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10.03.2022

"Économie politique du genre ou économie féministe ?" : vers l’égalité économique

(crédits : © Hyejin Kang / Shutterstock)

Quelles différences et similitudes existent entre l'économie féministe et l'économie politique du genre ? C'est la question que se sont posés Hélène Périvier, économiste et directrice du Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE) de Sciences Po et Guillaume Vallet, professeur d’économie à l'Université Grenoble Alpes, lors de l’événement en ligne, organisé, le 23 février 2022 par l'École d'affaires publiques de Sciences Po et PRESAGE. Originalité de ce rendez-vous, la modération était assurée par Lamia Mounaveraly, étudiante à l'École d'affaires publiques, qui a sélectionné et contextualisé les questions du public aux économistes. Des questions vastes sur l'égalité à l'utilisation (et aux pièges) de la catégorisation, en passant par le rôle des politiques publiques dans l'économie féministe et l’économie politique du genre, des échanges intenses sur des sujets complexes qui touchent profondément notre société.

L'économie féministe en tant que prisme critique

La discussion a débuté en situant les deux courants intellectuels, l’économie féministe et l’économie politique du genre, employés par chaque économiste dans leurs livres récents. Pour Hélène Périvier, l'économie féministe s'attache à « mesurer certains phénomènes : inégalités et discriminations » afin d'œuvrer pour l'égalité entre les genres. Pour elle, « l'économie féministe n'est pas une école" mais les critiques féministes « apportent à l’ensemble des écoles de pensée ». Selon elle, il s'agit d'un regard critique qui se renouvelle constamment et qui peut donc être appliqué à travers les disciplines et les époques. Dans son livre L'économie féministe (Presses de Sciences Po, 2020), elle explore ces idées, notant que « l'économie apporte beaucoup à la pensée féministe » et inversement.

L'un des aspects essentiels de la perspective féministe sur l'économie est la reconnaissance du fait que la discipline elle-même a été formée sur la base de stéréotypes de genre qui reléguaient les femmes à des rôles de genre essentialiste (aidantes, femmes au foyer, etc.). Comme elle le fait remarquer, le domaine de l'économie a été façonné par leur exclusion : « On ne peut pas nier, dans la façon dont la discipline s’est construite, que le fait qu’il y ait peu de femmes a eu un effet non seulement sur les outils qui ont été construits, mais aussi sur les questions qui ont été posées. L’économie a été pensée principalement par les hommes ; les femmes ont participé et contribué à son élaboration pour finalement être au service d’une société dirigée par les hommes », précise-t-elle.

L'économie du genre : déconstruire le mythe de la "neutralité"

En parallèle avec l'économie féministe, l'économie politique du genre tend à interroger le système économique dans son ensemble et la position de sujet de l'individu en son sein. Pour Guillaume Vallet, auteur de l’ouvrage Économie politique du genre (De Boeck, 2020), pour penser l'économie de genre (tout comme l'économie féministe) il faut « réfléchir à notre façon de travailler, à notre positionnement »,  au sein de la société. Comme il le fait remarquer, « le genre nous amène à réfléchir sur les relations entre notre subjectivité, notre neutralité et l’objectivité », ajoutant qu'il nous amène à comprendre que « la neutralité n'existe pas". Au contraire, elle « nous amène vers une forme de subjectivité, mais cette subjectivité doit, pour être validée scientifiquement, tendre vers l’objectivité ».

En effet, la perspective qui a été historiquement considérée comme neutre, comme précisé par Hélène Périvier, a été celle des hommes dans une société où les femmes étaient reléguées à la sphère domestique. Cette absence de perspective neutre, souligne Guillaume Vallet, « amène à questionner l’existence des catégories », ainsi qu'à lutter contre les inégalités systémiques.

Selon Guillaume Vallet, « le fait de travailler sur les questions d'inégalité ne consiste pas seulement à les mesurer, il s’agit de s’interroger pour identifier dans quelle mesure ces inégalités posent des questions par rapport à la distribution collective des richesses. Dans quelle mesure ces inégalités peuvent-elles aussi être une menace, ou par d’autres courants, une opportunité par rapport au système politique ? »

L’économie féministe et l’économie du genre : deux cordes sur le même arc ?

Comme le notent les deux économistes, les études incluant le concept de genre (l'ensemble des caractéristiques liées à la féminité et à la masculinité) et le féminisme (la croyance et la défense de l'égalité des genres) sont intrinsèquement liées. Selon Hélène Périvier, « il n'y a pas nécessairement de différence ou d'opposition entre les deux ». Les deux courants de réflexion s'intéressent profondément à la manière dont les structures sociales sexuées reproduisent les inégalités.

« Je n’y vois pas forcément une opposition. Je suis parti d’un système sociétal structurant, basé sur des rapports de forces sur la question de la production et la distribution des ressources… J’y inclus les idées du féminisme, mais aussi plusieurs perspectives de genre et de sexualité », complète Guillaume Vallet.

En fin de compte, ces approches sont importantes pour comprendre l'économie et les façons dont l'économie interagit avec les questions d'inégalité dans notre société. Ces sujets peuvent être mobilisés dans la sphère politique car, comme l'a souligné Guillaume Vallet , « les politiciens ont besoin de l'expertise pour prendre des décisions éclairées" et on peut l’espérer, ainsi réduire les inégalités économiques dans notre société. »

L'équipe éditoriale de Sciences Po

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