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21.05.2018

Qui est satisfait d’Emmanuel Macron ?

Par Luc Rouban (Cevipof). L’élection présidentielle de 2017 a provoqué un choc important dans le paysage politique français, du moins sur l’organisation de l’offre partisane et sur le positionnement stratégique du PS comme des Républicains ou même du FN. Son impact auprès des électeurs est plus difficile à évaluer car plusieurs registres se superposent et brouillent la perception que l’on peut avoir des changements en cours.

À bien des égards, le renouveau promis en 2017 s’est traduit par l’exacerbation de tout ce que l’on reprochait au système de la Ve République. Les réformes du code du travail ou de la SNCF sont conduites sans véritable négociation avec les syndicats, ce qui tourne le dos à une social-démocratie bien comprise et pourtant tant attendue. Les mesures libérales se succèdent et viennent démentir les propositions de campagne visant à instaurer en France une « flexisécurité » à la scandinave. La réforme constitutionnelle, loin de répondre aux aspirations vers une modernité faite d’horizontalité et de participation, cherche à réduire le pouvoir législatif et à concentrer encore plus la puissance verticale de l’exécutif.

La vague 18 de l’enquête électorale française du Cevipof, menée du 25 avril au 2 mai 2018, montre du reste que 55 % des 13 540 enquêtés considèrent qu’Emmannuel Macron et son gouvernement sont trop autoritaires et que 76 % d’entre eux estiment que leur politique économique ne profite qu’aux plus aisés. Qui, alors, est vraiment satisfait d’Emmanuel Macron et ce soutien est-il solide ?

Le Président des cadres

On a construit un indice de satisfaction à l’égard d’Emmanuel Macron reposant sur les réponses positives à trois questions :

  • Êtes-vous, d’une manière générale, satisfait de l’action du président de la République ?

  • Un an après son élection, diriez-vous que le bilan d’Emmanuel Macron est positif ?

  • Diriez-vous que la politique menée depuis un an par Emmanuel Macron a amélioré la situation du pays ?

Ces trois variables sont fortement liées sur le plan statistique et constituent bien une échelle mesurant une même dimension (alpha de Cronbach = 0,689). On obtient donc un indice allant de 0 à 3. La première observation tient à ce que la moitié des enquêtés se situent au degré 0 de satisfaction, que 68 % ne dépassent pas le niveau 1 et que 18 % se situent au niveau 3 de l’indice. Pour simplifier la présentation de l’analyse, on peut dichotomiser cet indice entre ceux qui sont insatisfaits (niveaux 0 et 1) – qui représentent 68 % des enquêtés – et ceux qui sont satisfaits (niveaux 2 et 3) – qui en constituent 32 %.

Graphique 1 : La position sur l’indice de satisfaction à l’égard de l’action d’Emmanuel Macron (%). Luc Rouban, Enquête électorale française, vague 18, Cevipof.

Quelles sont les caractéristiques sociales des uns et des autres ? On remarque tout d’abord que l’âge ne joue pas, sauf un peu dans la tranche des 65 ans et plus, dans laquelle on trouve 37 % de satisfaits. On retrouve ici la distinction entre actifs (32 % de satisfaits) et retraités (36 %).

En revanche, le niveau de diplôme a déjà bien plus d’effet statistique puisque l’on passe de 28 % de satisfaits pour les enquêtés de niveau BEPC ou CAP à 48 % pour ceux qui sont diplômés d’une grande école. Cette variabilité sociale se confirme avec l’étude des catégories socioprofessionnelles réunies, selon les caractéristiques que l’on a retenues pour nos différents travaux, en trois grandes « classes ». Le niveau de satisfaction passe ainsi de 28,4 % dans les classes populaires à 32,6 % dans les classes moyennes puis à 43,6 % dans les catégories supérieures.

Ces résultats sont confirmés par la répartition du niveau de satisfaction selon l’importance du patrimoine. Celui-ci a fait l’objet d’un indice, constitué de sept variables indiquant la possession de divers biens mobiliers ou immobiliers, que l’on a organisé en quartiles (les données sont divisées en quatre parts égales). Le niveau de satisfaction passe alors de 25 % dans le premier quartile à 44 % dans le dernier.

L’analyse détaillée par profession (voir le graphique 2 ci-dessous) montre que la proportion d’enquêtés satisfaits de l’action du président de la République passe de son point le plus bas de 20 % chez les chômeurs et les ouvriers spécialisés à son point le plus haut de 47 % chez les cadres du privé qui distancent d’ailleurs assez fortement les membres des professions libérales et les patrons d’entreprises de plus de 10 salariés (39 %) ou les artisans-commerçants (37 %).

Graphique 2 : La proportion de satisfaits à l’égard de l’action d’Emmanuel Macron par profession (%). Luc Rouban, Enquête électorale française, vague 18, Cevipof.

À niveau de qualification à peu près égal, on remarque des niveaux de satisfaction plus élevés dans le secteur privé que dans le secteur public. Les niveaux maximum de satisfaction sont atteints dans la fonction publique chez les cadres A de la fonction publique territoriale (36 %) et de l’État (34 %), bien avant ceux de l’hospitalière (29 %) qui est particulièrement sinistrée puisque c’est en son sein que l’on trouve également le niveau le plus bas de satisfaction : 22 % dans la catégorie C contre 26 % chez les agents de catégorie C de la territoriale.

L’analyse par secteurs ne montre pas beaucoup d’écarts à la moyenne et se cale sur le niveau de diplôme ou de qualification des enquêtés. C’est ainsi que la proportion de satisfaits est de 30 % en moyenne chez les policiers et militaires (N = 285) alors qu’elle est de 31,5 % dans l’ensemble du monde enseignant (N = 856), mais avec une progression liée à la situation professionnelle : 28 % chez les professeurs des écoles, 33 % chez les enseignants du second degré, et 39 % chez les enseignants du supérieur.

Le clivage social est donc très clair et se revêt parfois d’un cynisme assez révélateur. C’est ainsi que 43 % seulement des satisfaits pensent que la politique économique du gouvernement profite à tous les Français alors que 47 % d’entre eux estiment qu’elle profite avant tout aux catégories aisées. Du côté des insatisfaits, en revanche, la première affirmation ne recueille que 3 % de leurs évaluations alors que la seconde en recueille 90 %.

Le macronisme reste politique

Alors, assiste-t-on au renouveau de la lutte des classes ? La tentation est grande en effet de conclure à une lutte des riches contre les pauvres, ce qui n’est pas faux mais reste fortement réducteur. En fait, le niveau de soutien et de satisfaction à l’égard de la politique d’Emmanuel Macron n’évolue pas de manière mécanique en fonction des seules variables socioprofessionnelles ou socioéconomiques. Il reste fondamentalement politique et dépend avant tout du niveau de libéralisme économique des enquêtés.

C’est ce que confirme clairement une analyse de régression, qui permet de mesurer le poids explicatif relatif de chaque variable indépendante sur la variable dépendante (la satisfaction à l’égard d’E. Macron). Le niveau de libéralisme économique apprécié par un indice – il faut réduire le nombre des fonctionnaires, faire confiance aux entreprises, ne pas prendre aux riches pour donner aux pauvres dans un but de justice sociale – a le pouvoir discriminant le plus fort sur le niveau de satisfaction. Il arrive avant le niveau de satisfaction existentielle – avoir le sentiment d’avoir réussi dans la vie, d’avoir une situation meilleure que celle de ses parents, être satisfait de ses perspectives d’avenir – et le niveau de libéralisme culturel – ne pas rétablir la peine de mort, il n’y a pas trop d’immigrés, l’homosexualité est une manière acceptable de vivre sa sexualité.

Mais il surpasse de très loin les variables objectives « lourdes » que sont le niveau de diplôme, le niveau de patrimoine et la tranche d’âge. On peut donc observer que la proportion de satisfaits passe de 17 % au niveau 0 de l’indice de libéralisme économique à 53 % à son niveau maximum de 3.

Le soutien à Emmanuel Macron reste fragile

D’un point de vue politique, le soutien à Emmanuel Macron reste fragile. Les satisfaits ont voté pour lui au premier tour de l’élection présidentielle de 2017 à hauteur de 47 % mais aussi à 27 % pour François Fillon, 10 % pour Marine Le Pen et même 7 % pour Jean‑Luc Mélenchon. Et 13 % d’entre eux ont tout de même voté pour Marine Le Pen au second tour.

Si l’on part d’une autre lecture qui s’appuie sur le niveau de libéralisme économique, on voit que les « vrais libéraux » qui se situent sur le niveau 3 de l’indice n’ont voté pour Emmanuel Macron qu’à hauteur de 18 % alors que 63 % d’entre eux lui préféraient François Fillon et 14 % Marine Le Pen. Au second tour, ils étaient 36 % à voter pour Marine Le Pen, car le niveau de libéralisme économique ne préjuge pas celui du libéralisme culturel. C’est ainsi que les vrais libéraux économiques sont anti-libéraux sur le plan culturel à hauteur de 65 %. Et les électeurs ne sont pas que des acteurs économiques.

Graphique 3 – Le positionnement des enquêtés et d’Emmanuel Macron par ces derniers sur l’échelle gauche-droite (0 à gauche, 10 à droite). Luc Rouban, Enquête électorale française, vague 18, Cevipof.

Emmanuel Macron a donc rallié des électeurs qui ont été séduits par un libéralisme économique qu’il n’avait pas affiché avec autant de clarté lors de la campagne électorale. Mais il s’agit d’un soutien conjoncturel qui dépend désormais de deux facteurs. Le premier tient au recentrage éventuel de la politique économique et sociale afin d’augmenter la protection des salariés, ce qui fera fuir les libéraux. À ce titre, la réforme des retraites va s’avérer très problématique. Le second tient à ce que le macronisme est d’essence libérale sur le terrain culturel, s’adresse aux diplômés et prône la diversité alors que la proportion de libéraux culturels en France n’est que de 40 % aujourd’hui.

The ConversationMême si Emmanuel Macron s’est « droitisé » dans la perception qu’en ont les enquêtés, puisqu’il est désormais classé à droite par 51 % d’entre eux, il demeure qu’il se heurte toujours à la fracture gauche-droite sur le terrain des valeurs et qu’il n’est pas en mesure d’occuper l’espace politique de la droite. C’est en cela que le « et de gauche et de droite » ne pourra pas tenir longtemps dès qu’il faudra sortir du seul terrain économique.

Luc Rouban, Directeur de recherche CNRS, Sciences Po – USPC

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Légende de l'image de couverture : Gonzalo Fuentes/AFP