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17.05.2023
Erdogan est-il imbattable ?
Par Bayram Balci
Les Turcs se sont rendus aux urnes dimanche 14 mai pour une double élection. En effet, les votants avaient le choix entre trois candidats pour la fonction de président de la République et entre des listes présentées par plusieurs partis politiques pour désigner les députés. Le taux de participation, très élevé (90%) mais habituel en Turquie (90%), a démontré l’attachement des Turcs au suffrage universel et leur foi dans la légitimité des urnes. Alors que la plupart des analystes prédisaient une défaite du président Erdoğan, qui dirige le pays depuis vingt ans, nous avons vécu le scénario inverse. En effet, aux législatives, la coalition du Adalet ve Kalkınma Partisi (Parti de la justice et du développement, AKP) est arrivée nettement en tête et a obtenu une majorité au parlement ; à la présidentielle, Recep Tayyip Erdogan a manqué de l’emporter dès le premier tour puisqu’il a recueilli 49 % des voix. Au second tour du scrutin qui aura lieu le 28 mai, il a donc de fortes chances de l’emporter. Comment expliquer la performance d’Erdogan et de ses alliés politiques ?
Dans un contexte économique peu favorable au gouvernement - forte inflation, baisse du pouvoir d’achat des Turcs depuis deux ans, importantes critiques quant à la gestion par le pouvoir des conséquences des séismes, la plupart des sondages et analystes, en Turquie comme à l’étranger, prédisaient une défaite, voire une déroute pour le président Erdogan et son parti. D’aucuns parlaient même d’une victoire de son rival Kemal Kılıçdaroğlu dès le premier tour.
Cependant, Recep Tayyip Erdogan soutenue par la coalition Cumhur Ittifaki (Alliance populaire) a obtenu 49% des voix. Face à lui, le candidat de l’opposition Kemal Kılıçdaroğlu a recueilli 45% des suffrages. Sinan Oğan, dirigeant dissident du parti nationaliste Milli Hareket Partisi (Parti du mouvement nationaliste) et très peu connu, est arrivé en troisième position avec 5 % des voix. Il est en mesure d’arbitrer le deuxième tour
Aux législatives, la Cumhur Ittifaki (Alliance populaire) réunie autour du président Erdogan et composée de l’AKP, du Milli Hareket Partisi (Parti du mouvement nationaliste), et d’autres formations politiques plus petites, obtient avec 49% des voix, soit 321 des 600 sièges que compte le parlement turc. La coalition de l’opposition, Millet Ittifaki (Alliance de la nation) dirigée par Kemal Kılıçdaroğlu, ne recueille que 35% des suffrages, soit 213 sièges. Enfin, si l’on s’intéresse aux seuls partis, l’AKP arrive nettement en tête avec 35% des voix, c’est-à-dire 266 députés, alors que son principal adversaire, le parti Cumhuriyet Halk Partisi (Parti républicain du peuple, CHP) de Kemal Kılıçdaroğlu obtient 25% des voix, c’est-à-dire 169 sièges. Ces résultats suscitent plusieurs interrogations.
Les Turcs devaient sanctionner le pouvoir en place, ils ne l’ont pas fait. Malgré la récession économique et l’inflation, dont le gouvernement est jugé responsable, les Turcs ont voté pour le président Erdogan et pour son parti. La gestion des conséquences du séisme n’a pas non plus porté préjudice au pouvoir en place. Dans les provinces touchées par le tremblement de terre, le soutien au chef de l’Etat sortant et à son équipe a été très net. Enfin, les limitations de l’Etat de droit, le recul des libertés dans le pays n’ont pas joué en faveur de l’opposition qui promettait pourtant de les restaurer. Comment expliquer ce fait ?
Le comportement électoral des Turcs n’est pas irrationnel. Certains facteurs ont aidé Erdogan à obtenir ces résultats qui peuvent paraître surprenants.
L’opposition, unie et solidaire dans l’objectif de faire tomber Erdogan, constituée de l’alliance de six partis politiques idéologiquement très hétéroclites, allant de la social-démocratie au nationalisme en passant par l’islamisme, n’a pas su être convaincre qu’elle parviendrait à gérer correctement le pays, notamment sur le plan économique et à l’international. Sa diversité, qui constituait un atout, est devenue une faiblesse.
La seule différence réelle existant entre le programme de l’opposition et celui du gouvernent concerne les libertés et l’Etat de droit. Ces thèmes ont figuré au centre de la campagne électorale de l’opposition mais ils ne constituaient pas la priorité de la majorité des électeurs qui entre la protection de l’Etat de droit et la sécurité promise par Erdogan ont fait le choix du maintien de l’ordre.
La stratégie de ou pouvoir d’Erdoğan de tout miser sur la stabilité, la grandeur et le rayonnement de la Turquie sur la scène internationale s’est avérée payante. Le président a beaucoup mis en avant les performances exceptionnelles réalisées par l’industrie d’armement turque ces dernières années, ce qui a été très apprécié par les Turcs pour lesquels la fierté nationale n’est pas une notion vaine.
Enfin, sans vouloir accabler les Kurdes ou les rendre responsables de la situation, il semblerait que le vote kurde a constitué un cadeau empoisonné pour l’opposition. En effet, une fois de plus, le parti pro kurde, Halklarin Demokratik Partisi (Parti démocratique des peuples, HDP) s’est retrouvé dans une position d’arbitre pour les élections du 14 mai. Il a finalement choisi de soutenir Kemal Kılıçdaroğlu
Les Turcs ont été sensibles à la propagande du pouvoir qui fait l’amalgame entre le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) (qui mène une guérilla contre la Turquie) et le parti pro-kurde légal HDP (proche sur certains points du PKK) d’une part et l’opposition anti Erdogan qui bénéficie du soutien du HDP d’autre part. Les vidéos diffuées sur le net par la du PKK où l’on voit des cadres de la guérilla affirmant qu’ils acceptaient de mettre entre parenthèses leur lutte contre le pouvoir pour donner une chance à l’opposition de gagner n’a fait que desservir cette dernière et a confirmé les affirmations d’Erdogan que ses adversaires étaient soutenus par les terroristes. Ces propos ont fait pencher une grande partie des Turcs, qui ont connu de nombreux attentats entre 2015 et 2018, en faveur du gouvernement en place.
A la lumière de ces affirmations et en guise de conclusion, nous pouvons penser que compte tenu de son résultat du premier tour de la présidentielle et de celui de son parti aux législatives, le président Erdogan possède de réelles chances de s’imposer le 28 mai prochain. En effet, fort de sa majorité au parlement, il devrait demander aux Turcs de voter de façon cohérente, c’est-à-dire de doter le pays d’une majorité parlementaire et présidentielle de la même couleur. Une défaite d’Erdogan au second tour de la présidentielle entraînerait la Turquie dans une cohabitation à laquelle le pays n’est pas habitué. Aussi, les Turcs, pour ne pas bloquer le fonctionnement du pouvoir, seront enclins à voter pour Erdogan à qui il faut peu de suffrages supplémentaires pour atteindre les 50% + 1 des voix.
Enfin, le président sortant, qui gouverne avec une formation nationaliste, le Milli Hareket Partisi (Parti de l’action nationaliste, MHP), devrait être en mesure de convaincre Sinan Ogan de voter pour Erdogan au nom du nationalisme turc.
Rendez-vous donc le 28 mai prochain où une fois de plus, tous les regards seront tournés vers les rives du Bosphore.