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16.12.2020
Hommage à Alain Lancelot, un "très grand directeur de Sciences Po"
Disparu ce 14 décembre 2020, Alain Lancelot, fin spécialiste de la sociologie politique, européen ardent, dirigea Sciences Po de 1987 à 1996. Deux mandats marqués par des réformes importantes et audacieuses, qui ont largement contribué à façonner le visage contemporain de l'institution.
Alain Lancelot et Sciences Po : l’histoire d’une vie
Cette histoire a débuté lorsque ce fils d’ingénieur agronome a été admis à Sciences Po, en 1954, à 17 ans. Diplômé major de la section service public en 1958, il choisit alors, contre toute attente, la recherche plutôt que l’ENA, opta pour la jeune science politique et non pour la vénérable discipline juridique. Il avait 19 ans lorsque Jean Meynaud, secrétaire général de la FNSP le prit comme collaborateur, 22 ans quand Jean Touchard, nouveau secrétaire général de la FNSP, le recruta comme assistant. Il séduisit immédiatement ses mentors et se plongea avec enthousiasme, à leur initiative, dans les délices de la sociologie du vote à l’occasion des premières enquêtes consacrées aux élections de 1956 et de 1958.
Recruté comme chercheur au CEVIPOF, peu après sa création par Jean Touchard, Alain Lancelot a été avec Jean Ranger, Guy Michelat, Nicole Racine, Janine Mossuz-Lavau, pour n’en citer que quelques-uns, l’un des plus brillants mousquetaires de la jeune garde de ce laboratoire, creuset de la sociologie politique française, au sein duquel il a accompli l’essentiel de sa carrière scientifique et dont il fut un grand directeur, de 1975 à 1987, à la suite de Georges Lavau.
Universitaire et enseignant brillant, européen ardent
Fin spécialiste de la sociologie et des études électorales, Alain Lancelot fit le pont entre la tradition de la géographie électorale française héritée d’André Siegfried et de François Goguel et les nouvelles méthodes américaines des enquêtes d’opinion et des sondages. C’était aussi un enseignant brillant (professeur des universités à 31 ans), qui a marqué des générations d’étudiants de Sciences Po, un directeur de thèse attentif et proche de ses doctorants. Politiste reconnu et influent, il fut secrétaire général de l’Association française de science politique (AFSP) de 1970 à 1975.
Cet universitaire et homme de réflexion était également un homme public, familier des médias, dont les analyses électorales étaient prisées des radios et des télévisions. Expert en matière de sondages en France, Alain Lancelot fut le conseiller scientifique de la SOFRES, fondée par son ami Pierre Weill, avec lequel il créa et dirigea par la suite le fameux DESS Études de marché et stratégie marketing de Sciences Po, qui a formé des générations de spécialistes des études d’opinion, du marketing et de la publicité.
Citoyen engagé, européen convaincu et ardent, Alain Lancelot n’a jamais cessé d’œuvrer en faveur de l’Union européenne et ce, jusqu’à ces dernières années, au sein de la fondation Robert-Schuman.
Deux mandats qui ont durablement marqu é l'histoire de Sciences Po
En 1987, Alain Lancelot a succédé à Michel Gentot à la direction de Sciences Po. Ses deux mandats, riches à bien des égards, eurent d’heureuses répercussions sur tous les secteurs de notre maison (enseignement, recherche, documentation, administration et gouvernance) mais ils resteront marqués par la grande réforme des études qu’il a portée et conduite dès sa prise de fonction, avec son jeune directeur adjoint, Richard Descoings. Cette réforme, inspirée et audacieuse, reposait sur des convictions fermes : la prééminence de la formation intellectuelle fondamentale par les sciences humaines et sociales, la nécessité du comparatisme, de l’ouverture sur le monde, de la maîtrise des langues étrangères, l’accent mis sur l’adéquation des formations spécialisées avec les évolutions du marché du travail mais surtout la mise en avant de l’adaptabilité professionnelle, ou, encore, les vertus de l’évaluation des formations par les étudiants, disposition qu’il introduisit de façon pionnière à Sciences Po.
Nombre des développements de nos formations depuis plus de trente ans s’inscrivent dans la continuité des grandes orientations tracées par la « réforme Lancelot ».
Après plus de quarante années à Sciences Po, Alain Lancelot s’est éloigné pendant quelque temps de la rue Saint-Guillaume pour rejoindre la rue Montpensier, où il fut nommé membre du Conseil constitutionnel en 1996. Il revint ensuite au sein de son alma mater, comme professeur émérite et membre du conseil d’administration de la FNSP de 2001 à 2012.
Toutes celles et ceux qui ont connu Alain Lancelot garderont à jamais le souvenir de son intelligence piquante, de sa vivacité d’esprit, de son érudition, de ses remarquables talents d’orateur et de conteur, du charme stendhalien de cet amoureux de l’Italie et des voyages, de son sens élevé de l’amitié, de son humour, de son rire éclatant, de ce mélange très singulier d’espièglerie et de mélancolie, de profondeur et de légèreté. Alain Lancelot se plaisait à rappeler qu’il avait passé toute sa vie à Sciences Po, qu’il y avait rencontré la femme qui est toujours demeurée à ses côtés, Marie-Thérèse. Peu de gens auront autant donné et apporté à notre institution.
Alain Lancelot fut un très grand directeur de Sciences Po.
Frédéric Mion, Directeur de Sciences Po
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