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29.07.2021

Un corps sain dans un esprit sain

Carnet de croquis de Pierre de Coubertin et portrait (crédits : Archives d'histoire contemporaine du Centre d'histoire de Sciences Po et Jacques de Navacelle de Coubertin)

Rediffusion : cet article a été initialement publié en avril 2015.

Rénovateur du mouvement olympique et refondateur des Jeux Olympiques à Athènes en 1896, Pierre de Coubertin a assidument fréquenté les bancs de la toute jeune École libre des sciences politiques en auditeur libre de 1884 à 1886 et s’est fait le fervent ambassadeur de l’École à travers le monde. 

Étudiant en droit à la Faculté catholique de Paris, mais irrémédiablement attiré par la carrière diplomatique et politique, Pierre de Coubertin est un étudiant conquis par l’enseignement dispensé rue Saint-Guillaume : « Tout ce qui peut perfectionner une éducation intellectuelle, affiner et aiguiser l’esprit, compléter et affermir les connaissances, donner à la pensée un tour précis et juste, tout cela y est enseigné »*

"De la lumière plein l'esprit"

Il suit avec ferveur les cours des grands maîtres de l’École libre, Léon Say en finances publiques et Alexandre Ribot en législation comparée ; Albert Sorel en histoire de l’Europe et Albert Vandal en histoire diplomatique ; les frères Leroy-Beaulieu – Paul, l’économiste, et Anatole, l’historien de la Russie et de l’Orient« Jamais université ne fournit à ses étudiants pareil ensemble de talents assemblés pour diriger leur perfectionnement mental. Je sortais de ces cours de la lumière plein l’esprit ».

Si Pierre de Coubertin se sent en phase avec l’École libre, c’est qu’elle est fille de la réforme libérale, proche de la société leplaysienne qu’il fréquente, et fondée sur le modèle des public schools et des residential universities anglaises qu’il admire. Il y acquiert une culture historique et diplomatique où il puise les racines de son internationalisme. Il y fait également son apprentissage politique, sous le signe du libéralisme et de l’orléanisme ralliés à la République. Il y adopte l’éthos des « gentlemen républicains » que l’École entend inculquer aux futurs dirigeants de la nouvelle France.

Ambassadeur de Sciences Po aux États-Unis & alumni fidèle

Étudiant comblé, Pierre de Coubertin sera également l’un des premiers promoteurs de Sciences Po outre-Atlantique. En 1897, il publie dans une revue américaine une véritable déclaration d’amour pour son École qui, « d’une certaine manière, participait de cette rigueur scientifique et de cette atmosphère empreinte de sacré propre aux gymnases de l’antique Athènes »**. Ami fidèle, il reviendra d’ailleurs rue Saint-Guillaume faire des conférences sur l’histoire des États-Unis en 1896 et 1897.

Si Pierre de Coubertin reconnaît sa dette à l’égard de l’École libre, l’École libre saura en retour s’inspirer de la réforme éducative par le sport promue par Pierre de Coubertin qui s’emploie à partir de 1887 à « rebronzer » la jeunesse parisienne des lycées et les élites françaises - réforme dont les présupposés idéologiques donneront lieu à controverses.

Conversion sportive rue Saint-Guillaume

Sciences Po n’est pas « naturellement » sportive – la faute sans doute à sa localisation urbaine et à ses locaux étriqués. Sa conversion au sport s’opère dans les années 1930 lorsque l’institution se dote, à l’occasion de la construction de l’aile des amphithéâtres, d’une salle de gymnastique, située en rez-de-jardin (l’actuelle cafétéria), et d’une association sportive (l’AS), fondée en 1931, dont l’École empruntera les mascottes (le renard et le lion de Machiavel), à défaut des couleurs (le noir et le jaune).

En ce début des années 1930, les dirigeants de l’École libre sont particulièrement sensibles à cette éducation sportive, « science dont l’objet est de faire des hommes »***, de muscler les caractères et d’inculquer une « culture de la volonté », si caractéristique de l’esprit de l’époque. Dans le contexte de l’Occupation, la réforme pédagogique de 1941 imposera l’éducation physique obligatoire dans la scolarité.

Les legs du coubertisme : un héritage bien vivant

La vigueur actuelle de l’Association sportive qui déploie avec succès des équipes de football, de volley, de handball, de tennis, de natation, d’équitation et d’athlétisme à toutes les compétitions interuniversitaires, est ainsi un lointain héritage de cette conversion sportive placée sous le signe de Coubertin.

Autre legs du coubertisme à Sciences Po, la famille de Pierre de Coubertin, en la personne de Geoffroy de Navacelle, a confié en 2014 aux Archives d’histoire contemporaine du Centre d’histoire de Sciences Po – qui conservent une centaine de fonds d’archives privées, dont celles du tennisman franco-algérien Robert Adbesselam – la tâche d’accueillir et de valoriser au mieux les archives de jeunesse de Pierre de Coubertin (vidéo). On y trouve, entre autres, ses précieux carnets de voyages illustrés de croquis (cf. illustration ci-dessus) et son Journal de guerre (1914-18), ainsi que les archives de sa famille, véritables conservatoires de la mémoire et des usages du « coubertisme » et de l’olympisme.

Ces archives permettront aux chercheurs d'écrire une histoire scientifique de cette figure controversée.

* Pierre de Coubertin, « The revival of French Universities », American Monthly Review of Reviews, vol.XVI, juillet 1887, pp.52-56.

** idem

*** Pierre de Coubertin, « L’éducation athlétique. Conférence faite le 26 janvier 1998 à l’Association française pour l’avancement des Sciences », AFAS, compte-rendu de la 18e session, Paris, Masson, pp.15-25, tirage à part, Paris, imp.Chaix, 1889, 23 pages.

Pour en savoir plus

  • Patrick Clastres, « Inventer une élite : Pierre de Coubertin et la chevalerie sportive », Revue française d’histoire des idées politiques, 2005/2, n° 22, p. 51-71.
  • Patrick Clastres, « La « lumière » de l’École libre des sciences politiques (1884-1886) », chapitre 4 de la thèse en histoire de l’IEP de Paris, La chevalerie des sportsmen : Pierre de Coubertin (1863-1937), 2011.
  • Pierre de Coubertin, « The revival of French Universities », American Monthly Review of Reviews, vol.XVI, juillet 1887, pp.52-56.