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13.06.2025

UNOC 2025 : repenser le rôle et la place des Outre-mer

La troisième Conférence des Nations unies sur l’océan est l’occasion de mettre en lumière les enjeux de l’outre-mer en lien avec les changements globaux en cours. Pour cela, il est utile de commencer par remettre en question la notion même d’« outre-mer ». Dans ce contexte, une nouvelle vision portée par les peuples océaniques appelle à considérer les terres émergées et les mers qui les entourent comme un tout.

Le président de la Polynésie française Moetai Brotherson, invité par la Chaire Outre-mer & Changements globaux à Sciences Po le 12 juin 2025. (crédits : Clara Dufour / Sciences Po)

Un article de Camille Mazé-Lambrechts, directrice de recherche CNRS au CEVIPOF et titulaire de la Chaire Outre-mer & Changements globaux, Florent Parmentier, enseignant et secrétaire général du CEVIPOF, ainsi que de Jordan Hairabedian, Mathieu Rateau et Loup Lamazou, tous trois assistants de recherche pour la Chaire Outre-mer & Changements globaux. Cette analyse a été initialement publiée par notre partenaire The Conversation.


La troisième Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc 3), qui se déroule cette année à Nice, a été ouverte par des déclarations fortes de la part des peuples de l’océan. Des leaders des territoires ultramarins français et des représentants des peuples autochtones comme des petits États insulaires du Pacifique se mobilisent. L’occasion de questionner leur rôle politique actuel dans la vision et la régulation de l’océan.

En matière de protection des océans, l’un des objectifs internationaux est de protéger 30 % des écosystèmes marins dans le monde (notamment via des aires marines protégées, ou AMP) à l’horizon 2030. Officiellement, la France affiche un taux de protection de 33 %, mais dans les faits, les AMP françaises ne bénéficient pas d’un niveau de protection suffisamment fort. Selon l’association de protection des océans Bloom, moins de 1 % des eaux marines hexagonales le seraient réellement, notamment du fait des autorisations de chalutage de fond dans celles-ci.

Les scientifiques et peuples autochtones réunis à l’Unoc font ainsi porter leurs voix pour réguler et limiter la pêche industrielle et l’exploitation minière des fonds marins, avec des pratiques moins invasives et en garantissant l’accès aux ressources pour les populations locales.

Là où les premiers mobilisent la science, les autres rappellent la primauté du lien à l’océan. Celui-ci peut aussi relever des domaines de la spiritualité, de la famille, du clan voire de l’intime. C’est pour accompagner les territoires ultramarins dans la transformation vers la soutenabilité que s’est construite la nouvelle chaire Outre-mer et changements globaux (Chaire OMEGA) à Sciences Po. Son objectif : identifier les leviers et les blocages à cette transformation, en analysant les discours et les pratiques, les mobilisations collectives, les résistances et les opérations politiques en lien avec les données scientifiques. Des enjeux clés dans le contexte de la conférence onusienne.

La vision holistique des peuples ultramarins

Porté par le Sénat coutumier et les huit aires coutumières de Nouvelle-Calédonie, le groupe de travail Vision kanak de l’Océan a ainsi publié, à l’occasion du sommet, un document développant sa conception holistique de l’océan.

Elle ne sépare pas l’humain du milieu océanique et des espèces qui y vivent, à l’image de la vision polynésienne et plus largement océanienne. La mer, associée au commencement de la vie et à la mort, y est vue comme lieu d’accueil des âmes des défunts, et comme trait d’union entre les humains et les non-humains. Cette vision est à l’origine de pratiques plus régénératives et respectueuses de l’océan et de ses habitants.

L’exploitation pour la survivance alimentaire d’espèces marines, vues comme des gardiennes de l’histoire, de la culture et de la mémoire, est dès lors soumise à des règles strictes, car relevant du sacré. Dans cette vision, les captures non nécessaires entravent la capacité de régénération des milieux et constituent non seulement un désastre écologique, mais également un effondrement culturel.

À l’heure des changements globaux, les bouleversements écologiques qui dérèglent les écosystèmes marins ne sont donc pas seulement des faits biologiques mais aussi des faits socioculturels et politiques. Ainsi, certains groupes sociaux adaptent leur mode de prélèvement dans les milieux et réintègrent une vision des espèces et des écosystèmes mis à mal par la colonisation occidentale. Par exemple, en gelant l’accès de manière temporaire et spécialisée et s’opposant à l’exploitation des fonds marins de manière concertée.

Pour les peuples des océans, l’Unoc a également été l’occasion de rappeler leur opposition au deep sea mining (exploitation minière en haute mer). La prise de position des présidents de la Polynésie française et de la République des Palaos, publiée en juin 2025 dans la revue Nature, a été particulièrement remarquée. Signe que les gouvernants de ces populations se réapproprient le sujet, marquant la distance avec la Fondation Pew Charitable Trust, impliquée de longue date dans les discussions concernant le Pacifique, laissant craindre une appropriation des territoires, des modes de gestion et des ressources marines.

Remettre en question la notion d’« outre-mer »

Dans le même temps, un nouveau paradigme, notamment développé par les anthropologues Alexander Mawyer et Tamatoa Bambridge, tend à considérer le Pacifique comme un véritable « continent bleu ». Dans celui-ci, il n’y a pas de dissociation entre les terres et les mers, qui forment un tout indissociable, un espace de souveraineté partagé et interconnecté. Les frontières contemporaines, héritées de la colonisation, s’en trouvent questionnées.

Ainsi Moetai Brotherson, président de la Polynésie française, a déclaré lors du sommet :

« Nous, les [États insulaires du Pacifique], ne sommes pas des petites nations, nous sommes des grands pays océaniques. »

Ce paradigme prend à rebours la vision occidentale du Pacifique, souvent perçu comme un espace vide, composé d’une multitude d’îles isolées, de faibles superficies et riches en ressources. De ce fait, elles font facilement l’objet de convoitises extérieures hors de contrôle des communautés des États insulaires.

Cette approche de l’espace océanien entre en tension avec la géopolitique actuelle, dans laquelle des puissances telles que les États-Unis, la Chine ou encore la France, projettent sur le Pacifique des logiques de contrôle, d’exploitation et de rivalité, en limite des zones économiques exclusives (ZEE) et des eaux territoriales dont dépendent les habitants des archipels qui y vivent.

Face à ces stratégies d’affirmation de souveraineté maritime, qu’elles soient motivées par des enjeux géopolitiques ou économiques, les États du Pacifique s’organisent pour affirmer d’autres formes de légitimité avec, par exemple, le Forum des îles du Pacifique.

Cela passe aussi par une remise en cause des catégories habituellement utilisées pour les désigner, à commencer par le mot d’« outre-mer ». Ce terme marque une distance, une périphérie en rapport à un centre (« métropole »). Or, sur place, ce n’est pas comme cela que les populations se voient, mais comme des pays à part entière, dotés d’histoires, de langues, de priorités et d’orientations propres. Parler d’« outre-mer », c’est imposer un point de vue extérieur sur des mondes qui se pensent eux-mêmes. Dans le cadre du mouvement du « continent bleu », cette terminologie devient d’autant plus inopérante que la mer, loin de séparer, relie.

Cette terminologie doit ainsi être questionnée. Un exercice de pensée critique sur la décolonisation du lexique et de l’évolution institutionnelle, adaptée à chaque territoire, est nécessaire. Ces réflexions, très attendues des dits « ultramarins » eux-mêmes, sont l’un des objectifs de la Chaire OMEGA.

Se donner les moyens de garantir les régimes de protection déclarés

Il existe des liens intrinsèques entre protection de la biodiversité marine, politiques publiques et géostratégie, comme l’ont rappelé le commandant Guillaume Garnoix (capitaine de vaisseau et responsable du centre des opérations de la Marine nationale) et le biologiste Gilles Bœuf à l’occasion de la table ronde organisée pour le lancement de la chaire.

Préserver l’océan et en faire un « commun » en renforçant la gouvernance internationale et la protection dans les zones économiques exclusives comme en haute mer doit s’accompagner de moyens. En particulier, ceux des armées et des marines nationales. En effet, ce sont elles qui sont en charge de la surveillance, du contrôle, de la dissuasion, de l’action humanitaire et de la défense.

Au-delà des déclarations chiffrées quant à la création d’aires marines protégées en outre-mer et des signatures de traités, il faut se donner les moyens de pouvoir garantir les régimes de protection déclarés.

En France, c’est le rôle de la Marine nationale de surveiller et de protéger le domaine maritime, comme de lutter contre les trafics et les activités illicites (par exemple la pêche illégale, non déclarée et non réglementée, ou INN). Il revient aussi à la Marine d’avoir une action humanitaire, en restaurant l’ordre et la sécurité afin de permettre aux acteurs du secteur d’effectuer des actions humanitaires et d’aide au développement.

Mais les mers demeurent des zones de tension et de rivalités, qui se multiplient et s’amplifient. La perspective d’un retour des affrontements navals refait surface, alimentée par les stratégies de contrôle des espaces insulaires et l’exploitation des ressources marines, de la colonne d’eau jusqu’aux fonds océaniques, dont dépend pourtant le vivant.

Ainsi, les acteurs de la protection de l’environnement, les scientifiques, les détenteurs de savoirs locaux, les militaires et les acteurs de la gestion des risques et des crises, ont tout intérêt à davantage collaborer. Cela ne pourra que renforcer l’efficacité de leurs prises de position et de leurs actions, au bénéfice de l’environnement, des espèces vivantes non humaines et des sociétés humaines qui en dépendent.

C’est la raison d’être de la Chaire Outre-mer et changements globaux, qui déploie ses activités dans les territoires ultramarins en étroite interaction avec les acteurs sur place. Elle invite à repenser l’océan et l’interface terre-mer non plus comme une frontière, mais comme un espace de souverainetés partagées. En se fondant sur une forte et nécessaire mobilisation des « humanités bleues », elle souhaite contribuer à maintenir les conditions d’habitabilité de la Terre dans un contexte de dépassement des limites planétaires.

The Conversation

Légende de l'image de couverture : Le secrétaire général des Nations Unies António Guterres rencontre le président Emmanuel Macron à l'UNOC3, Nice, France, 9 juin 2025. (crédits : UN Photo/Evan Schneider)