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24.01.2022

Portrait de la scénariste et réalisatrice taïwano-américaine primée Feng-I Roan

Portrait de Feng-I Roan (crédits : @Feng-IRoan)

La réalisatrice taïwano-américaine Feng-I Roan était étudiante en échange à Sciences Po de 2011 à 2012. Depuis, elle a écrit et réalisé un éventail impressionnant de films - des courts aux longs métrages - qui s'inspirent de ses propres expériences aux États-Unis et à Taïwan et qui interrogent sur le rôle de sœur, de mère et plus globalement, de femme.

Au fil du temps, la filmographie de cette scénariste et réalisatrice taïwanaise n’a fait que prendre de l’ampleur et son long métrage American Girl, qui vient d'être récompensé par le prix Golden Horse de la meilleure photographie, de la meilleure interprète, du meilleur nouveau réalisateur, ainsi que par le prix du public et le prix FIPRESCI lors de la cérémonie des Golden Horse de cette année à Taïwan a capté l’attention des critiques.

Elle évoque avec nous son parcours professionnel et sa filmographie. Découvrez ci-dessous le parcours de cette jeune réalisatrice hors du commun :

Pourriez-vous nous parler de votre parcours professionnel et nous expliquer comment vous en êtes arrivée là ?

Comme dans le film, j'ai passé mes années de primaires aux États-Unis et je suis revenue à Taipei avec ma mère et ma sœur à l'âge de 12 ans. C'est au lycée que j'ai rencontré une enseignante qui a vraiment changé ma vie. Elle était une grande cinéphile. Elle adorait Truffaut et nous a montrés beaucoup de grands films français, ce qui m'a fait tomber amoureuse de cet univers.

Quand j'étais au lycée, je voulais devenir écrivaine. Mon père m'a dit : "Si tu veux être une grande écrivaine, tu dois voir le monde." J'ai donc passé un an à Tours, à l'Institut de Touraine, pour apprendre le français. Ça m'a vraiment changé la vie, parce que c'était ma première fois en Europe. En Asie, quand on dit "l'Occident", cela signifie en fait les États-Unis ou l'Amérique du Nord ; nous connaissons très peu l'Europe. Ce que j'ai retenu de ma première année en France, c'est une appréciation du cinéma, de l'art, de la poésie, et l'idée que la beauté est très importante. C'est très différent de l'endroit d'où je viens et où j'ai grandi, où l'aspect pratique prime et où la beauté est largement dévalorisée.

Vous avez été étudiante en échange à Sciences Po en 2011-2012 alors que vous étudiez la littérature à l'Université nationale de Taïwan. D’où est venu ce choix d'étudier à Sciences Po ?

Je savais que je voulais retourner en France et l'Université nationale de Taiwan proposait justement un échange universitaire avec Sciences Po. Y étudier était incroyable. Mes camarades de classe parlaient d'énergie, de post-démocratie ; je me sentais comme une extraterrestre, mais j'étais aussi très intriguée par leur ouverture d'esprit. Ce qui est intéressant, c'est que Sciences Po demande à toutes et tous les étudiants de faire au moins un échange avant d'obtenir leur diplôme. C’est vraiment une politique merveilleuse et difficile à mettre en œuvre, mais j'en ai grandement bénéficié. 

J'ai suivi des cours d'art, de cinéma, ce qui me correspondait tout à fait. Se promener le long de Saint-Germain-des-Prés était un grand luxe et être dans une si grande école - une des meilleures … C'était amusant pour moi de voir mes camarades de classe apporter des mallettes à l'école et être très sérieuses et sérieux sur les problèmes du monde. J’ai rencontré des gens du monde entier à Paris et c'était très divertissant. 

Votre travail s'inspire de vos expériences à la fois à Taïwan et aux États-Unis. Le fait de vivre à Paris a-t-il changé votre façon d’appréhender ces deux cultures ?

Complètement. Je pense que ça m'a fait prendre conscience de la taille du monde. Je me suis rendu compte à quel point la question : "Que pensez-vous de l'Occident et de l'Orient ?" est absurde, car elle est si vague. Tant de choses se situent entre les deux. Dire que "l'Ouest", c'est l'Amérique et que "l'Est", c'est l'Asie orientale, c'est ignorer trop de parties intéressantes du monde. Le fait d'être à Paris a vraiment décentré mon monde et m'a aidé à garder une ouverture d'esprit, à comprendre qu'il y a beaucoup de choses que je ne connais pas sur le monde. Le monde n'est pas constitué uniquement de deux puissances et cultures fortes, mais il est constitué de beaucoup de cultures sur lesquelles il est important de nous ouvrir.

Je pense que ce qui est extraordinaire à Paris, c'est la facilité avec laquelle on peut se sentir proche de l'art ou du cinéma du Moyen-Orient ou de l'art et du cinéma africain, ce qui, à Taïwan, semble très éloigné, car Taïwan est très fortement influencé par le Japon en raison de son histoire colonisée. Nous ne connaissons pas grand-chose de l'Afrique ou du Moyen-Orient. Le fait d'être en France m'a permis de découvrir une partie du monde qui, autrement, me serait restée inconnue. 

Avez-vous des conseils à donner aux cinéastes en herbe ?

Essayez de garder votre esprit et vos yeux ouverts, de vivre pleinement votre vie. Ne vous souciez pas tant de créer des choses. Je pense qu'il s'agit de voir les choses telles qu'elles sont, c'est-à-dire de les voir en fonction de votre monde. Voyagez, lisez, et si vous ne pouvez pas voyager, passez du temps avec vous-même et examinez les relations qui vous entourent. Réfléchissez à la raison pour laquelle vous voulez devenir cinéaste et essayez de mettre votre ego de côté autant que possible. Plus vous parviendrez à le mettre de côté , plus vous deviendrez une grande créatrice ou un grand créateur.

Que souhaitez-vous faire dans l'année à venir ? Avez-vous déjà un nouveau projet en tête ?

En 2022, j'aimerais voyager davantage, mais à cause de la situation du COVID, je pense que je vais devoir rester sur place et me contenter de lire et d'écrire - prendre un peu de temps libre pour apprendre de nouvelles choses et passer du temps en famille, car les films m’accaparent beaucoup. Je pense qu’on a toujours quelques projets en tête. Je veux m'essayer à la comédie la prochaine fois, car je pense que nous avons déjà beaucoup de cinéastes sérieuses et sérieux. Je vais essayer de m'amuser et d'apporter un peu de rire au monde. Je pense que beaucoup de grands esprits seraient d'accord pour dire que la comédie est la forme la plus élevée du drame, alors je veux me lancer un défi et apporter un peu de bonheur au monde.

L'équipe éditoriale de Sciences Po

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