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01.12.2023

Décryptage : la géopolitique des droits des femmes

Sciences Po a organisé, le 8 novembre 2023, un événement dédié à la géopolitique des droits des femmes dans le cadre du Certificat Égalité femmes-hommes et politiques publiques copiloté par le Programme de recherche et d’enseignement des savoirs sur le genre (PRESAGE) et l'l’École d’affaires publiques. Ce certificat est ouvert aux étudiantes et étudiants en première année de master de l’École d’affaires publiques et de l’École des affaires Internationales (PSIA).

Cette conférence était animée par Hélène Périvier et Najat Vallaud Belkacem, les directrices du certificat, en présence de leur invitée Delphine O, ambassadrice et secrétaire générale du Forum Génération Égalité, qui vient de publier l'ouvrage La diplomatie féministe est un sport de combat (Éditions Tallandier).

Najat Vallaud-Belkacem, Delphine O et Hélène Périvier, Amphithéâtre Jean Moulin, 8 novembre 2023. (crédits : Violette Toye / PRESAGE)

Retour sur la rencontre par les étudiantes Justine Delamarre, Mathilde Delpla et Inès Gayrard.

Qu’est-ce que la diplomatie féministe ? 

Initiée par l’ancienne ministre des Affaires étrangères suédoise Margot Wallström en 2014, la diplomatie féministe s’attache à ce que les objectifs de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la garantie des droits fondamentaux des femmes et des filles soient intégrés dans les relations internationales et diplomatiques. 

La quatrième conférence mondiale de l’ONU sur les femmes organisée à Pékin, véritable tournant dans le programme mondial pour l’égalité des sexes, fut un moment clef de la diffusion de la diplomatie féministe. Depuis, de nombreux pays en ont adopté une : le Canada (2017), le Luxembourg (2018), la France (2019), le Mexique (2019), l’Espagne (2020), l’Allemagne (2021) et la Libye (2021). 

Le concept n’ayant pas de définition universelle, chaque pays crée son propre agenda, définissant ses priorités. Ainsi, si le Canada s’évertue à promouvoir l’angle économique - le développement économique ne pouvant se faire sans la moitié de la population, le Mexique, pour sa part, se concentre sur la prise en compte des enjeux de genre au sein des négociations climatiques, tandis que la France propose une action féministe globale. 

Les droits des femmes menacés : un violent retour de bâton

La cause des femmes s’est détériorée comparée aux années 1980” confie Delphine O. L’égalité de genre a connu un tournant majeur entre 1960 et 1990. Malheureusement, les progrès sociaux majeurs s'accompagnent parfois d’un backlash (retour de bâton, en anglais) émanant des composantes de la société pour qui le changement est le plus nuisible. Ainsi, depuis plus de trente ans, des mouvements conservateurs et réactionnaires s’organisent et s’efforcent de faire reculer le droit des femmes.  

Delphine O définit le “backlash” (terme de Susan Faludi) comme un phénomène transnational de mouvements conservateurs - né en réaction aux formidables avancées obtenues par le mouvement de libération des femmes dans les années 1970 - prônant le retour à une société fondée sur les valeurs familiales, le patriarcat et dont l'objectif est de cantonner les femmes dans la sphère privée. Ces mouvements gangrènent tous les continents et mettent en place un agenda régressif des droits des femmes. 

Ainsi, aux États-Unis, un recul historique du droit à l’avortement s’est produit avec l’annulation de l’arrêt Roe vs Wade - qui, adopté en 1973, garantissait aux femmes le droit d’avorter dans l'ensemble du pays. Ce droit se voit également bafoué en Pologne. L’avortement y était légal depuis 1956 en cas de viol, d’inceste, de danger pour la mère ou le foetus, et de situations socio-économiques difficiles des parents. Or, depuis 1993, ce droit ne fait que régresser. Le backlash est si violent que le tribunal constitutionnel a interdit en octobre 2020 l’avortement en cas de malformation du foetus, dépossédant totalement les femmes de leurs droits sexuels et reproductifs. 

Delphine O dépeint également les cas de la Hongrie, l'Italie, la Turquie, l’Ouganda, les Philippines, le Kenya, de plusieurs pays d’Amérique Latine (Salvador, Honduras, Haïti, Nicaragua, Brésil sous Bolsonaro) ou encore de l’Iran (avec l’assassinat de Mahsa Jina Amini) et de l’Afghanistan, où les Talibans ont signé “l’arrêt de mort publique” des femmes.

Face à cette montée en puissance réactionnaire, la diplomatie féministe s’érige comme une réponse solide et concrète.

La diplomatie féministe, réponse des démocraties libérales

La reconnaissance et la préservation des droits sexuels et reproductifs émergent comme des priorités cruciales, car sans elles, aucun droit économique et social n'est possible. Ainsi, la question de l'avortement demeure un point de contention constant pour les conservateurs cherchant à réduire son accès voire à le supprimer. Delphine O explique que l'inscription de la "liberté d'avortement" dans la constitution française pourrait non seulement refléter une avancée significative en matière de protection des droits des femmes, mais aussi potentiellement inspirer d'autres nations.

Comme l'autrice le souligne, les féministes du monde entier attendent avec anxiété de savoir si ce droit acquerra une valeur constitutionnelle. D’autre part, une autre ambition - certes audacieuse - serait d'envisager l'inscription de l'avortement comme droit fondamental au niveau européen, car la santé relève de la compétence des États membres. Cette démarche soulignerait la volonté de protéger les droits des femmes à l’échelle européenne, quand ils sont encore trop souvent relégués comme droits de second plan.

Par ailleurs, une perspective novatrice émerge de la convergence des combats entre féministes et écologistes. Il est essentiel d'unir les forces de ces deux mouvements, car une fois de plus, ce sont les femmes qui souffriront le plus des impacts du réchauffement climatique. Elles sont bien souvent les nourricières de la famille et risque d'être contraintes à l’immigration lorsqu’elles seront dans l’incapacité de nourrir leur enfant en raison du dérèglement du climat. 

En parallèle, la place des femmes dans les conflits, tant dans les processus de pacification que dans la construction de la paix, doit devenir bien plus significative. Comme l'explique Delphine O, en raison de leur vécu, de leur socialisation et de leur expérience, les femmes ont beaucoup à apporter à la résolution des conflits. Leur participation pourrait contribuer de manière significative à la pérennité et à la stabilisation des pays meurtris par la violence.

Interroger l'impact concret d'une plus grande représentation féminine dans les instances décisionnaires en matière de guerre est un enjeux crucial pour la diplomatie féministe.

(crédits : Violette Toye / PRESAGE)