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17.06.2022
Législatives 2022 : un collectif de chercheurs lance le projet LEGIS-2022
Dans le cadre des élections législatives, un collectif de chercheurs en science politique spécialistes des études électorales et du parlement, a lancé le projet LEGIS-2022. Bruno Cautrès, chercheur au CEVIPOF, Vincent Martigny, chercheur associé au CEVIPOF et à l'Université Côte d'Azur et Olivier Rozenberg, Associate Professor au Centre d'études européennes et de politique comparée de Sciences Po, nous présentent le projet.
Parlez-nous du projet LEGIS-2022, en quoi consiste-t-il ? Quelles sont ses ambitions ?
Le projet LEGIS-2022 regroupe une trentaine de chercheurs en science politique spécialistes des études électorales et du parlement, issus des principaux centres de recherches français, à Sciences Po (CEVIPOF et Centre d'études européennes et de politique comparée), Sciences Po Grenoble, Université Panthéon-Sorbonne, Université Panthéon-Assas, Université de Lille, Université de Nice Côte d'Azur. Il s'est consacré à produire un étiquetage de l'appartenance partisane de chacun des 6293 candidats aux élections législatives de l'hexagone, des Outre-mer et des Français de l'étranger, en fonction d'une grille comportant 39 nuances politiques (contre 16 pour le bureau des élections du ministère de l'Intérieur).
Son objectif principal est de comprendre la manière dont l'élection à venir participe de la recomposition politique en cours dans notre pays. À court terme, le développement d’un partenariat avec Le Monde a permis la publication de plusieurs analyses tout au long de cette séquence électorale. À moyen-terme, LEGIS-2022 a pour objectif de renforcer la coopération entre les différents pôles universitaires sur les études électorales, tout en affirmant la valeur ajoutée des laboratoires de Sciences Po sur ces enjeux.
Quelles sont les premières tendances qui se dessinent post 1er tour de l'élection législative en France ?
L’abstention a, de nouveau, été majoritaire au premier tour, comme en 2017. Le constat d’une France de l’abstention se confirme d’élections en élections, même si l’on met de côté la présidentielle. Il s’agit d’une tendance structurelle en France depuis ces vingt dernières années. Au-delà des explications sociologiques classiques de l’abstention, ses dimensions conjoncturelles et politiques s’affirment. Les Françaises et les Français portent un regard assez négatif sur les institutions politiques et leurs dirigeants, comme le montre année après année le Baromètre de la confiance politique du CEVIPOF. Démocratie de l’abstention et démocratie de la défiance se renforcent et l’élection présidentielle n’a rien réglé des inquiétudes et peurs des Français.
Si l’on observe les résultats du 1er tour, l’important travail de codification des candidatures que les chercheurs du projet LEGIS-2022 ont réalisé a permis d’identifier finement les « dissidences électorales » tant du côté de la nouvelle coalition de la gauche (la Nupes) que du côté de la majorité présidentielle « Ensemble ! ». Sans ce travail de codification, la réalité de ce phénomène n’aurait pu être mise à jour. Or, ces phénomènes témoignent des tensions qui accompagnent les recompositions politiques et partisanes actuelles, en particulier à gauche où la création de cette nouvelle coalition a entraîné des dissidences locales dans des départements où des personnalités du PS ont refusé cette nouvelle coalition. L’échec relatif de ces candidatures dissidentes montre que les dynamiques de recomposition et leurs logiques s’imposent et que quelque chose s’est passé à gauche.
Plus généralement, les résultats du premier tour montrent que la « tripartition » de notre vie politique telle qu’elle s’est redessinée à l’issue de la présidentielle se confirme largement : en dehors des candidats de la majorité présidentielle, de la coalition de la Nupes et de ceux du RN, des candidatures LR ont pu encore se maintenir, mais sans comparaison entre nombre de qualifiés au second tour. Si l’ancrage local a permis à des candidats de se qualifier au second tour, on voit que les logiques nationales sont très fortes dans ces législatives, tout comme les logiques d’identification partisane. Les résultats montrent également la force de l’enracinement géographique du RN qui continue de s’affirmer fortement dans plusieurs départements du Sud-est et du Nord-est.
Quels sont, selon vous, les grands enseignements à tirer en termes de recomposition du paysage politique français ?
Sur le plan politique, malgré l’abstention importante, les législatives de 2022 attestent d’un retour à des élections de combat. Alors que depuis 2002 les législatives étaient principalement des élections de confirmation de la présidentielle (Gérard Grunberg avait même parlé d’une « élection à quatre tours »), les législatives de 2022 ont retrouvé une logique de combat politique et d’élections à enjeu. C’est sans aucun doute lié à l’émergence, dans la foulée de la présidentielle, de la coalition de la Nupes, qui, quel que soit l’avenir de cette coalition, a d’ores et déjà réussi à unir les forces de la gauche pour la première fois depuis 1997. Jean-Luc Mélenchon a incontestablement réussi un coup politique et stratégique, quel que soit le résultat du second tour, et à imposer un « cadrage » politique à ces élections avec son fameux « Elisez-moi premier ministre » et à choisir le terrain de la bataille : imposer une cohabitation à Emmanuel Macron à peine réélu. Son leadership politique personnel et sur la gauche en sort profondément renforcé et renouvelé, et ce alors même que la plupart des commentateurs pensaient la gauche marginalisée pour longtemps.
Pour la majorité présidentielle, même si les résultats risquent d’être moins nettement favorables qu’en 2017, la position centrale du bloc macroniste (Renaissance/Modem/Horizons) se confirme clairement. Enfin, si le RN connaît son habituel décrochage entre le score présidentiel et les scores législatifs, ce décrochage est nettement réduit par rapport à 2017 : le RN aborde ce second tour dans de bien meilleures conditions qu’il y a cinq ans, avec beaucoup plus de candidats qualifiés et sans doute un gain de sièges très substantiel, ainsi que la forte probabilité de pouvoir constituer un groupe. La recomposition de notre système partisan se prolonge et se renforce, même si la structure de ces trois blocs demeure encore instable.
Bruno Cautrès, Vincent Martigny et Olivier Rozenberg