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09.05.2023

Jihadisme européen : entretien avec Hugo Micheron

Hugo Micheron (crédits : Francesca Mantovani/Gallimard)

Update du 8 novembre 2023 : Félicitations à Hugo Micheron qui a reçu le Prix Femina de l'Essai 2023 pour son livre La colère et l’oubli. Les démocraties face au jihadisme européen (Éditions Gallimard).

Hugo Micheron est docteur en sciences politiques et a rejoint en tant que maître de conférences l'École des Affaires Internationales (PSIA) de Sciences Po en janvier 2023. À l'occasion de la sortie de son livre sur l'histoire du jihadisme européen, nous lui avons posé quelques questions sur son parcours et ses sujets de recherche.

Quel est votre parcours académique et personnel ? Combinez-vous enseignement et recherche ? Est-ce important ?

J'ai commencé mes études par un parcours en relations internationales à l'IEP d'Aix-en-Provence. J'ai ensuite passé une année déterminante en Syrie (entre 2008 et 2009) où j'ai pu apprendre la langue arabe et découvrir l'ensemble de la région et ses enjeux, juste avant la guerre. Après un master spécialisé sur le Moyen-Orient au King's College à Londres, je suis entré à Sciences Po en tant qu'assistant de recherche. J'y ai beaucoup appris sur les méthodes de terrain, d'entretiens et le déploiement d'une recherche sur un temps plus ou moins long. C'est sur le terrain que j'ai commencé à entendre parler de jeunes qui partent pour la Syrie, ce qui a inspiré mon projet de thèse, terminé à l'ENS en 2019 et qui sera la base de mon premier livre : Le Jihadisme français. Quartiers, Syrie, prisons (Éditions Gallimard). 

Après un contrat postdoctoral à Princeton University, où j'ai enseigné pendant deux ans et demi au département des études proches-orientales, je suis de retour à Sciences Po depuis le mois de janvier en tant que maître de conférences à l'École des Affaires Internationales (PSIA). J'ai donné deux enseignements en anglais ce semestre aux étudiants de master. Le premier avait pour sujet le jihadisme européen – il est inspiré de mon dernier livre – et le deuxième, que j'ai développé spécifiquement pour PSIA, avait pour thème la crise syrienne et ses conséquences pour l'Europe au Moyen-Orient, un retour à mes premiers amours.

Je considère qu'un bon chercheur doit aussi être un bon enseignant. Je suis rigoureux avec mes étudiants, je leur donne cent pages à lire par semaine avec l'obligation de produire un response paper pour synthétiser leur compréhension personnelle de ces lectures. J'attends donc de leur part un grand investissement que je paye de retour en corrigeant tous leurs rendus et en leur fournissant des feedbacks personnels. C'était un pari d'adapter mon enseignement à l'américaine aux étudiants de Sciences Po et il a été gagnant, j'ai pu avoir des échanges incroyables avec mes élèves, qui ont nourris mes questions de recherche.

D’où vient votre intérêt pour votre sujet de recherche actuel, le jihadisme européen ?

Je n'étais pas dès l’origine forcément passionné par le sujet du jihadisme, le déclencheur a été la violence de la crise syrienne, à laquelle ont participé sur place tant d'européens. La proportion était telle que le sujet m'a paru s'imposer comme une question de recherche évidente. Le jihadisme m'intéresse en tant qu'enjeu de société considérable  et en tant qu'objet permettant d'analyser la société et ses dynamiques. Il agit comme un révélateur des enjeux qui traversent la société française mais aussi l'Europe.

Vous avez publié le 20 avril 2023 aux Éditions Gallimard, La colère et l’oubli. Les démocraties face au jihadisme européen, et donné une conférence sur le même thème à Sciences Po le 19 avril: pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce sujet d’importance ?

Mon séjour à Princeton University m'a permis de me plonger dans un important travail d'archives ainsi que de nouveaux terrains de recherche afin d'établir une histoire du jihadisme européen, ce qui n'avait pas encore été fait. J'ai voulu colorer mon travail d'une dimension européenne et historique et sortir aussi du sujet des attentats terroristes pour soulever la question de ce qu'est le jihadisme en dehors de ces derniers. Les questions de recherche les plus pertinentes sont parfois les plus simples et pour moi elles furent : qu'est-ce que le jihadisme européen, d'où vient-il et où va-t-il ?

(crédits : Gallimard)

J'ai essayé d'écrire un livre qui soit le plus accessible possible sans faire de compromis sur le fond et qui puissent permettre à chaque lecteur de s'approprier le sujet – chercheurs, étudiants ou grand public. La conférence du 19 avril à Sciences Po m'a permis de discuter de mon ouvrage la veille de sa sortie avec Mathieu Roger-Lacan (un des rédacteurs de la revue du Grand Continent). J'ai été impressionné par la qualité des questions préparées par les étudiants et par leur intérêt évident pour les enjeux soulevés.

Quels sont vos projets pour l’année universitaire à venir ?

Le prochain semestre, je compte reprendre l'un de mes deux cours et un recréer un nouveau, même si cela représente du travail et du temps. Sur le plan de la recherche, j'ai envie de produire des articles universitaires. J'ai déjà plusieurs sujets en tête et notamment l'envie d'appliquer les théories des sciences politiques – que j'ai pu étudier dans le cas du jihadisme – aux questions des démocraties européennes au XXIe siècle, à l'ère des réseaux sociaux, de l'Intelligence Artificelle, de la révolution digitale. Les démocraties ne sont pas seulement visées par le jihadisme, elles sont aussi visées par d'autres puissances étrangères qui s'immiscent dans les débats public nationaux ou européens pour servir leurs propres intérêts.

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