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04.11.2019
Eric Vinson : “Le droit de croire ou de ne pas croire”
Destinée aux ministres du culte, aux cadres des communautés religieuses et aux professionnels travaillant autour du fait religieux et de la laïcité, “Emouna” est une formation unique dans le paysage universitaire français. Ce programme propose en effet à ses étudiants de découvrir l’environnement politique et institutionnel qui entoure les pratiques religieuses, la laïcité et les différentes religions. Le tout, dans une perspective interdisciplinaire et non-confessionnelle. Qu’est-ce qu’un programme laïque sur les religions ? Qu’y apprend-on ? Depuis 2018, Eric Vinson, spécialiste du fait religieux et de la laïcité, est le responsable pédagogique de cette formation. Il nous explique le sens d’Emouna.
Emouna est une formation “interreligieuse”. En quoi cette formation est-elle unique ?
Emouna est une formation diplômante à la fois interreligieuse et laïque ; c’est sa grande originalité et sa force de savoir associer ces deux aspects. Aux fondements de cette formation, il y a l’idée d’une laïcité ouverte au dialogue avec le religieux, mettant en communication les religieux et ceux qui ne le sont pas. Le programme réunit ainsi aussi bien des ministres et permanents des différents cultes - judaïsme, différentes confessions chrétiennes, islam, bouddhisme... -, que des professionnels qui souhaitent mieux comprendre le fait religieux et la laïcité : journalistes, fonctionnaires, chefs d’entreprise, DRH, responsables d’associations, etc. Former ensemble à ces questions - pendant un an, dans un cadre séculier - des gens aussi différents, c’est, à notre connaissance, unique au monde.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le contenu du programme ?
Il s’agit d’une formation continue certifiante, destinée essentiellement aux « professionnels » déjà en exercice. Elle dure une année et se compose de 18 journées intensives thématiques, ainsi que de plusieurs masterclasses, centrées sur des questions liées au religieux : « art et religions », droit des cultes, prévention de la radicalisation et des dérives sectaires, etc. D’autres sujets très variés sont aussi abordés, allant de la communication à la médiation en passant par le management. Il n’y a pas de sujet « tabou » : Emouna est une formation qui aborde le fait religieux dans une perspective laïque ouverte à tous les savoirs, séculiers ou non, et c’est cela qui en fait précisément un laboratoire passionnant !
Qu’est-ce qu’une “vision laïque” de la religion ?
Dire “vision non-confessionnelle” me semble en fait plus juste que “vision laïque”, compte-tenu de la complexité et des malentendus liés à ce terme. Le plus souvent, les religions parlent à leurs fidèles respectifs : les catholiques parlent du catholicisme, les musulmans de l’islam, etc. À Emouna, chacun expose ce qu’il croit, ce qu’il pense, mais devant d’autres qui voient les choses autrement… De quoi croiser véritablement les points de vue : d’abord entre membres des religions, mais aussi en s’appuyant sur la recherche en sciences humaines et sociales spécifique à Sciences Po. De fait, en dehors des espaces cultuels, il y a peu de place pour le religieux, le spirituel en France, surtout à l’université. Dans l’Hexagone, on s’intéresse peu à tout cela… sauf quand il y a des problèmes (de radicalisation, par exemple) ! Ce qui ne permet pas de résoudre ces derniers. Par la culture, le dialogue et l’expérience partagée, Emouna veut contribuer à sortir de cette impasse. Ce qui suppose de rappeler les faits scientifiques sans s’empêcher de parler d’éthique ou de spiritualité. Par exemple, de souligner qu’on n’a pas de preuve scientifique de l’existence d’Abraham dans l’état actuel de la recherche historique, tout en s’intéressant de près à ce que les différents monothéismes disent de cette figure fondatrice, et aux conséquences multiples de ces représentations.
Qu’en est-il du principe de laïcité ?
Il est la matrice même d’Emouna et infuse l’ensemble de nos journées. Sachant que bien des mises au point sont à faire, en la matière, compte tenu du faible niveau d’information de nos concitoyens sur ce sujet essentiel et fort débattu. En effet, la laïcité ne signifie pas l’exclusion du religieux, comme on le croit trop souvent. Mais la régulation - selon les droits de l’homme - des relations entre les sphères religieuses et non-religieuses dans une société démocratique. Ce qui implique, notamment, le droit de croire ou de ne pas croire, comme celui d’enseigner - ou de critiquer - toute ou telle religion ou conviction.
Chercheur, enseignant et formateur spécialisé sur le fait religieux et la laïcité, Éric Vinson est diplômé de Sciences Po en 1994. Après plusieurs années de journalisme et d'enseignement sur ces thématiques, il a réalisé une thèse sous la direction de Jean-Marie Donegani (Cevipof) : “La mobilisation du spirituel en démocratie”, soutenue en 2015. Ses principaux ouvrages (co-écrits avec S. Viguier-Vinson et publiés chez Albin-Michel) : Mandela Gandhi : la sagesse peut-elle changer le monde ? (2018) et Jaurès le prophète, Mystique et politique d’un combattant républicain (2014). Il est actuellement responsable pédagogique d’Emouna.
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