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17.09.2015

Hommage à Stanley Hoffmann, le plus français des politologues américains

Stanley Hoffmann, le plus français des politologues américains, et ancien étudiant de Sciences Po, vient de nous quitter à l’âge de 86 ans sur la terre qui l’avait accueillie dès 1951 comme visiting student puis comme jeune enseignant peu après. Né à Vienne, émigré à Paris, il dut quitter précipitamment la capitale en 1940, deux jours avant l’entrée des armées nazies qui l’avaient déjà contraint à fuir l’Autriche.

C’est cette force du destin qui le porta à s’intéresser à la politique et aux relations internationales dès 1945 en entrant à l’Institut d’Études Politiques, dont il fut l’un des plus brillants étudiants. Comme il l’écrit lui-même dans un texte autobiographique en 1993, « It wasn’t I who chose to study world politics. World politics forced themselves on me at a very early stage ». Toutefois cette passion pour les affaires du monde qu’il développa sa vie durant à Harvard ne lui fit jamais oublier son intérêt pour la vie politique française dont il était, à distance ou sur le terrain, l’un des observateurs les plus avertis, les plus fins et les mieux informés.

Un des observateurs les plus avertis de la vie politique française

Dès 1956, il produisit l’une des rares études sur un soubresaut politique inédit, le « Mouvement Poujade ». Mais surtout, il fut fasciné par De Gaulle, partageant avec lui la conviction que l’État-Nation demeure l’acteur fondamental et résilient des relations internationales. Cela le portait à un certain scepticisme à l’égard de la capacité de l’Union Européenne à s’ériger comme acteur plein et substitut possible des États dans le domaine des relations internationales.

Son admiration - critique - pour de Gaulle et son expérience étudiante,  puis professorale avec des hommes tels que Brejinsky, Huntington ou encore Henry Kissinger expliquent sans doute sa conviction que personnalités et leaders peuvent jouer et jouent un rôle éminent en politique. Avec Kissinger, il fut le créateur et l’animateur, l’âme devrait-on plutôt dire du Center for European Studies (CES) de Harvard, un lieu d’accueil de discussion, de débats où passèrent des milliers de jeunes européens avides de formation, d’Américains à qui il insufflait la passion de la France, de l’Europe et du monde. Passer par le CES était le « must » de ce dernier demi-siècle pour les jeunes et moins jeunes générations.

Le Center lui permettait de conjuguer ses intérêts pour les relations internationales, pour l’Europe dont il était la meilleure expression et pour la France à qui il portait une affection jamais démentie mais toujours raisonnée et surtout pas aveugle. Mieux que quiconque il savait apprécier les atouts, les forces et les vertus de son pays d’accueil. Mais cet amour lui permettait  d’en déceler les faiblesses, les lâchetés et lescrimes. Il pouvait d’autant mieux dire son fait à la France qu’il ne lui était pas « étranger ».

Un précieux héritage intellectuel

Ceux qui l’ont connu conserveront le précieux héritage intellectuel qu’il nous a laissé : des outils pour mieux comprendre le monde tel qu’il est. Jusqu’à la fin de sa vie il n’a cessé de s’interroger et d’analyser les phénomènes nouveaux liés à la globalisation : terrorisme, « failed States », réseaux trans-frontières etc… Ils conserveront aussi le souvenir de cet homme souriant et ironique, de cet œil pétillant et gentiment moqueur, de son incroyable humour où confluaient les héritages cosmopolites viennois, juif, français et anglo-saxon. Lui qui connaissait tout de l’état du monde se refusa toujours d’en devenir un acteur. Lui qui était un maître se refusa toujours d’être un « maître à penser », un qualificatif contraire à sa vérité et à sa façon d’être la plus profonde et un état d’esprit qui lui répugnait. Un jour, au Center for European Studies, lors d’un colloque franco-américain, il eut cette phrase merveilleuse : « In the United States, we don’t have intellectuals. We only have academics…. » Dans la substance comme dans la forme, tout est dit. C’était cela l’art et la manière de Stanley Hoffmann.

par Yves Mény, ancien professeur de science politique à Sciences Po, ancien président de l'Institut universitaire européen de Florence

Pour aller plus loin

Stanley Hoffmann, Harvard professor and scholar, 86 - The Harvard Gazette, September 14, 2015 (eng). 

Légende de l'image de couverture : Kris Snibbe/Harvard Staff Photographer, Harvard University