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06.03.2018
En Italie, laboratoire et avant-garde du scénario d’une coalition contre-nature
Par Sylvain Kahn, professeur agrégé à Sciences Po. Ecco ! En Italie, la table étant renversée, on est parti pour des semaines de négociation entre les partis pour trouver un nouveau gouvernement. Mais les choses pourraient aller plus vite qu’on ne le pense. En effet, les deux partis arrivés en tête sont deux des partis anti-système : la Lega d’extrême droite (ex-Ligue du Nord) que dirige Salvini et le Mouvement 5 Étoiles (M5S), libertaire et populiste, ni de droite ni de gauche, emmené par Luigi di Maio.
Le président de la République, Sergio Mattarella, demandera nécessairement à un de ces deux-là d’entamer les consultations pour former un gouvernement. Le M5S est de loin le premier parti d’Italie avec un tiers des voix. Mais, avec près de 18 % des suffrages, la Lega est le premier des trois partis de la coalition dite du centre droit arrivée en tête.
Bien qu’ils s’en défendent et qu’ils soient en très forte concurrence, ces deux partis pourraient converger vers un accord de gouvernement. Pourquoi ?
Sus à Forza Italia !
Le M5S perdrait une grande part de sa crédibilité s’il s’associait avec un des partis classiquement au pouvoir depuis des décennies, comme le Parti démocrate de gauche, du gouvernement sortant, qui s’est effondré, ou Forza Italia. D’autant que son mouvement a supplanté Forza Italia, le parti de droite de Berlusconi, arrivé deuxième de la coalition de centre droit, dans ses bastions du Mezzogiorno où il est parvenu à chausser la botte de feue la Démocratie Chrétienne.
La Lega, elle, est en passe de supplanter ce même Forza Italia dans ses bastions de la droite industrielle, bourgeoise et riche de l’Italie du Nord. De ce point de vue, une alliance Lega et M5S enterrerait Forza Italia et débarrasserait l’Italie de l’hypothèque Berlusconi, le vieux caïman. C’est tentant.
S’agissant du programme, de nombreux points opposent les deux partis. Mais ils pourraient se retrouver sur une durée déterminée sur l’essentiel : la réforme de l’UE dans un sens souverainiste et une politique migratoire xénophobe caractérisée par des expulsions à grande échelle. Ils ont également en commun la dénonciation démagogique de la gabegie des administrations publiques, tant nationales que locales, de la corruption et du népotisme. Ils prônent l’un et l’autre des baisses d’impôts et l’augmentation des retraites. A eux deux, ils séduisent une addition de mécontentements.
Une alliance improbable mais tentante
Cette coalition est improbable. Dans un premier temps, chacun des deux mouvements jurera ses grands dieux qu’elle n’est pas une option. Le temps de laisser l’hypothèse s’installer dans l’opinion. Cette coalition serait, d’une certaine façon, révolutionnaire. Osée. Bien plus neuve, et tout aussi radicale, que l’alliance droite-extrême droite qui vient de se mettre en place en Autriche. Bien plus tournée vers le futur que l’alliance d’une partie des conservateurs britanniques avec Ukip, qui a plaidé victorieusement en faveur du Brexit.
Elle donnerait un visage neuf, et jeune, à l’euroscepticisme en prônant un souverainisme mou et un nationalisme européen. C’est déjà ce que fait Viktor Orban en Hongrie ; mais son nationalisme européen à lui enracine un illibéralisme, de l’oligarchie, des oligopoles et du népotisme, quand les deux partis populistes et xénophobes italiens plaident pour un rajeunissement des élites, une reconnaissance de l’entrepreunariat et de l’initiative, l’horizontalité et l’initiative locale – versant start-up pour le M5S, et version autorité à tous les échelons pour la Lega.
Enfin, à eux deux, ces deux mouvements arrivés en tête auraient la majorité des sièges dans les deux chambres – une coalition à deux, même pour une durée déterminée, simplifierait considérablement l’exercice de formation d’un gouvernement, tout en renversant toutes les quilles de l’Europe tel un coup gagnant au bowling de Bruxelles.
Contre-nature, certes, mais tentant, non ? Une fois encore l’Italie serait le laboratoire et l’avant garde des évolutions politiques en Europe.
Sylvain Kahn est professeur agrégé au sein du master affaires européennes et du département d’histoire à Sciences Po. Depuis 2001, il enseigne les questions européennes, notamment l’histoire de la construction européenne.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.