Accueil>Méfiance et confiance dans la police : une analyse sociologique

27.06.2022

Méfiance et confiance dans la police : une analyse sociologique

Véhicule de police dans la nuit (crédits : @Shutterstock/Jaromir Chalabala)

Une gauche qui dénonce la police, une droite et un centre qui en appellent au respect des forces de l’ordre, telle est l’image que nous renvoient les médias. Mais ce reflet déforme la réalité. C’est ce que montre une analyse précise de la dernière édition du baromètre de la confiance politique dans lequel 72% de la population affirmait avoir confiance dans la police. Explorant les profils sociologiques des enquêtés, Luc Rouban, directeur de recherches CNRS au CEVIPOF, fait part de ces nouvelles dimensions qui vont bien au-delà des postures politiques. 

Habituellement, les variables telles que les catégories socioprofessionnelles et les diplômes ont un impact majeur dans la formation des choix politiques. Pour ce qui est du rapport à la police, ces dimensions sont moins importantes que le sentiment de la place occupée dans l’échelle sociale. Comment expliquer ce phénomène ?  

En effet, la confiance dans la police n’est pas commandée par une position de classe ou un niveau de diplôme. Cela peut paraître surprenant. La police est une institution marquée d’une longue histoire où elle figure en première place du pouvoir régalien, conduisant à imposer un ordre social qui n’a pas toujours été démocratique. La police, dans les représentations communes, c’est le bras armé du pouvoir, royal ou bourgeois, qui impose le silence aux catégories populaires, qui en réprime les révoltes. C’est vrai depuis la révolte urbaine des Maillotins de 1382 à Paris jusqu’aux Gilets jaunes de 2018 qui, dans les deux cas, refusent de nouveaux impôts. En réalité, l’écart entre les catégories sociales supérieures et les catégories populaires dans la confiance accordée à la police est aujourd’hui assez restreint : 78% des premières ont confiance contre 69% des secondes. Il en va de même du niveau de diplôme, peu discriminant sur le plan statistique. 

En revanche, le classement subjectif que l’on fait de sa propre place dans la hiérarchie sociale a un impact significatif. La confiance dans la police est ainsi le fait de 53% de ceux qui se classent en bas de l’échelle contre 82% de ceux qui se classent en haut. Ce phénomène, qui éclaire la confiance que l’on porte à toutes les institutions, s’explique par le fait que la position sociale subjective renvoie à la représentation que les enquêtés se font de la justice sociale. Un classement modeste dénonce le fait que le système social n’est ni équitable ni méritocratique. Il indique au minimum une résignation, au maximum un potentiel de protestation. Et l’on retrouve ici les Gilets jaunes, les abstentionnistes et tous ceux qui se défient des institutions en général.

Dans votre étude, vous explorez d’autres éléments qui ont aussi leur importance. Vous évoquez le libéralisme culturel et sociétal, la perception de l’autorité, la religion. Parmi ces variables, y en a-t-il dont les effets vont a contrario des clichés ?    

Si l’explication économiste tourne court, l’explication culturaliste aussi, ce qui est peut-être plus  surprenant étant donné l’importance du débat sur l’accueil ou le rejet des immigrés. Ni le niveau de libéralisme culturel (rapport à l’immigration, à la politique pénale), ni le niveau d’autoritarisme politique ni celui  de libéralisme sociétal (défense des minorités visibles) ne jouent vraiment  sur cette confiance. La religion, en revanche, reste un indicateur puissant puisque la proportion d’enquêtés confiants passe de 80% chez les catholiques à 64% chez les sans religion puis à 56% chez les musulmans.

Néanmoins, cette variable n’est pas le premier facteur sociopolitique de variation de la confiance. Celle-ci dépend en tout premier lieu du sentiment de justice sociale associé à la génération d’appartenance. Les plus jeunes sont les plus méfiants surtout s’ils sont déclassés socialement et munis de diplômes sans valeur.

Vous avez aussi cherché à comprendre à quoi tient la confiance ou la méfiance dans la police liée à son action sur le terrain, ses moyens, sa formation etc. Quels sont les éléments les plus saillants ?

Une série de questions portait effectivement sur la professionnalité de la police. En effet, dans le débat public, elle n’est pas seulement perçue à travers ses missions, qui sont multiples. Elle est également vue comme une institution fortement corporatiste où l’on cultive un certain entre-soi, comme l’illustrent la littérature et la filmographie sur le « bon flic » ou le « mauvais flic ». L’évaluation qu’en font les enquêtés est nuancée : 68% pensent qu’elle est efficace et honnête, 80% qu’elle n’a pas assez de moyens et 60% pensent qu’elle est mal formée.

Par ailleurs, 57% des interrogés considèrent qu’elle ne sait pas user de la force à bon escient en fonction des circonstances, 58% qu’elle ne sait pas sanctionner ses agents fautifs. Les deux variables qui jouent le plus sur la confiance sont d’abord et avant tout l’honnêteté suivie par l’efficacité ou la compétence. Ce sont d’ailleurs des facteurs qui s’avèrent bien plus prédicteurs du niveau de confiance que toutes les variables sociopolitiques. Si la confiance disparaît, c’est que la maîtrise professionnelle est considérée comme défaillante, quelles que soient la position sociale ou les valeurs politiques des enquêtés.

En fin de compte, il apparaît que même ceux qui ont le plus confiance en la police ne l’ont pas aveuglément. Qui sont-ils ? Peut-on déceler dans leurs critiques des perspectives pour construire une politique publique permettant de répondre aux défaillances dénoncées ? 

Ceux qui ont une très forte confiance dans la police sont plus libéraux sur le plan économique et davantage convaincus de la justice sociale. Ils sont autant de droite que de gauche, souvent électeurs macronistes mais pas toujours. Mais tous dénoncent sa mauvaise formation et son usage inconsidéré ou disproportionné de la force. Le poids décisif de l’honnêteté dans le niveau de confiance vient souligner le fait que l’évaluation de l’action policière ne se résume pas à des ratios coûts/bénéfices ou à des formules managériales. L’analyse montre que la morale et sa version professionnelle, l’éthique, restent la condition ultime de l’efficacité puisqu’elles permettent la cohésion de l’institution et de la société dans laquelle elle évolue.

En savoir plus :