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12.07.2017

La féminisation élitiste de l’Assemblée nationale

Par Luc Rouban (CEVIPOF). La féminisation de l’Assemblée nationale issue des élections législatives de 2017 apparaît comme l’un des principaux facteurs de renouvellement du personnel politique revendiqué par la République en Marche (LREM). Cette féminisation a considérablement progressé, mais elle ne concerne toujours en 2017 que 38,8 % de tous les députés contre 27 % en 2012 et 18,4 % en 2007. On est donc encore loin d’une parité réelle et cela d’autant plus que les postes les plus importants de l’Assemblée, comme la présidence, sont revenus à des hommes.

Cette féminisation volontariste, qui a constitué l’un des arguments les plus motivants d’engagement des femmes candidates de LREM, s’associe à un renouvellement générationnel mais aussi à la recherche de compétences issues de la société civile qui ne se soient pas compromises avec la politique professionnelle.

Cette posture de renouvellement systématique à partir d’une société civile identifiée contre la société politique, au terme d’un raisonnement quelque peu populiste opposant la « vraie » société aux élites, conduit à s’interroger sur le degré d’instrumentalisation de cette féminisation. L’analyse des profils biographiques montre en effet que ce renouvellement est particulièrement élitiste. Encore faut-il mesurer en premier lieu le degré de féminisation selon les étiquettes politiques.

Pour mener l’analyse en tenant compte des effectifs faibles de certains groupes parlementaires comme de la confusion orchestrée entre les étiquettes et le rattachement aux groupes politiques, il a fallu réunir les députés en grands ensembles politiques. On distingue donc ici la gauche contestataire (La France insoumise et le PCF), la gauche socialiste (PS, EELV, Radicaux, divers gauche), la République en marche, le MoDem, la droite de gouvernement (LR, UDI, divers droite), le FN. Les cinq députés régionalistes ne sont pas intégrés à l’étude car ce sont tous des hommes.

Le renouveau passe par les femmes

Historiquement, la féminisation de l’Assemblée a surtout été le fait de la gauche, cette dernière ayant été depuis longtemps pionnière de la promotion des femmes dans la vie politique (voir notamment les travaux de Janine Mossuz-Lavau).

En 2012, on trouvait ainsi plus de 50 % de femmes chez les députés EELV, 36 % dans les rangs des socialistes, 20 % au sein du Front de gauche mais seulement 15 % dans les rangs de l’UMP et 0 % chez les centristes. En 2017, la féminisation est surtout le fait de LREM et du MoDem dans des proportions telles, au regard des autres ensembles politiques, qu’ils ont pu ainsi arborer la féminisation comme signe de modernité par-delà la droite et la gauche.

Ce résultat n’a été rendu possible que par la nationalisation des élections législatives qui se sont surtout jouées sur les étiquettes et bien moins sur les ancrages territoriaux ou la personnalité des candidats, comme vient le confirmer la vague 16 de l’enquête électorale du Cevipof. Le recrutement paritaire des candidats LREM–MoDem s’est donc retranscrit mécaniquement dans la population des députés. À l’inverse, les candidats PS ou LR ont dû recourir à toutes leurs ressources territoriales pour emporter des victoires qui profitaient, de facto, aux plus anciens et aux mieux implantés – ce qui favorisait les hommes du fait de leur socialisation politique plus importante.

Le degré de féminisation des députés par ensemble politique (%). Luc Rouban, enquête députés 2017/Cevipof.

Il existe une forte corrélation entre la féminisation et le rajeunissement de l’Assemblée. Si l’âge moyen des députés a régressé de 54,6 ans en 2012 à 49,2 ans en 2017, ce rajeunissement est surtout apporté par les femmes puisqu’elles ont un âge moyen de 48 ans contre 50 ans chez les hommes. L’âge moyen des femmes est de 43,4 ans au sein de la gauche contestataire (qui ne comporte cependant que neuf femmes), de 47,8 ans à LREM, de 49 ans au FN (deux femmes) mais de 52 ans au MoDem comme au sein de la droite de gouvernement et de 56 ans dans les rangs de la gauche socialiste.

La féminisation et le rajeunissement sont également associés à l’arrivée de novices en politique, que l’on définit ici comme ceux n’ayant jamais détenu de mandat électif (y compris de mandat local) avant 2017 – ce qui ne veut pas dire qu’ils n’ont pas eu d’activité politique comme militants, candidats ou membres des entourages locaux ou nationaux. Ceux-ci constituent le tiers de la nouvelle Assemblée, mais presque la moitié des femmes (45 %) en font partie contre le quart des hommes.

Les proportions se concentrent encore si l’on regarde la distribution par ensemble politique. Parmi les 168 novices de LREM, 55 % sont des femmes. Inversement, 64 % des femmes élues députées LREM sont des novices contre 55 % des femmes élues dans les rangs de la gauche contestataire, une des deux femmes élues du FN, mais seulement 15 % des élues MoDem, 6 % des élues de la gauche socialiste et 0 % des élues de la droite de gouvernement. C’est à ce signe que l’on reconnaît également une autre fracture passant entre les mouvements ayant joué la carte nationale aux législatives (FI et LREM) et les anciens partis plus ancrés localement et prisonniers de leurs tropismes genrés.

La féminisation n’a pas freiné le rétrécissement du recrutement social

Une première analyse d’ensemble montre que le renouveau s’arrête à ce changement démographique. On assiste à une véritable régression en termes de profils socioprofessionnels. En moyenne, la part des catégories supérieures est passée de 53 % en 2012 à 68 % en 2017 au détriment des classes moyennes qui s’étaient imposées historiquement depuis les législatives de 1986 et qui avaient elles-mêmes réduit les catégories populaires à la portion congrue.

Ce rétrécissement des bases sociales n’a pas épargné les femmes dont une majorité appartient aux catégories supérieures bien que dans de moindres proportions que les hommes : 60 % contre 74 %. La proportion des femmes appartenant aux catégories sociales supérieures était de 42 % en 2007 comme en 2012, contre 62 % des hommes en 2007 et 57 % en 2012 – ce qui représente une concentration sociale équivalente.

La proportion de députés appartenant aux catégories socioprofessionnelles supérieures (%). Source : Luc Rouban, enquête députés 2017/Cevipof.

Là encore, la discrimination doit être faite par ensembles politiques. Celle-ci montre que LREM, par le profil social de ses députés, se rapproche bien plus de la droite que de la gauche. La féminisation forte apportée par LREM a fait venir à l’Assemblée des femmes dont 63 % appartiennent aux catégories supérieures, 28 % aux catégories moyennes et 9 % aux catégories populaires. Mais ce n’est là qu’une partie de l’histoire car la concentration sociale est encore plus forte chez les seuls novices : dans les rangs de LREM, les femmes novices appartiennent aux catégories supérieures à hauteur de 73 % contre 87 % des hommes.

Ainsi, si on observe donc toujours un décalage social au profit des hommes, qui s’explique par l’inertie des structures d’accès aux emplois supérieurs, il demeure vrai que le renouveau féminisé reste très sélectif en termes socioprofessionnels.

Les nouvelles élites de la politique managériale n’échappent pas aux inégalités de genre

On peut définir le macronisme comme l’extension de l’idéologie managériale au domaine politique, ce qui implique une culture de l’efficacité, de la précarité et de la compétition telle qu’elle s’est notamment exprimée dans le discours d’Emmanuel Macron devant le Congrès. Les députés LREM se trouvent pris au piège de mandats limités dans le temps, précaires, puisque le tiers d’entre eux doit disparaître après 2022, et ils sont appelés à la « performance » législative.

Cet horizon normatif s’appuie sur les ressources scolaires dont ils et elles disposent mais qui ne sont jamais égales entre les hommes et les femmes. En moyenne, l’ensemble des députés a suivi des études de niveau master en droit à hauteur de 21 % (23 % des hommes et 19 % des femmes), en économie (en y incluant les écoles de commerce et les études de gestion) à concurrence de 18 % (21 % des hommes contre 13 % des femmes) et en sciences de la nature ou en ingénierie à concurrence de 18 % (20 % des hommes contre 15 % des femmes).

Si l’on ne sélectionne que les novices de LREM, on voit que la proportion de diplômés en économie passe en moyenne à 25 % (30 % des hommes contre 21 % des femmes), mais que 16 % ont passé en réalité des diplômes de gestion et de management (18 % des hommes contre 13 % des femmes). Les femmes sont, cependant, plus nombreuses en proportion que les hommes à être passées par une école de commerce (8,7 % contre 6,6 %).

On retrouve ces profils scolaires dans le détail des professions puisque le tiers de ces novices sont des cadres d’entreprise (34 % des hommes et 30 % des femmes). On doit y ajouter les 11 % de chefs d’entreprise au moins de taille moyenne et les 10 % de chefs de petites voire très petites entreprises (TPE), notamment des cabinets de consultants en communication.

Cependant, les mécanismes de discrimination sociale entre les hommes et les femmes n’ont pas disparu puisque 17 % des hommes dirigent au moins des PME contre 5 % des femmes, alors 4 % des hommes sont à la tête de TPE contre 14 % des femmes. La féminisation s’est donc inscrite dans la sélection d’une nouvelle élite managériale mais ne fait pas disparaître les inégalités de genre dans l’accès aux emplois les plus prestigieux, même dans le secteur indépendant.

La féminisation et le rajeunissement de l’Assemblée nationale ont été présentés comme un signe de diversification alors qu’ils recouvraient, en réalité, une fermeture historique du recrutement politique en termes sociaux et un processus de managérialisation de la politique. Cette évolution procède directement de la volonté de puiser dans la société civile en court-circuitant des partis traditionnels qui avaient au moins le mérite de sélectionner et de former des candidats d’origine modeste.

The ConversationQuant à la nouvelle idéologie managériale du politique, elle n’assure pas aux femmes et aux hommes la garantie d’une égalité réelle, créant comme toujours une élite dans l’élite en distinguant les chefs masculins des grandes entreprises des dirigeants féminisés des petits cabinets de consultants et des TPE.

Luc Rouban, directeur de recherche CNRS, Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

Légende de l'image de couverture : Martin Bureau / AFP