« Un déplacement de frontière. Le cas des établissements scolaires français à Casablanca »

Sylvain Beck*

10/2013

Quelles frontières matérielles et symboliques l'enseignement français à Casablanca marque-t-il ? Comment s'inscrivent ces établissements dans l'espace géographique et social à l'échelle urbaine ?

Dans cet article, la frontière ne sera donc pas abordée au sens juridique et administratif de l'Etat-nation. Pour les Marocains souhaitant migrer vers la France, de manière temporaire ou durable, la frontière n'est pas seulement une barrière physique, administrative et juridique elle est aussi une barrière sociale, un filtre de leurs déplacements au sein de leur société. Elle est définie symboliquement dans la mesure où elle maintient une partie de la population dans une position dominante. La frontière étudiée ici est matérialisée dans l'espace urbain  par les murs d'une école française à Casablanca (photos 1 et 2). Elle accomplit une forme de distinction par l'offre scolaire. Si en France, une « frontière intérieure », héritée de la période coloniale, sépare les groupes nationaux et migrants ou d'origine immigrée, symbolisant une limite entre des communautés qui se représentent et s'affirment comme différentes les unes des autres (Fassin, 2010), elle se retrouve sous d'autres formes dans la ville de Casablanca. L'importance des écoles françaises et francophones dans la capitale économique marocaine signifie un déplacement de la frontière. En d'autres termes, tout se passe comme si la France, en exportant son institution scolaire à Casablanca, reproduisait une distance sociale (Park, 1950 : 257) qui symbolise une frontière intérieure dans la ville.

mur d'enceinte 
Mur d'enceinte d'une école primaire française à Casablanca - Photo Sylvain Beck

Ces observations proviennent d'une enquête1 dont les résultats induisaient que les écoles françaises scolarisent les élites du Royaume, un phénomène toutefois pas nouveau (Vermeren, 2002). Elle montrait également que l'enseignement français est un recours pour de jeunes Marocains, issus de couches socialement élevées pour accéder à un enseignement supérieur en Europe ou en Amérique du Nord. Une seconde enquête2 est venue enrichir ces observations dont une partie concerne la place des enseignants français au sein de l'organisation sociale et économique du Maroc. En croisant les témoignages, les indices perçus sur le terrain et le vécu des acteurs, l'enseignement français s'est révélé comme une frontière marquant une distance sociale plutôt que le reflet innocent des inégalités sociales. Historiquement, ce phénomène s'apparente à un fonctionnement spécifique à l'organisation sociale marocaine, sur laquelle est venue se greffer l'institution coloniale française en apportant un soutien opportun au pouvoir central de la monarchie chérifienne (Laroui, 1977 ; Benhaddou, 2010).

Comment cette frontière marque-t-elle l'espace social par une distinction élitiste ? Comment les enseignants français jouent-ils un rôle d'intermédiaire dans cette organisation sociale ? La critique post-coloniale qui pourrait être déduite d'un constat de néo-colonisation doit être nuancée par la réalité des relations franco-marocaines dans une sociologie mondiale. Il ne s'agit pas de montrer comment la France maintient un rapport de domination coloniale à travers l'enseignement français, mais comment cet enseignement français et francophone joue un rôle de frontière en entretenant un rapport de distinction. Si le terme de frontière peut paraître excessif, il a été rigoureusement choisi pour mettre en évidence la manière insidieuse avec laquelle l'institution scolaire peut limiter, en amont, le déplacement d'une partie de la population, l'enseignement francophone représentant bel et bien un « passeport pour l'Europe ».

Cet article ne prétend pas élaborer les problématiques complexes de l'éducation ou de l'organisation de la société marocaine, mais de proposer des pistes de réflexions sur la dimension symbolique que représente la relation franco-marocaine dans les flux migratoires. Cette frontière par l'enseignement scolaire ne forme-t-elle pas implicitement une « immigration choisie » ? Le déplacement de cette frontière apparaît comme un symbole ostentatoire du privilège de la liberté de circuler. Comment se constitue cette frontière, physiquement et symboliquement ? Quelles formes de conflits implique-t-elle ?

Une frontière physique

Les photos montrent la barrière de protection physique que représente l'enceinte des écoles françaises. Ces murs standardisés pour l'ensemble des établissements scolaires français à Casablanca sont impressionnants, même si ce type d'enceinte n'est pas exclusif : tout établissement scolaire délimite le dedans et le dehors en France, au Maroc ou ailleurs. Un enseignant du lycée français depuis deux ans à Casablanca interroge la signification de ces murs en matière de sécurité :

« On me dit que « le Maroc ne risque pas trop ». Il n'empêche qu'à cette rentrée, ils ont augmenté les murs d'un mètre cinquante. Alors les syndicats ont mis le doigt dessus, parce qu'ils disent : « Attendez ! Vous dites que le Maroc n'est pas dangereux, donc vous baissez la prime de présence à l'étranger, mais en même temps, vous rehaussez le mur d'un mètre cinquante ! Il faudrait savoir ! » Toute cette misère, quand même, au Maroc, toutes ces inégalités, moi, je pense que ça peut exploser à tout moment ! »


portail
Portail d'entrée d'une école primaire à Casablanca - Photo Sylvain Beck

Selon cet enseignant, le rehaussement des murs a été une priorité budgétaire. Il fait un lien entre ces murs et son impression de tension sociale dans la ville. Ecartant les enjeux syndicaux concernant l'édification de ces murs, il  informe d'un renforcement physique de cette frontière dans l'espace urbain. Les écoles françaises ne sont pas toutes dans des quartiers huppés. Même si aucune d'entre elles ne se situe dans les quartiers les plus pauvres, certaines sont entourées d'habitats mixtes, de logements confortables et modestes, voire précaires. La frontière, matérialisée par ces murs, est concrétisée par un droit d'entrée pour les élèves marocains. Un enseignant d'école maternelle raconte en détail la procédure d'admission. Originaire du sud-ouest de la France, après cinq ans passés au Moyen-Orient (Syrie et Jordanie), il enseigne à Casablanca depuis quatre ans. En parlant d'un « barrage », il souligne la spécificité de l'école française à Casablanca pratiquant l'admission des élèves marocains sur test-concours et cela dès la maternelle. Lors d'une discussion avec l'une de ses collègues, venue de Seine-Saint-Denis et arrivée à Casablanca depuis trois ans, ils expliquent « ça choque au début, et le pire, c'est que l'on s'habitue ».

« Une chose qui frappe beaucoup quand on arrive au Maroc, à l'école française, c'est la demande énorme des populations aisées pour inscrire leur enfant à l'école française, et... du coup, pour les Marocains-Marocains, l'obligation de passer par ces fameux tests. Ces tests, dans lesquels on est rapidement impliqués, puisque nous sommes tous réquisitionnés pendant deux jours, pour partir dans une autre école de la ville avec tout un rituel (…) Donc pour des enfants de 3-4 ans, on supprime même la sieste, parce que l'école est payante et qu'il faut être le plus efficace possible pour essayer de donner toutes les armes aux enfants pour passer ce fameux barrage. Donc, il va y avoir entre 6 et 7% des heureux élus qui vont le réussir, parce que le nombre de places est très limité. »

D’autant que le nombre de places se réduit d’année en année, les familles françaises ou franco-marocaines étant de plus en plus nombreuses à s'installer à Casablanca. De l'avis du directeur du Service de coopération et d'action culturelle auprès de l'ambassade de France chargé de gérer les places disponibles dans les écoles de l'agence française de l'enseignement à l'étranger (AEFE), chaque rentrée est ainsi un « véritable casse-tête ».

La limite est également financière. Les coûts annuels dans les établissements scolaires privés sont d'environ 25 000 Dirhams (2 200€) et ils augmentent chaque année. Officiellement, le salaire minimum légal marocain se situe autour 2 250 Dh/mois pour 44 heures par semaine (200€/mois). D'après certains enseignants et parents d'élèves, la plupart des familles ont largement les moyens de financer ces frais de scolarité, néanmoins nombreuses sont celles qui « se saignent » pour supporter les augmentations annuelles.

Une frontière symbolique

Quels mondes séparent ces murs ? Qu'y a-t-il de chaque côté et pourquoi leur environnement serait-il l'enjeu de conflits ?
Les test-concours sont organisés par chaque école ou réseau d'école. L’AEFE et l’Office supérieur universitaire international (OSUI) gèrent leurs réseaux de manière indépendante. Les écoles privées homologuées, francophones ou bilingues, ont leurs propres tests et programmes d'enseignement reconnu par le ministère de l'Education nationale français. Les autres écoles privées ont des modes de recrutement spécifiques.

Les analystes de l'éducation et de l'enseignement au Maroc déplorent les inégalités du système qualifié de bicéphale (Boulahcen, 2002 ; Cheddadi, 2003). Ils distinguent « une école publique qui ne forme ses élèves qu’à apprendre et à répéter et une école privée qui forme aussi à entreprendre, communiquer, travailler » (Chartier, Zahi, Nait, 2012). Les écoles françaises de l'AEFE ont la réputation mondiale d'offrir un enseignement d'excellence qui permet l'accès aux grandes écoles et universités françaises, européennes et nord-américaines. A Casablanca, une hiérarchie structure l'offre scolaire. Selon l'ambassade de France, les établissements sont des vecteurs incontestables de réussite sociale pour les familles des élèves. À Rabat et à Casablanca, les demandes sont en surnombre, alors que dans les autres villes du royaume, là où il n'y a pas d'établissement homologué, elles sont à peu près équilibrées. Le pourcentage d'élèves marocains a baissé de 68 à 64% entre 2010 et 2013 à l'AEFE, mais cette baisse n'est pas significative, car l'augmentation est marquée à l'OSUI et dans les établissements homologués. Ainsi, l'enseignement français au Maroc est qualifié de « levier de coopération ». Bien que sa mission première soit de scolariser les Français à l'étranger, dans des écoles identiques à celles qui existent en France, les écoles françaises forment également des jeunes Marocains  qui poursuivent des études supérieures en France, pour ensuite revenir au pays avec un réseau personnel et professionnel. C’est ainsi qu’au Maroc, de nombreux marchés sont remportés par la France face à la concurrence internationale : « c'est une sorte de mainmise réciproque dans l'échiquier mondial » selon la formule d'un fonctionnaire expatrié. Près de 30 000 étudiants marocains étudient ainsi en France chaque année. C'est pourquoi à l'étranger la politique d'enseignement est pilotée par les diplomates.

Dans ce jeu d'opportunités réciproques, les enseignants français apparaissent comme des intermédiaires. Les établissements français de l'AEFE sont au sommet d'une hiérarchie conférant un pouvoir symbolique. Une enseignante3 en contrat local dans un établissement privé marocain bilingue non homologué explique sa position :

« Concrètement, ma matière n'a pas beaucoup d'importance. Ils mettent ça dans le bulletin scolaire, mais ce n'est pas comptabilisé. Mais à la réunion parents-profs, il faut que je sois là pour rencontrer les parents, que je leur explique le programme. Je donne ainsi une caution à l'établissement. Alors je joue le jeu. Je suis tout à fait lucide par rapport à ça. Moi, ça m'arrange... Mais ça me permet de me rendre compte que c'est quand même beaucoup d'hypocrisie, beaucoup tourné vers l'argent et l'apparence...»

Dans l'ensemble, les écoles françaises et bilingues bénéficient d'un statut prestigieux par lequel leurs bénéficiaires se distinguent. Casablanca est marquée par des inégalités de richesse visibles dans le paysage urbain. En forte croissance démographique, la ville représente une concentration d'activités secondaires et tertiaires qui attire des populations rurales (Labari, 2006). De l'intérieur du Maroc, Casablanca est perçue comme une ville consacrée aux activités commerciales et comme une étape pouvant mener vers un Occident idéalisé. Le manque de qualité de vie se confond avec la ténacité de ses habitants pour obtenir une situation honorable.

Une frontière conflictuelle

De nombreux conflits survenus aux alentours du lycée français sont rapportés par les acteurs. Les inégalités sociales et le manque d'éducation sont généralement mis en cause. Certains relatent comment cette frontière est vécue. Une enseignante franco-marocaine de 32 ans, ancienne élève du lycée français, dit son impression d'avoir redécouvert Casablanca après une dizaine d’années passées en France. Revenue au Maroc depuis cinq ans pour travailler dans l'industrie pharmaceutique, elle exerce depuis un an comme enseignante à l'institut français où les élèves sont originaires de milieux modestes. Elle explique la différence entre l'intérieur du lycée français et le reste de la ville, séparant « les bourgeois », coupés de la ville, dont les efforts sont tournés vers la France et « le peuple », traditionnel et rustre.

« Le lycée Lyautey, c'est un peu une usine à compétition, donc on t'envoie soit à HEC, soit médecine, soit pharmacie. Moi, j'ai fait « pharma », je ne savais pas trop pourquoi... (…) Lyautey est un monde très fermé, très clos, très franco-français. Et je me suis retrouvée projetée dans un monde où toutes les filles sont voilées. Si je bois un café, comme ça avec un garçon, qui n'est pas mon mari, qui n'est pas mon copain, je me fais traiter de tous les noms. (...) Les élèves sont violents les uns envers les autres ! Tu vois, ils se frappent, ils se parlent mal. Comme je comprends l'arabe, il y a des mots en arabe qui fusent, c'est très violent ! C'est un environnement qui est très brutal, qui est très dur ! Je parle de la catégorie, enfin de la population du peuple marocain, je ne parle pas des 1%-2% de Marocains aisés, bourgeois, qui sont à Lyautey (…) »

Cette séparation engendre des peurs et des frustrations qui cristallisent les représentations et se manifestent par des conflits parfois violents. Ces actes alimentent un imaginaire de méfiance, qui justifie la nécessité de matérialiser la frontière. Cette enseignante raconte des faits survenus autour du lycée, quand elle-même était élève, qu'elle associe à une crainte généralisée encore actuelle dans la ville. Les causes exactes de ce type de violence sont impossibles à élucider. Cependant, elle raconte comment ses parents avaient défini des limites tout d'abord en habitant loin du lycée, payant un chauffeur pour la conduire, puis les risques d’agressions lorsque ces barrières ont été enlevées. Le rapprochement avec son 4x4 actuel montre que l'école française est un signe de richesse ostentatoire parmi d'autres. Finalement, travailler hors des milieux francophones lui a permis de s'ouvrir davantage.

«  - Est-ce ce que, avant, tu avais eu l'occasion de fréquenter ces populations-là ? 
-  Non ! Non, je n'ai jamais eu l'occasion. J'allais à l'école avec un chauffeur. Je sortais de la voiture, je rentrais au lycée, il venait me chercher, je rentrais dans la voiture et je rentrais à la maison. C'est tout ! (…) Pendant quelques années, mes parents n'habitaient pas loin. Donc j'allais au lycée à pied, je revenais à pied, et... oui, c'était atroce ! Chaque trajet était une épreuve ! Je me suis faite agressée plusieurs fois. On m'a craché dessus, on m'a mis un couteau sous la gorge ! 
-  En pleine journée ? 
-  Oui ! C'est... Donc, vraiment, non, j'ai été confrontée, petite, au fait que lorsque tu étais une fille dehors, il fallait faire hyper attention à toi (…) C'est toujours « fais attention, fais attention, fais attention ». Maintenant, si j'ai un gros 4x4 comme voiture, on me dit « monte les vitres, ferme à clés » J'ai une batte de Base-Ball derrière. Mais voilà ! Ma confrontation avec le peuple, c'est ça. C'est... tu es une nana, et en plus tu es issue d'un milieu plus aisé qu'eux. 
- Et du coup, maintenant, ton regard change un peu en étant enseignante de français ?
- Oui, ça change un peu. Je me sens davantage en confiance. Et puis, je pense que finalement moi aussi, je suis un peu moins fermée. Je me suis ouverte au peuple, quelque part. Et j'arrive à mieux comprendre et accepter, moi ce que j'appelle cette fermeture d'esprit, ce jugement, etc. donc oui, ça m'a fait énormément évoluer ».

Une autre enseignante, au lycée français depuis huit ans, explique les conflits entre les élèves du lycée français et ceux d'un établissement voisin. Cet extrait montre les représentations véhiculées de chaque côté de la frontière. Parallèlement, il les relativise en insistant sur l'existence de cas particuliers.

« Il faut faire ces paroles-là pour enlever tous les clichés aussi qui sont véhiculés sur les lycées marocains où t'as que des pauvres, et puis les lycées français où t'as que des fils à papa. (…) Il y a un slam d'une gamine en Bac Pro. Elle dit qu'il « y en a marre de dire que tous les gamins des lycées marocains sont des clochards et que toutes les filles des lycées français sont des prostituées, qui sont pourries gâtées... » (…) En face, il y a le lycée marocain. Quand nos gamins sortent, ils sont tout le temps en train de s'envoyer des injures et de se faire brancher... Et je pense que ça les fait souffrir. Je pense que les gamins d'ici sont moins arrogants que ce qu'ils paraissent. En tout cas dans ceux qui font du slam, il y en a qui sont laissés-pour-compte, qui ont des résultats lamentables et qui ne sont pas des fils à papa. Ce ne sont pas des gamins arrogants... il y a aussi beaucoup de gamins en souffrance, notamment beaucoup de gamins aussi, issus de l'immigration, qui sont venus au Maroc à partir de 2006 après les lois Sarko ».

L'imaginaire construit autant par les faits que par les représentations a pour conséquence un renforcement de la frontière. Par exemple, un enseignant, au lycée français depuis dix ans, s'est engagé dans la mise en place d'un service de sécurité supplémentaire. Il raconte :

« L'association de parents d'élèves, m'a demandé de m'occuper de la sécurité aux abords du lycée Lyautey. J'étais content. J'étais membre fondateur pour le mettre en place. C'est vrai qu'en voyant certains de nos élèves, quand ils sortent du lycée courir jusqu'à leur voiture qui n'était pas loin, de peur de se faire attraper, de peur de se faire agresser. Il y a eu une période où il y avait beaucoup d'agressions. Ce n'est pas mon rôle, mais j'ai donné un coup de main pour la sécurité : la mise en place des statuts, le fonctionnement, l'appel d'offre, etc... on était plusieurs à mettre ça en place ».

Cette frontière renvoie à la période coloniale et à la barrière  linguistique. Elle n'est pas exclusive des écoles françaises puisque les écoles privées marocaines francophones ou bilingues sont prospères à Casablanca. Toutes bénéficient de la valeur prestigieuse de la francophonie et d'une libéralisation du système d'enseignement privé conjointement à une mauvaise réputation – pas toujours justifiée - de l'enseignement public. Cette frontière par la francophonie met en évidence un jeu d'opportunités entre les institutions françaises et les élites du royaume. C'est un outil, parmi d'autres, de « ségrégation sociale qui maintient la population dans la misère et l'ignorance » (Benhaddou, 2010). La frontière se situe ainsi au sein même de l'organisation sociale de la ville de Casablanca et plus largement, de l'ensemble du royaume chérifien. Elle maintient une sélection sociale pacifique sous forme de distinction. Cette frontière déplacée régule-t-elle ainsi pacifiquement les flux de personnes par une première sélection sociale ? Implicitement et de manière ostentatoire ne laisse-t-elle pas soupçonner des relations franco-marocaines velléitaires en matière de justice sociale et d'égalité des chances, pourtant indispensables à la démocratie, dans le but de renforcer une frontière officielle à sens unique ?

 

*Sylvain Beck, doctorant au laboratoire Groupe d'Etude des Méthodes de l'Analyse Sociologique de la Sorbonne (GEMASS, Paris 4).



Bibliographie

Benhaddou Ali, Les élites du royaume. Enquête sur l'organisation du pouvoir au Maroc, Paris, Riveneuve, 2009, 210 p.
Boulahcen Ali, Sociologie de l'éducation. Les systèmes éducatifs en France et au Maroc. Etude comparative, Casablanca, Afrique-Orient, 2002, 237 p.
Chartier Marie, Zahi Khadija, Nait Belaid Youssef (2012) « Privatisation de l'offre scolaire au Maroc. Amplification des inégalités en matière d'éducation », Blog Farzyat/Inégalités, 2012 Cheddadi Abdessalem, Éducation et culture au Maroc : le difficile passage à la modernité, Casablanca, Le Fennec, 2003, 198 p.
Fassin Didier, « Introduction. Les frontières extérieures, frontières intérieures » dans Fassin Didier Les nouvelles frontières de la société française, Paris La Découverte, 2010, pp. 5-23 Labari Brahim, « La partance féminine vers l'Occident marocain. L'attractivité ambivalente d'une ville-monde : le cas de Casablanca », Migrations Société, vol. 18, n° 103, janvier-février 2006, pp. 75-97
Laroui Abdallah, Les origines sociales et culturelles du nationalisme marocain (1803-1912), Paris, François Maspéro, 481 p.
Park Robert Ezra, « The Concept of Social Distance. As applied to the Study of Racial Attitudes and Race Relations » Race and Culture, London, Free Press, 1950, pp. 256-260
Vermeren, Pierre, La formation des élites marocaines et tunisiennes, Paris, La Découverte, 2002, 512 p.
Wihtol de Wenden Catherine, « The frontiers of mobility », in Pécoud Antoine, Guchteneire Paul de (éd.), Migration without Borders. Essays on the Free Movement of People, Oxford, Berghahn Books, 2007, pp. 51-65

  • 1. Enquête de trois mois réalisée auprès de dix enseignants à Rabat en 2010 dans la cadre de ma thèse de doctorat
  • 2. Enquête de six mois réalisée à Casablanca en 2012. Plus approfondie que la précédente avec trente-cinq entretiens auprès d'enseignants venus de France, le point de vue de directeurs d'écoles, de parents d'élèves, d'élèves et anciens élèves français et marocains dans des écoles françaises et marocaines.
  • 3. La discipline enseignée n’est pas dévoilée pour garantir l’anonymat de la personne interviewée.
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