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29.11.2017

Christian Dior, un alumnus toujours à la mode

Un mannequin devant Christian Dior (crédits : Flickr/Loomis Dean, Life Photo Archive)

Par Serge Carreira, enseignant à Sciences Po. Qui se doute aujourd’hui que Christian Dior a fait un passage à Sciences Po ? Entré rue Saint-Guillaume sous la pression familiale, il a fui aussitôt une carrière de diplomate toute tracée pour le destin de créateur que l’on sait. À l’occasion de l’exposition qui lui est consacrée jusqu’en janvier au musée des Arts Décoratifs, retour sur un alumnus en avance sur son temps, qui a traversé les modes et les époques. Et se serait peut-être davantage épanoui dans le Sciences Po de 2017 ?

Au sujet de Christian Dior, Cocteau remarquait qu’il était forcément voué à un destin incroyable car son nom était la contraction des mots « Dieu » et « Or ». Il n’échappera pas à cette destinée hors du commun, même s’il ne lance sa maison de couture qu’à 42 ans. Né en 1905 à Granville, en Normandie, Christian Dior grandit à Paris. Il intègre l’Ecole Libre des Sciences Politiques - l'ancien nom de Sciences Po - mais, au contact d’artistes comme Jean Cocteau, Max Jacob ou Christian Bérard, il cède aux charmes d’une vie plus bohème. Christian Dior s’éloigne, alors, de la carrière pour explorer le monde l’art. Il ouvre, avec Jacques Bonjean, une galerie rue de la Boétie. Faute de moyens, l’aventure artistique s’achève en 1932. Le jeune galeriste doit fermer sa galerie et brader son stock de Braque et de Picasso. Après cet échec, faisant face à de sérieuses difficultés matérielles, il fait ses débuts dans la mode, « par hasard » comme il le reconnaîtra plus tard. Ses talents de dessinateur vont lui permettre d’entamer cette seconde vie. Il vend ses premiers croquis de mode, des modèles pour des maisons de couture, en 1935. Il va aussi faire des illustrations pour des magazines. A cette époque, il est fasciné par Edward Molyneux et « Mademoiselle » Chanel, deux couturiers au firmament. En 1937, il commence à collaborer avec la maison Robert Piguet qu’il rejoint l’année suivante comme dessinateur modéliste. Après l’armistice de 1940, Christian Dior s’installe en Provence. Il se contente de publier quelques dessins de mode dans Le Figaro. De retour à Paris, il rentre chez Lucien Lelong.   

“Les femmes s’habillent non pour se couvrir mais pour plaire”

Tout bascule lorsqu’à l’issue de la guerre, l’industriel Marcel Boussac souhaite relancer ses activités dans le textile avec une maison de couture. Christian Dior est contacté pour diriger le studio de “Philippe et Gaston”. Après plusieurs entretiens, c’est finalement une maison à son nom qui sera créée. La maison s’installe fin 1946 dans un hôtel particulier au 30, avenue Montaigne. Auprès de lui, il y a Mitzah Bricard, muse et conseillère avisée et un jeune styliste au studio dénommé Pierre Cardin. La première collection est présentée le 12 février 1947. Christian Dior renoue avec une vision du vêtement plus spectaculaire. Après les années sombres, il y a une aspiration à l’insouciance et à la légèreté. Il répond à ce besoin de séduction avec une silhouette flatteuse. Il considérait, d’ailleurs, que “les femmes s’habillent non pour se couvrir mais pour plaire”. Après le défilé, Carmel Snow, la puissante rédactrice en chef du Harper’s Bazaar, qualifie la collection de « New Look ». Le terme restera associé à la légende Dior. Le « New Look » devient l’étendard d’une mode parisienne qui rayonne, à nouveau, dans le monde entier.

Le succès est fulgurant. Fort de sa notoriété soudaine, Christian Dior lance dès décembre 1947, moins d’un an après son premier défilé, le parfum « Miss Dior » créé par le parfumeur Paul Vacher. « Je me sens autant parfumeur que couturier » déclare-t-il à cette occasion. Après le parfum, il multiplie les activités de la maison avec Christian Dior Fourrures (1947), Christian Dior New York (1948), une licence pour des bas et collants aux États-Unis (1949), une licence pour des cravates aux États-Unis (1950) ou Christian Dior Models à Londres (1952). Couturier et homme d’affaires à la fois, il comprend que la couture doit changer plus rapidement : « C’est l’ennui qui détrône les modes et incite à un perpétuel besoin de renouvellement » observe-t-il. Chaque saison, il va proposer de nouvelles silhouettes ce qui permet à sa maison de demeurer la plus innovante. À la ligne Corolle du New Look vont succéder les lignes Zig Zag, Verticale, Tulipe, H, A ou Y. Toute l’élite internationale, des millionnaires aux stars hollywoodiennes se bousculent chez le couturier. Marlène Dietrich impose à Alfred Hitchcock ses costumes en 1949 avec son fameux « No Dior, no Dietrich ». En octobre 1957, alors qu’il est en cure à Montecatini Terme, en Italie, Christian Dior meurt brutalement d’une crise cardiaque. Paris Match titre « Paris en deuil de Christian Dior ». L’aura de Dior est telle que certains vont jusqu’à se demander si cela ne sonne pas « le glas de la haute couture parisienne ? ».

Une valeur sûre qui traverse les époques

Tout juste âgé de 21 ans, Yves-Mathieu Saint-Laurent, modéliste de la maison, prend la relève. Sa première collection appelée « Trapèze » est acclamée. Cela montre que la maison continue bel et bien d’exister malgré la disparition du fondateur. Mais l’idylle entre le jeune prodige et la maison prend fin en 1960. A sa suite, Marc Bohan va assurer la direction artistique de Christian Dior de 1961 à 1989. Stars et princesses fréquentent toujours fidèlement les salons de la maison de l’avenue Montaigne qui demeure l’une des valeurs sûres de l’élégance parisienne. Le couturier italien Gianfranco Ferré tente de redonner tout le glamour et la superbe à la maison. Mais c’est l’arrivée de John Galliano, en 1997, qui marque le début d’une nouvelle ère. Le créateur anglais transpose l’approche de Christian Dior à son époque. Jusqu’à son départ en février 2011, et comme monsieur Dior, le créateur anglais habillait les femmes pour qu’elles se sentent belles. Sous son impulsion la maison Dior, s’inscrit, d’abord, dans le « porno-chic » qui marque la fin des années 90. John Galliano crée une nouvelle image radicalement en rupture avec les salons feutrés de la couture : des femmes demi-nues sont photographiées par Nick Knight dans des poses lascives. La collection « Clochard », inspirée par les sans-abris, est l'une des nombreuses provocations du créateur. Ce repositionnement s’est accompagné d’une politique de développement intensif. En multipliant le nombre de points de vente et en renforçant certaines activités comme les accessoires ou l’homme avec le créateur Hedi Slimane, la maison triple son chiffre d’affaires en dix ans.

Le départ tonitruant de John Galliano, en janvier 2011, a poussé Dior à revenir vers ses fondamentaux. Raf Simons ne restera que trois ans à la direction artistique. Néanmoins, il réinterprétera audacieusement les valeurs et les codes de la maison parisienne avec son esthétique radicale et épurée. Maria Grazia Chiuri succède au créateur belge en juillet 2016. Pour sa première collection, la créatrice entame sa « Dio(r)évolution », pour reprendre l’un des slogans de la saison. La maison entre de plain-pied dans le XXIème siècle avec ses sacs monogrammés effet vintage, ses tee-shirts militants reprenant le « We should all be feminists » de l’écrivain Chimamanda Ngozi Adichie, ses clins d’œil au sportswear et ses références à l’héritage de la maison. Maria Grazia Chiuri livre sa propre vision de la maison tout en se rattachant à son riche patrimoine.

La maroquinerie a eu une place centrale dans l’institutionnalisation de la maison. Le Lady Dior s’est imposé comme une icône de la maison. Décliné saison après saison depuis 1995, il demeure un point de repère comme le mythique « Kelly » d’Hermès ou le « 2.55 » de Chanel. Des campagnes et films publicitaires, signés par des réalisateurs comme David Lynch ou Olivier Dahan, ont été consacrés à ce sac et à son égérie, l’actrice française oscarisée Marion Cotillard. Une façon d’entretenir les rapports de la maison avec le glamour du cinéma et l’élégance parisienne.

Une identité classique et iconoclaste à la fois

À travers les décennies, Dior s’inscrit dans une certaine intemporalité. L’identité de la maison ne se limite pas à la haute couture. La maison a de nombreux visages avec ses collections homme créées par Kris Van Assche, ses collections de joaillerie imaginées par Victoire de Castellane, ses collections Baby Dior, sa ligne Dior Home ou ses parfums et cosmétiques. De Paris à Pékin en passant par Granville ou Moscou, la marque multiple expositions et événements qui viennent entretenir la légende. Dior s’est maintenu dans la féroce compétition avec les plus grandes marques internationales au moment où les consommateurs du luxe sont en quête de sens, de qualité, de création et d’authenticité.

Tout juste septuagénaire, la maison Dior a traversé les époques et les modes en cultivant une identité plurielle, classique et iconoclaste à la fois. Des ors de Versailles pour le parfum J’adore au minimal gris Louis XVI, apprécié du maître, et de la duchesse de Windsor à Rihanna, Dior ne se limite pas à un seul style. Les successeurs de monsieur Dior réinterprètent ses références à l’art, aux voyages, à la séduction ou à la botanique. Chaque créateur a marqué une époque et a enrichi l’imaginaire de la maison en restant fidèle à l’esprit pionnier, poétique et raffiné du fondateur.