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22.04.2022

Présidentielle : les démocraties à l’épreuve de l’extrême droite en France et en Europe

#ScPo2022
Extrême droite à la présidentielle 2022 (crédits : @Sciences Po/Thomas Arrivé)

Pour la troisième fois dans l’histoire de la Ve République, une candidate de l’extrême droite est présente au second tour de l’élection présidentielle française. Cette récurrence soulève une série d’interrogations : que représente exactement cette famille politique historiquement et actuellement, quel est son programme politique, économique, social et culturel, de quelle base sociologique dispose-t-elle, que révèle sa force actuelle de l’état de la démocratie française ? Politistes et historiens se sont retrouvés à Sciences Po pour répondre à ces questionnements et discuter du positionnement du Rassemblement national porté par Marine le Pen, lors d’une conférence organisée en partenariat avec France Culture le 21 avril 2022. 

“Alors s’assit sur un monde en ruines, une jeunesse soucieuse”

C’est avec ces mots d’Alfred de Musset que Mathias Vicherat a ouvert la conférence. Le directeur de Sciences Po a rappelé qu’en tant qu’université internationale en sciences humaines et sociales, Sciences Po a “le devoir de garantir le pluralisme, la liberté de penser et de débattre”, reprécisant que son rôle est “d’apporter des analyses rigoureuses et une réflexion fondée sur une expertise scientifique”. C’est sous ce prisme que, vingt ans jour pour jour après la stupeur provoquée par la qualification au second tour d'une élection présidentielle d'un candidat issu d'un parti d'extrême droite, Jean-Marie Le Pen, plusieurs experts et chercheurs de Sciences Po ont été invités à débattre.

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Lors d'une première table ronde sur la situation politique en France depuis ce 21 avril 2002, Martial Foucault, du CEVIPOF ; Nonna Mayer et Florence Haegel, du Centre d’études européennes et de politique comparée ; Eric Heyer, de l’Observatoire français des conjonctures économiques ainsi que Gilles Richard, de la Société française d’Histoire politique, ont répondu aux questions de Chloé Cambreling et Emmanuel Laurentin, journalistes à France Culture, sur l’évolution du paysage politique, celle du parti du Front national et de son programme.

Martial Foucault a noté que le Front national, devenu Rassemblement national (RN), restait un parti très conservateur sur le plan des questions sociétales. La grande évolution concerne la stratégie de Marine Le Pen, qui joue la carte de l’émotionnel pour obtenir le vote des “classes malheureuses”. Sur le plan économique , Eric Heyer note, quant à lui, que c’est un parti qui conserve néanmoins un discours très libéral : “la vraie solution pour réduire les inégalités est d’investir dans le service public, or dans son programme aucune mesure ne le prévoit”, a-t-il complété. 

Pour Nonna Mayer, la candidate du RN a véritablement “ripoliné” le parti et cherche à apparaître moins dangereuse, en captant  le vote des femmes qui représentent 53% du corps électoral français. Mais l’examen de son programme révèle que “finalement rien n’a vraiment changé, c’est la priorité nationale, rebaptisée ‘préférence nationale’, qui est au cœur du programme”.

Le poids des émotions dans l’isoloir

Spécialiste de la sociologie du vote, Martial Foucault, a précisé que les mesures objectives (âge, position sociale, etc.) pour comprendre le vote citoyen en faveur du Rassemblement national ne sont plus aussi tangibles qu’auparavant : “on a démontré le poids des émotions dans l’isoloir, l’électeur n’est pas simplement un cerveau, c’est aussi un corps (...), nous avons observé que les électeurs ne sont plus des électeurs qui ont peur, ce sont des électeurs qui sont en colère”.

Concernant la façon dont les médias doivent traiter le sujet du Rassemblement national, les deux journalistes de France Culture ont questionné les chercheurs présents. “C’est un parti qui est tout à fait légal, on débat avec lui et les journalistes font leur travail” a clarifié Florence Haegel. 
Martial Foucault a souligné pour sa part que les journalistes n’ont pas de raison de mettre ce parti à l’écart. Mais l’objectivité s’accompagne “d’une impérieuse nécessité de révéler les incohérences d’un programme, les paradoxes, les procès d’incompétence ou d'incohérence ; c’est cela le travail journalistique.” 

Les extrêmes droites et l’Europe

Pour débattre du poids des extrêmes droites au niveau européen, la deuxième table ronde a réuni trois chercheurs de Sciences Po : Marc Lazar, du Centre d’histoire, Olivier Rozenberg, du Centre d’études européennes et de politique comparée et Jacques Rupnik, du Centre de recherches internationales.

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Nombre de pays européens enregistrent une progression de l’extrême droite qui peut constituer une force importante d’opposition mais aussi accéder au pouvoir. C’est le cas notamment en Italie où Giorgia Meloni à la tête du parti Frères d’Italie (FdI) représente la principale force d’opposition à Mario Draghi. 
Au Parlement européen, les représentants de ces partis représentent 20 à 25% des membres et tentent d’imposer leurs orientations critiques de l’Union européenne. 

Concernant Marine le Pen, il est à noter que l’Europe lui a été utile notamment pour garder une cible à laquelle s’opposer au moment de sa dédiabolisation, ainsi qu’au moment de former des alliances, pour montrer qu’elle n’était pas seule au niveau européen. Même si cela est moins flagrant aujourd'hui car elle souhaite normaliser son image, elle a tout de même conservé l’essentiel de la substance de son opposition à l’Union européenne.

Au fil de la discussion, les trois chercheurs ont démontré comment ces alliances au sein de l’Europe (représentées notamment par Marine Le Pen pour la France, Viktor Orban pour la Hongrie, Matteo Salvini ou encore Giorgia Meloni pour l’Italie, pour les principaux), sont porteuses d’un certain conservatisme reposant sur la famille, la nation, l’église… en opposition avec une Europe plus moderne, multiculturelle, sociale. 
Enfin, à la question, pensez-vous qu’il puisse y avoir un jour une union entre eux, une force politique au sein de l’Union européenne, malgré les désaccords qui peuvent perdurer entre eux, en particulier sur la question russe : “il est possible qu’ils s’unissent (...), le jour où quelqu'un venant authentiquement de l’extrême droite arrive au pouvoir, là oui, pourrait se créer une nouvelle dynamique”, a conclu Olivier Rozenberg.

Rendez-vous le 24 avril 2022…

L'équipe éditoriale de Sciences Po

En savoir plus : 

Photo 1 de gauche à droite : Eric Heyer, Martial Foucault, Florence Haegel, Gilles Richard, Nonna Mayer

Photo 2 de gauche à droite : Marc Lazar, Olivier Rozenberg, Jacques Rupnik