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17.05.2022

Ethan Zuckerman à Sciences Po : "Nous devons imaginer un meilleur internet"

Malgré les nombreux bienfaits d'internet, il y a consensus sur la nocivité de la structure actuelle des réseaux sociaux, pour les individus et pour la société. Quel devrait être l'avenir des réseaux sociaux ? Le 10 mai 2022, Ethan Zuckerman, professeur associé à l'université du Massachusetts et directeur du UMass Institute for Digital Public Infrastructure, a débattu de cette question aux côtés de Bruno Patino, président d'ARTE, et de Julia Cagé, professeure associée d'économie à Sciences Po. Une conférence sur le thème "Competing visions for the future of social media" organisée par l'Institut McCourt en partenariat avec le Centre pour l'entrepreneuriat de Sciences Po.

Des cercles vicieux menant à adopter des positions extrémistes à la diffusion de fausses informations, en passant par l’apparition de réelles addictions aux plateformes en ligne, les dangers des réseaux sociaux sont devenus de plus en plus manifestes ces dernières années. Mais Ethan Zuckerman a choisi de débuter son intervention par une note positive : "Nous commençons à réellement prendre au sérieux la sphère publique numérique". "Les gouvernements reconnaissent qu'il est important que nous ayons un espace où le public peut avoir des conversations, et que nous devons réfléchir à la santé, à la structure et à l'architecture de ces espaces", a-t-il déclaré.

Quel serait alors le moyen de rendre ces sphères numériques plus saines ? Les gouvernements ou les grandes entreprises technologiques devraient-ils contrôler la parole sur les réseaux sociaux, ou bien devrait-il y avoir plus de transparence ? Pour Zuckerman, "ces approches ne sont que des remèdes : elles partent du principe que les plateformes actuelles seront toujours dominantes et que le mieux que nous puissions faire est de les rendre moins terribles". Au lieu de cela, "essayons d'imaginer ce qui pourrait se passer si nous construisions des réseaux sociaux qui soient meilleurs pour nous", a-t-il proposé.

Des réseaux décentralisés, privilégiant l'intérêt de l'utilisateur

Pour que les réseaux sociaux en ligne fonctionnent sainement en tant qu'espaces de discussion, Ethan Zuckerman et son équipe estiment qu'ils doivent être de taille limitée (environ 30 000 personnes, ce qui est approprié pour un quartier ou une petite ville), avoir un but défini, être structurés par un ensemble de règles, et modérés, si possible par les utilisateurs eux-mêmes. "C'est ainsi que fonctionne la société humaine, de manière décentralisée", explique-t-il : chacun d'entre nous est en effet membre de plusieurs réseaux différents - école, famille, travail, église - qui sont différemment connectés et où différentes conversations ont lieu.

Mais au-delà de la simple fabrication de réseaux sociaux alternatifs, il faut réfléchir à la manière dont le public pourrait reprendre le contrôle des plateformes sur lesquelles ils sont déjà actifs : il est difficile de quitter entièrement Facebook, Instagram ou Twitter. "Vous avez besoin d'un outil qui vous permette de lire tous vos réseaux sociaux", explique Zuckerman : un "lecteur de réseaux sociaux" qui aurait à cœur les intérêts de l'utilisateur et lui laisserait le contrôle du filtrage et du tri des informations, et le pouvoir de décider quelles données partager avec quelles plateformes.

Selon Ethan Zuckerman, il est essentiel que l'utilisateur reprenne le contrôle des informations qu'il voit et partage en ligne : "réparer l'internet n'est pas suffisant. Nous devons imaginer, financer et construire un meilleur internet."

"Et que faire des médias ?"

Dans un second temps de la conférence, Valérie Peugeot, directrice pédagogique de l’Executive Master Digital Humanities de Sciences Po, a animé une conversation autour de la question : "Quels sont les futurs probables, et les futurs souhaitables, pour les réseaux sociaux ?". 

Pour Julia Cagé, professeure associée d'économie et chercheure affiliée au Center for Economic and Policy Research (CEPR), la question clé se trouve dans les enjeux de gouvernance et de transparence. "Nous devons avoir un regard sur les algorithmes", a-t-elle expliqué, ajoutant que "nous devrions essayer d’améliorer les plateformes existantes en même temps que nous en créons de nouvelles".

En ce qui concerne le partage d'informations et les médias, essentiels à la sphère publique en ligne, les solutions semblent plus complexes : bien que la décentralisation des réseaux sociaux soit considérée comme la voie vers un espace digital plus démocratique, "la production d’information est un processus centralisé", a fait valoir Bruno Patino, président d'ARTE et ancien doyen de l'École de journalisme de Sciences Po. "Quand il s’agit de produire des informations vérifiées et responsables, il faut que ce soit validé par une personne ou une organisation," a-t-il expliqué. À une époque où les fake news se répandent plus vite que jamais, "même si nous réglons le problème des réseaux sociaux, il demeure toujours la question : que faire des médias ?".

L'un des enjeux, pour Julia Cagé, réside dans notre définition d’une "information de qualité" : "il y a un fossé énorme entre ce que les journalistes et les téléspectateurs considèrent comme une information de qualité. Les individus doivent s'impliquer mieux et davantage dans cette définition", a-t-elle déclaré.

Pour Ethan Zuckerman, la solution résiderait dans l’implication des organismes de presse dans la création des outils de la future sphère publique numérique. "La survie de l'information est la responsabilité de tous", a-t-il convenu. Avant de conclure : des petits réseaux sociaux décentralisés et à vocation unique, gouvernés par leurs utilisateurs et reliés par un "lecteur de réseaux sociaux" pourraient même être "un moyen de revitaliser la participation démocratique".

L'équipe éditoriale de Sciences Po

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