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27.04.2016
Qui sont les champions du nucléaire civil en 2016 ?
Trente ans après l’accident de Tchernobyl, cinq ans après le tsunami et l’accident nucléaire de Fukushima, le débat sur le recours au nucléaire civil reste vif. Si les opinions publiques allemande, italienne et suisse ont poussé leur gouvernement à fermer les centrales présentes sur leur territoire, il n’en est pas de même dans la plupart des autres pays producteurs.
Le nucléaire représentant autour de 5 % de la production d’énergie primaire dans le monde, cette décision de le développer est l’apanage de quelques États. Qui sont-ils ? Quels sont les enjeux d’une relance du nucléaire ?
Ralentissement post-Tchernobyl
Les motivations de ces gouvernements à développer le nucléaire civil sont multiples. Il y a, tout d’abord, la faible part du combustible (10 à 20 % du coût d’exploitation, contre 75 % pour le charbon) dans le coût de production de l’électricité nucléaire, ce qui limite la vulnérabilité aux fluctuations des marchés et les difficultés d’approvisionnement.
Le combustible utilisé dans les centrales, l’uranium, constitue ensuite une ressource moins exposée aux tensions géopolitiques que d’autres énergies, comme le pétrole ou le gaz ; ce d’autant plus que des avancées technologiques pourraient permettre d’alléger encore cette dépendance à une ressource présente en quantité limitée sur Terre.
Cela explique en partie le développement du nucléaire depuis les années 1970. L’accident de Tchernobyl n’a pas entraîné de sortie mondiale du nucléaire : si le rythme de construction des centrales a été ralenti entre 1980 et 2000, cela s’explique aussi par d’autres dynamiques, comme l’effondrement de l’Union soviétique ou la fin du programme électronucléaire français ; aux États-Unis, c’est avant tout l’accident de Three Miles Island (1979) qui a entraîné la suspension de projets sur le sol américain.
Les pays producteurs ne se sont donc pas passés de cette source d’électricité, la consommation mondiale de celle-ci ayant même augmenté jusqu’en 2006. Quant à l’« effet Fukushima », il semble aujourd’hui limité : la consommation a beau avoir chuté entre 2010 et 2012, elle reprend et se stabilise en 2014 au niveau atteint au début des années 2000.
Les acteurs de la relance
Les trois quarts de l’électricité d’origine nucléaire consommée dans le monde le sont dans six pays : les États-Unis, la France, la Russie, la Corée du Sud, la Chine, le Canada et l’Allemagne ; et cinq pays concentrent les trois quarts des capacités de production en construction en 2016 : la Chine, la Russie, les États-Unis, les Émirats arabes unis, la Corée du Sud et l’Inde.
Quatre d’entre eux – la Chine, la Russie, les États-Unis et la France – illustrent les différents moteurs du développement récent du nucléaire civil.
• La Chine
Avec 22 réacteurs en construction (22,1 gigawatts, l’équivalent de 35 % du parc nucléaire français actuel), la Chine est de loin le principal pays où le nucléaire est en plein essor. Celui-ci est un des supports du développement économique. Rappelons que la consommation d’électricité en Chine a été multipliée par plus de cinq entre 2000 et 2014 !
Pour satisfaire cette demande, Pékin développe à un rythme effréné toutes les sources d’énergie. Le nucléaire participe ainsi de la politique chinoise de sécurisation de l’approvisionnement énergétique, et il permet de fermer progressivement des centrales à charbon – un millier d’ici à fin 2016 – dont les pollutions locales sont de moins en moins tolérées.
La construction des centrales est en outre facilitée par un accès aisé à des sources de financement bon marché, le transfert de technologies grâce à des partenariats industriels internationaux, et enfin, par l’absence de mouvement d’opinion de grande ampleur. Enfin, le nucléaire est mobilisé par la Chine pour gager de ses bonnes intentions en matière de lutte contre le changement climatique. L’absence d’émissions de gaz à effet de serre lors de l’exploitation des centrales nucléaires constitue un argument de poids, à l’heure où 77 % de l’électricité chinoise est produite à partir de sources contribuant au réchauffement climatique.
• La Russie
Le pays se classe deuxième pour la construction de nouveaux réacteurs (6,5 gigawatts), derrière la Chine, et troisième producteur mondial d’électricité nucléaire. Le nucléaire est l’une des priorités de la politique industrielle russe, et l’une des seules technologies à haute valeur ajoutée exportée par ce pays.
Héritage de l’ère soviétique et du dynamisme scientifique de l’époque, la filière cristallise les ambitions de la Russie, tant pour satisfaire des besoins importants du fait d’un climat rigoureux et d’une faible efficacité énergétique, que pour renforcer son influence sur la scène internationale.
Dans sa dernière stratégie de politique énergétique, elle affiche la volonté de faire progresser la part du nucléaire dans la production d’électricité, de 17 % actuellement à 30 % en 2030, et veut conforter sa position de premier exportateur de technologies nucléaires. La crise économique que traverse le pays depuis 2014 freine néanmoins la poursuite de ces objectifs.
• Les États-Unis
Il s’agit du principal producteur d’électricité nucléaire, et du troisième État en matière de développement des capacités de production (5 gigawatts en construction en 2016). Cette situation résulte de la décision de maintenir une filière favorisant l’indépendance énergétique du pays, d’autant plus du fait d’une demande très élevée : les États-Unis sont le deuxième consommateur mondial d’électricité derrière la Chine.
Les trois quarts des réacteurs américains ayant déjà fait l’objet d’une prolongation de leur durée de vie au-delà des quarante ans prévus initialement, c’est avant tout pour les remplacer que les capacités de production sont renforcées. La décision de relancer les investissements a été prise par le président Bush en 2005, afin de retrouver un savoir-faire en déclin et de faire face aux prix élevés des hydrocarbures.
Si la filière a été fragilisée après Fukushima et avec l’essor des hydrocarbures non conventionnels comme les gaz de schiste, elle a été confortée par les dernières orientations de la politique énergétique américaine. Celle-ci en fait un outil de relance industrielle et vise à réintégrer les États-Unis dans la lutte contre le réchauffement climatique.
• La France
C’est l’un des acteurs majeurs du nucléaire – 76 % de l’électricité produite en France provient de cette source d’énergie – qui, même s’il ne figure pas au premier rang en termes d’unités en construction, participe de la relance à travers l’activité de plusieurs de ses grandes entreprises (Areva en Chine et en Finlande, éventuellement EDF au Royaume-Uni).
Les gouvernements successifs n’ont pas explicitement tranché sur l’avenir de la filière en France, mais son poids économique, avec 125 000 emplois directs, laisse à penser que les investissements devraient se poursuivre au début de la prochaine décennie, au moins pour remplacer les réacteurs ayant atteint leur durée maximale d’exploitation.
Les reports répétés des arbitrages de l’État en la matière témoignent de la situation délicate d’un gouvernement contraint par des promesses politiques difficiles à tenir à l’épreuve du pouvoir. Le nucléaire est un des fondements de la doctrine d’indépendance stratégique de la France et aussi un des rares leviers de politique économique dont l’État dispose encore.
• Et aussi…
Pour terminer, mentionnons ces « champions du nucléaire » qui s’ignorent : si la France consomme une grande partie de l’électricité nucléaire qu’elle produit, elle en est aussi le premier exportateur européen… notamment vers l’Allemagne, l’Italie ou la Suisse.
L’impact des accidents de Tchernobyl et de Fukushima est donc à nuancer lorsque l’on considère le développement d’une filière bénéficiant d’avantages économiques et d’arguments de lutte contre le réchauffement climatique. En revanche, les conséquences de ces évènements sont claires dans le domaine de la sûreté, avec la diffusion de « retours d’expérience », le relèvement des exigences… et des coûts de la filière.
par Marie Dégremont, Chercheur en sciences politiques au Centre de sociologie des organisations (CSO) de Sciences Po.
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.