois facteurs principaux de cette montée en puissance dangereuse pour les démocraties : la “stagnation du niveau de vie des nouvelles générations par rapport à celui de leurs parents”, la révolution technologique qui “permet de propager plus facilement désinformation et messages de haine” et enfin "le passage de pays monoculturels à des pays multiculturels”. Quelle ne fut pas sa surprise en constatant, à son retour aux États-Unis, que toute une frange minoritaire néonazie avait rapproché l’expression qu’il avait choisie de “grande expérience” de leur concept du “grand remplacement”. Son nouvel ouvrage s’est alors concentré sur ce dernier facteur du multiculturalisme.

Il a profité de la conférence organisée par Sciences Po pour mettre en lumière la dichotomie qui frappe le mot “expérience”. Il ne fallait pas l’entendre au sens scientifique, orchestré et délibéré, digne des travaux pratiques de physique-chimie au lycée, mais bien le terme “expérience” qui qualifie “les événements engendrés par une situation nouvelle, sans précédent”. Le professeur soutient que les démocraties libérales sont les premières à proposer de “traiter tous leurs membres comme égaux”, alors qu’historiquement les différentes cultures s’ignoraient (sur de vastes territoires) ou une culture principale dominait totalement les autres.

Le professeur de l’université Johns Hopkins s’est demandé pourquoi cela semble si difficile de maintenir une stabilité dans un pays multiculturel. La première raison serait propre au genre humain. L’humain se plait à vivre en groupe, il serait prêt à donner le meilleur de lui-même pour son groupe, à “l’aimer, à le protéger”. Yascha Mounk en fait souvent l’expérience avec ses étudiants en leur proposant de débattre autour d’un sujet trivial comme “le hot dog est-il un sandwich ?” pour ensuite constater que les étudiants restent fidèles à leur camp, mais aussi discriminent l’autre camp. Comme il l’a rappelé, en effet, il y a un “côté sombre” au groupe : l’humain aura tendance à traiter avec “froideur, méfiance ou une extrême cruauté” les personnes d’un autre groupe. Si la nature des divisions des humains en groupe a évolué dans le temps et l’espace, selon les langues, les systèmes économiques, les religions, les origines, ce côté sombre est toujours prêt à rejaillir et a pu être à l’origine de conflits civils, de guerres et de génocides.

Enfin, bien que l’écrivain soit un “véritable partisan de la démocratie”, il a déclaré voir dans le système du suffrage universel un désavantage par rapport aux monarchies ou aux régimes autoritaires, celui de diviser les citoyens en groupes politiques. Le groupe majoritaire se retrouve alors en situation de crainte à l’idée d’être dépassé par une minorité, ce qui nuit à une vie en communauté paisible et attise les tensions entre les groupes.

Les démocraties libérales devraient être des “parcs publics

Face à ces difficultés, qui réjouissent les régimes autoritaires et leurs fournissent matière à nourrir leur propagande, que peuvent nos démocraties libérales ? 

S’il y a une idée que le professeur Mounk se plaît à combattre, c’est celle selon laquelle les partisans d’une démocratie libérale “ne peuvent pas aimer la communauté, le groupe”. Les démocrates libéraux seraient “tout simplement fidèles à deux libertés nécessaires pour une vie digne : rester libre face à l’État et libre face à la tyrannie de la majorité”. Ainsi, si l’État ne devrait pas pouvoir imposer à ses citoyens ce qu’ils peuvent croire ou penser, leurs communautés (famille, amis, prêtre, rabbin…) ne devraient pas non plus avoir ce droit. 

Une démocratie libérale reconnaît l’importance des groupes dans la vie des individus dans la mesure où leur choix de faire partie de ces groupes est libre.

Au sein des démocraties multiculturelles, Yascha Mounk a identifié deux modèles actuels d’intégration, celui du “melting pot” qui s’appuie sur les similitudes entre les individus et ignore leurs différences et celui de la "salade de fruits ou mosaïque” qui consiste en une “communauté de communautés” dont les membres cohabitent sans vraiment se mélanger. Les deux modèles lui ont paru poser problème, l’un par sa trop grande homogénéité qui gomme la richesse des cultures et héritages multiples, l’autre par une perte de solidarité. La métaphore qu’il a alors avancée est celle du “parc public” où l’on peut “aller pour discuter entre nous et finir par rencontrer de nouvelles personnes”. Il n’y a pas dans ce parc “d’obligation de parler ou non aux autres”, chacun est libre de son choix. Cette vision de la démocratie libérale permet à certains de garder comme priorité leur religion ou leur origine éthnique, mais elle donne le choix de ne pas le faire et d’aller à la rencontre de l’autre, ce qui permettrait de créer un esprit de solidarité parmi les citoyens.

Enfin, que faire du point épineux du patriotisme ? Pour Yascha Mounk, juif ayant grandi en Allemagne puis étudié et émigré aux États-Unis, “le patriotisme ne va pas de soi”. Cependant, on ne pourrait ignorer que “le pouvoir symbolique de la nation est incroyablement puissant”. Comme “une bête sauvage avec laquelle on choisirait d'interagir, jusqu’à la domestiquer”, peut-on utiliser à notre avantage cette notion ? Le spécialiste en science politique en est convaincu, mais dans la mesure où l’on se réfère au patriotisme non pas dans sa conception ethnique ou civique mais dans son aspect de “la vie culturelle de tous les jours”. Un pays a “ses odeurs, ses sons, ses habitudes sociales, ses célébrités, sa musique… Ces éléments peuvent être influencés par le passé mais sont surtout basés sur une dynamique culturelle en perpétuelle évolution”, ils se nourrissent de la diversité de la population.

En conclusion, bien que l’invité des Rendez-vous de la recherche se soit déclaré "très inquiet pour la démocratie dans les années à venir", en raison notamment de la situation électorale au Brésil, de la candidature de Donald Trump aux États-Unis en 2024 ou encore de la guerre en Ukraine, il a néanmoins affirmé un "optimisme prudent et partiel". Yascha Mounk a rappelé, rejoint par Sergei Guriev et exemples chiffrés à l’appui, que la situation a évolué dans le bon sens depuis soixante ans, que ce soit au niveau du racisme, de l’homophobie ou encore des possibilités d’ascension sociale pour les immigrés. La grande expérience que vivent les démocraties libérales est difficile, elle n’est pas encore un succès, mais les progrès semblent réels.

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