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30.04.2019
Améliorer le régime du chômage
Didier Demazière, chercheur au Centre de sociologie des organisations (CSO), étudie le chômage, en s'intéressant aux politiques publiques et aux impacts concrets qu’elles ont sur les chômeurs . Alors que des négociations entre partenaires sociaux sur l’indemnisation du chômage viennent de s’achever sans accord, il analyse les enjeux cruciaux du régime de prise en charge des chômeurs.
La dette de l’assurance-chômage s’est creusée ces dernières années. Pourquoi ? Comment fonctionne son équilibre financier ?
L’équilibre financier du système d’indemnisation du chômage dépend des recettes, c’est-à-dire les cotisations alimentant le fonds d’assurance-chômage, et des dépenses, soit les allocations versées aux chômeurs. Grossièrement, les recettes augmentent quand le nombre d’emplois croît (plus de cotisations sur les salaires) et, à l’inverse, les dépenses gonflent en période de récession (plus de chômeurs indemnisés). La situation de l’emploi étant durablement dégradée en France, cela a un impact majeur sur les comptes de l’assurance-chômage dont la dette cumulée est évaluée à plus de 35 milliards d’euros. L’assurance-chômage est gérée par les partenaires sociaux à travers l’Union nationale interprofessionnelle pour l’emploi dans l’industrie et le commerce (Unédic). L’État participe marginalement à son financement et, surtout, il garantit la dette de l’assurance-chômage.
En mars dernier, les négociations entre partenaires sociaux sur l’indemnisation ont échoué après 3 mois de discussions, pourquoi ?
Actuellement la préoccupation centrale du gouvernement est de réduire la dette. Il a donné aux négociations un objectif de réduction des dépenses de l'Unédic de 1 à 1,3 milliard d'Euros par an jusqu'en 2021. Avec une telle contrainte, les positions des partenaires sociaux se sont polarisées, entre ceux qui voulaient réduire les allocations versées aux demandeurs d’emploi et ceux qui demandaient une augmentation des cotisations des employeurs, en particulier de ceux qui utilisent beaucoup les contrats courts. Aucun compromis n’a été trouvé.
Cette question des « contrats courts » a cristallisé les oppositions ?
Le recours aux « contrats courts » (inférieurs à un mois) a augmenté de 165 % entre 2000 et 2017. Et, selon l’Unédic, un tiers des CDD sont signés pour une journée. Cette augmentation signifie que se multiplient les passages par le chômage entre deux contrats et les cumuls emploi et chômage, ce qui génère mécaniquement des dépenses d’indemnisation. La question est de savoir si le recours croissant aux contrats courts est la conséquence d’aléas auxquels les entreprises sont confrontées, ou bien le résultat de comportements d’embauche stratégiques consistant à faire un usage actif du chômage partiel. Dans la première hypothèse, on considère que l’assurance-chômage joue son rôle en couvrant les ruptures professionnelles des salariés occupant ces emplois instables. Mais la seconde hypothèse doit conduire à pénaliser les entreprises qui abusent de ces contrats.
Ces enjeux sont bien visibles dans le cas de la « réembauche » qui illustre cette question des contrats courts. Actuellement près des trois-quarts des embauches sont des réembauches chez un précédent employeur, et c’est le cas pour plus de 80 % des contrats d’un mois ou moins. Or, pour l’essentiel, le choix d’opter pour des contrats courts avec des réembauches n’est pas lié à des contraintes productives particulières. Il traduit une préférence de l’employeur d’externaliser le coût lié à la discontinuité du travail : plutôt que d’adapter son organisation, il préfère recourir à l’assurance-chômage et réembaucher ensuite. L’idée d’introduire un bonus-malus à ces employeurs repose sur cette analyse. Ici, l’enjeu n’est pas de réformer le système pour mieux lutter contre le chômage, mais de ne pas faire porter le coût de ces comportements opportunistes sur l’ensemble des contributeurs, ce qui peut permettre de réduire le coût de l’assurance-chômage.
Réduire les dépenses, est-ce aussi renforcer le « contrôle » des chômeurs pour éviter les abus ?
Renforcer le contrôle de la recherche d’emploi peut permettre de faire des économies si cela conduit à radier des chômeurs dont la recherche d’emploi aurait été jugée insuffisante. Ce contrôle est légitime dès lors que la « recherche effective d’emploi » est conçue comme la contrepartie de l’indemnisation et des prestations délivrées par le service public de l’emploi. Mais pour saisir les enjeux du contrôle, il faut distinguer, à mon sens, deux manières de l’envisager et de le mettre en œuvre. La première est ce que j’appelle le « contrôle-sanction ». Il s’agit d’évaluer si la recherche d’emploi est effective, si elle suffisante au regard des exigences institutionnelles. Si ce n’est pas le cas, le chômeur est sanctionné financièrement. C’est cette direction que le gouvernement entend privilégier. Ce type de contrôle punitif provoque des sorties du chômage plus rapides et nombreuses, mais c’est le plus souvent pour des emplois de faible qualité (contrats de courte durée, salaires faibles, temps de travail limités), ou pour se retirer du marché du travail (découragement). Autrement dit, ces sorties du chômage ne signifient pas insertion professionnelle.
Si ce n’est financier, quel autre “contrôle” possible des chômeurs ?
La seconde forme de contrôle est ce que j’appelle le « contrôle-accompagnement ». Il vise à repérer les difficultés rencontrées dans la recherche d’emploi, et à aider les chômeurs à les surmonter. C’est un contrôle qui prend en compte les inégalités face au retour à l’emploi, car il repère et soutient ceux qui ne savent pas comment s’y prendre, ceux qui ont perdu confiance en eux, ceux qui n’y croient plus ou qui sont depuis trop longtemps au chômage. Là, une recherche d’emploi jugée « insuffisante » n’est pas considérée comme une preuve de fainéantise mais plutôt comme un signe de difficulté appelant un accompagnement. Ce qui est sûr, c’est qu’un accompagnement de qualité, à destination des très nombreux chômeurs qui rencontrent des difficultés importantes, exige des moyens humains (des conseillers, des psychologues, des formateurs, etc.) d’ampleur. On retrouve ici l’écueil du prisme budgétaire auquel le gouvernement accorde une importance cruciale dans ses projets de réformes de l’indemnisation et du contrôle des chômeurs.
Propos recueillis par Anna Egéa, Centre de sociologie des organisations
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