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06.09.2018
Après Nicolas Hulot, François de Rugy et les dilemmes de l’écologie politique
Par Daniel Boy (Cevipof) - Si elle ne change pas de façon radicale la difficulté de l'écologie à réussir en politique, la nomination au poste de ministre de la Transition écologique de François de Rugy en remplacement de Nicolas Hulot présente certains atouts pour la désignation à ce poste délicat. Celui-ci satisfait tout d'abord clairement à la condition de compétence et de sérieux sur les enjeux environnementaux. Il est aussi reconnu du monde de l'écologie politique comme un homme qui a milité sur le terrain et su gravir avec habileté les échelons classiques de la carrière politique. Mais il serait évidemment vain de croire que ces qualités lui vaudront le soutien des associations environnementales ou du parti des Verts.
Pour la majorité actuelle, il présente l'avantage de représenter une écologie relativement pragmatique : on veut dire par là moins tenue de se réclamer avant tout de la panoplie des valeurs de gauche. Reste qu'il est un homme politique, certains diront sans doute un politicien. Est-ce aujourd'hui un atout ou un handicap ?
Quoiqu'on dise du désir de renouvellement de la classe politique par des acteurs de la société civile (un des thèmes, cependant, du macronisme), le fait d'être un professionnel de la politique nous semble pour lui un atout qui a manqué à Nicolas Hulot. Son parcours politique, sa fonction de Président de l'Assemblée nationale ont certainement accru son capital relationnel et par là son aisance à se mouvoir dans le monde complexe de la politique.
Reste une question cruciale dont nous n'aurons sans doute pas la réponse : a-t-il eu ou non le loisir de passer quelque accord, même informel, avec le Président Macron sur le contenu des politiques environnementales à venir ?
Nicolas Hulot, une démission sans véritable surprise
La récente démission du ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, n’est surprenante qu’en raison de sa forme inhabituelle. Annoncée au cours d’un entretien radiophonique du matin sans qu’aucun protocole, même informel, ne l’ait précédée cette décision a en effet été rendue publique selon une méthode bien inhabituelle. Mais, sur le fond, l’affaire était pendante depuis le début de sa nomination puisque Nicolas Hulot avait affirmé bien haut qu’il apprécierait lui-même, au bout d’une année environ l’opportunité de prolonger, ou non, sa fonction de ministre.
Aurait-il oublié bien improbablement cet engagement les médias n’auraient pas manqué de le lui remettre en mémoire. Il ne s’est en effet guère déroulé d’entretien avec le ministre, de commentaire médiatique, ou de discussions dans les réseaux sociaux qui manquent d’évoquer cette possible démission.
Quant à ce qui pourrait motiver un tel renoncement annoncé, ses causes nous ont aussi été fournies ad nauseam : en acceptant ce poste, l’écologiste serait contraint « d’avaler des couleuvres ». Désagréable perspective qui semble, dans le discours médiatique particulièrement réservée, non seulement à Nicolas Hulot, mais plus généralement aux dirigeants écologistes lorsqu’ils ont l’audace de prétendre assumer une responsabilité de premier plan.
Pourquoi une telle malédiction pèse-t-elle sur ce mouvement ? L’écologie politique serait-elle condamnée, dans l’esprit du public, à faire un unique et rapide tour de piste sur la scène nationale pour retourner inévitablement à des querelles internes dont on lui attribue, bien à tort, la seule exclusivité ?
L’écologie politique : bien présente, mais gravement minoritaire
Pour mieux apprécier cet évènement, et peut-être en tirer des leçons politiques, il est nécessaire d’élargir la perspective à la situation de l’écologie politique en France dans le récent passé. En partant tout d’abord d’un constat fort simple, mais qui emporte des conséquences décisives : présente dans le champ politique depuis presque un demi-siècle (René Dumont présentait sa candidature à l’élection présidentielle il y quarante-quatre ans), l’écologie politique continue à être gravement minoritaire lors des élections nationales.
On le constate lors des élections présidentielles : 3,1 % en moyenne. Mais on le note aussi pour les élections législatives, si du moins l’on ne tient pas compte des résultats obtenus dans les circonscriptions dans lesquelles le score écologiste est majoré en raison des accords avec le Parti socialiste : de l’ordre de 5 % des suffrages exprimés.
Mais avant de rechercher les effets d’un tel constat, il faut rappeler que l’écologie politique au sens partisan n’est pas le seul acteur qui se fixe pour objectif de promouvoir la cause écologiste dans les politiques publiques. Au niveau local depuis longtemps, et plus récemment au niveau national lors du Grenelle de l’Environnement, les associations de défense de l’environnement ont aussi agi, indépendamment des Verts, avec les mêmes objectifs. Mais, bien que leur poids spécifique ne puisse être évalué de façon rigoureuse, il serait excessif de penser que ces forces représentent plus, à leur tour, qu’un mouvement par nature minoritaire.
Se pose donc, dans deux cas de figure, la question des modes d’action de ces organisations en situation de faiblesse structurelle vis-à-vis d’un État français volontiers décrit comme le royaume de la technostructure et de lobbies industriels dont la toute-puissance a été invoquée, ces jours derniers, comme cause première de la démission du ministre.
Les aléas de l’alliance entre partis
Sortis de la période du « ni droite ni gauche » incarné par Antoine Waechter dans les années 80, les Verts (EELV depuis 2010) ont choisi, depuis le milieu de la décennie 90, une stratégie d’alliance ponctuelle avec le Parti socialiste lors des élections législatives. Le mécanisme de cette alliance consiste en l’adoption commune d’un programme de réforme, notamment dans le domaine de l’environnement accompagnant un accord électoral qui prévoit de réserver quelques dizaines de circonscriptions à des candidats écologistes.
En 1997, puis en 2012 la méthode s’est révélée fort profitable aux Verts puisqu’elle les conduit dans les deux cas à atteindre le pouvoir national à travers la nomination de ministres écologistes. Mais dans les deux cas aussi, l’expérience avorte avant sa fin institutionnelle. En juillet 2001, Dominique Voynet démissionne du gouvernement de Lionel Jospin en raison de la difficulté qu’elle éprouve à faire aboutir son projet de réforme de la politique de l’eau. Elle est cependant remplacée à son poste par un autre Vert, Yves Cochet.
En mars 2014, Cécile Duflot refuse la participation d’EELV au gouvernement dirigé par Manuel Valls, à l’évidence parce qu’elle estime que l’orientation de ce gouvernement penchera trop à son gré vers un néo-libéralisme qu’elle tient pour nocif.
Le cas du plus faible face au plus fort
Il n’y a rien, dans ces deux cas, que de très commun lorsqu’une alliance a été scellée entre deux partenaires de force inégale : le plus faible des deux doit souvent céder au plus fort, en tous cas sur les points qui n’ont pas été très clairement négociés dans l’alliance. Rien n’était dit dans l’accord EELV-PS de 2012 sur l’éventualité de nommer un premier ministre autre que Jean‑Marc Ayrault.
Mais la difficulté qui apparaît pour les écologistes est alors qu’ils renoncent à participer à la mise en place d’une loi de transition énergétique qu’ils ont eux-mêmes souhaitée et négociée avec leur partenaire socialiste au seul motif de leur désaccord avec un élément qui n’a rien à voir avec l’écologie.
Le cas de la démission de Dominique Voynet est plus classique puisqu’il s’agit cette fois clairement d’un enjeu environnemental mais qui, là encore, ne faisait nullement partie de l’accord Vert/PS initial.
On trouve bien d’autres cas historiques de sortie d’une alliance électorale inspirés par la crainte qu’un compromis politique soit jugé par les adhérents ou les électeurs comme une compromission inacceptable. On se souvient, par exemple, du refus du Parti communiste de participer par une présence ministérielle au gouvernement d’Union de la gauche de Laurent Fabius (juillet 1984) alors que la personnalité de Pierre Mauroy n’avait pas inspiré les mêmes réticences.
Le pacte avec la société civile
Les inflexions de politiques environnementales induites par un accord ponctuel avec les associations de défense de l’environnement constituent un second mode d’intervention de l’écologie en politique. En France, au niveau national, le seul exemple d’importance est celui de l’accord passé entre Nicolas Sarkozy et une coalition d’associations environnementales qui conduira en 2007 à la réalisation du Grenelle de l’Environnement.
La méthode est bien différente, elle suppose le bien-vouloir du parti au pouvoir à son plus haut niveau et une situation de confiance au moins ponctuelle de la part du partenaire associatif. Parce que la promesse d’une vaste négociation (revêtue de l’aspect symbolique majeur du terme de « Grenelle ») constituait un point important de la stratégie d’accès à la présidence de la République de Nicolas Sarkozy, mais aussi parce la négociation elle-même, se déroule avec des méthodes assez novatrices, le processus aboutit à produire un changement jugé significatif des politiques d’environnement sous une réserve majeure : la question du nucléaire est explicitement écartée du débat.
Pourtant, par la suite les associations de défense de l’environnement objecteront que la réalisation concrète dans les politiques publiques des décisions actées au moment même du Grenelle de l’Environnement ne seront pas réellement à la hauteur des enjeux.
Une grande fragilité institutionnelle
Des deux voies suivies, l’alliance politique ou le contrat associatif, laquelle a objectivement produit les meilleurs résultats en termes de politiques publiques ? Il semble aujourd’hui à peu près impossible de donner une réponse indiscutable à cette question tant l’évaluation des politiques publiques dans ce domaine est malaisée.
Il reste pour notre propos que les deux modes d’action examinés ici demeurent des processus d’une grande fragilité institutionnelle. Elles dépendent toutes deux de la volonté de deux partenaires institutionnels dont l’un – l’État et le parti majoritaire – dispose de ressources politiques sans commune mesure avec celles que détient une écologie politique demeurée en situation de grave faiblesse.
Mais, à cette aune, comment interpréter le processus qui conduit aujourd’hui à la démission de Nicolas Hulot ? Du côté de l’exécutif et du parti majoritaire, on ne distingue pas de volonté affirmée de faire des enjeux environnementaux un élément prioritaire ni au moment de la campagne électorale ni dans les politiques annoncées pour les mois à venir.
Nicolas Hulot, de son côté, ne dispose réellement ni du soutien d’EELV avec lequel il entretient de mauvaises relations depuis son éviction de la primaire écologiste de 2012, ni d’un appui sans réserve des associations de défense de l’environnement qui se montreront fort promptes à critiquer son action. Enfin, aucun contrat ou programme d’action explicite ne lient l’écologiste et la majorité au pouvoir.
Dans ces conditions l’évaluation du bilan au jour le jour des politiques suivies dans le domaine de l’environnement dépend du seul jugement en son âme et conscience écologiste de Nicolas Hulot. Comment s’étonner, dans ces conditions, que la rupture intervienne aussi rapidement ?
Quelle solution, dans ces conditions, au dilemme de l’écologie politique ? Hors un renforcement de sa puissance tel que celui que l’on a observé dans la courte période d’alliance effective entre le mouvement environnemental et l’écologie politique, c’est-à-dire lors des élections européennes de 2009, probablement point de salut. Le déroulement des prochaines élections européennes, l’an prochain, indiquera si cette possibilité est réalisable.
Daniel Boy, Professeur de sciences politiques et directeur de recherches au Cevipof de Sciences Po.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.