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03.07.2018

"Emouna est une extraordinaire expérience !"

Ce mercredi 3 juillet, Sciences Po certifie la seconde promotion d’Emouna. Qu’est-ce que Emouna ? Une formation unique, née du souhait de plusieurs ministres du culte, - prêtre, imam, rabbin… -, de favoriser le dialogue entre religions, tout en s’interrogeant sur leurs places respectives au sein de la culture française. Deux années à peine après sa création, Emouna compte déjà une soixantaine de certifiés. Pauline Bebe, membre cofondateur* du programme, revient sur les moments forts de cette formation.

C’est sous le toit en chaume de la Grande Pagode du Bois de Vincennes que la dernière journée de cours de la formation Emouna - l’Amphi des Religions s’est déroulée. Après avoir longé le lac du Bois de Vincennes, et foulé les petits chemins bordés d’herbes folles, ils se sont retrouvés devant ce bâtiment aux inspirations africaines datant de l’exposition universelle de 1931. A côté d’une statue du Bouddha imposante, qui reflétait dans ses dorures la lumière du soleil levant, un groupe improbable écoutait religieusement Frédéric Dieu, conseiller d’État, lui parler des nuances de la loi française concernant les Ministres du Culte. Le culte y était bien défini mais pas le Ministre du Culte. La subtilité des décisions juridiques se déroulait comme une dentelle de finesse, ponctué des sourires du juge passionné par son sujet.

« Religieusement », en réalité pas tant que cela, les questions fusaient de toute part sur les notions qui faisaient le quotidien de l’auditoire : loi 1901, loi 1905, du principe de non-ingérence à l’ordonnance de l’État de respecter la hiérarchie religieuse, de la menace à l’ordre public à l’impossibilité de tenir des réunions politiques dans les lieux cultuels, du secret professionnel et de ses limites exceptionnelles jusqu’au concept d’un « toit juridiquement détachable ». Humour, loi et religion font bon ménage !

Sur les visages lumineux des participants se lisait la passion du moment mêlée de l’ombre d’une tristesse de savoir que le soir ils se quitteraient et que cet apprentissage prendrait fin, après 18 journées passées ensemble. Dix-huit journées où imams, moines bouddhistes, pasteurs, prêtres, rabbins, et représentants de la société civile ont pu, grâce à ce programme inédit, tisser des liens forts qui, ont-ils dit, ont changé leur vie.

C’est en septembre 2016 que Sciences Po et son directeur Frédéric Mion avaient répondu oui à la demande d’un petit groupe multiconfessionnel composé d’un prêtre catholique, deux imams, un pasteur, deux rabbins, un moine bouddhiste, un prêtre orthodoxe, et présidé par Frédéric Puigserver, enseignant à Sciences Po. Un oui courageux d’ouvrir ses portes à des étudiants pas comme les autres qui demandaient à croiser les points de vue universitaires et religieux pour vivre une laïcité ouverte à toutes ses diversités et aborder des sujets qui les concernent tous.

Deux ans plus tard, ils recueillaient avec satisfaction les témoignages reconnaissants de la soixantaine d’élèves qui avaient déjà suivi cette formation dorénavant soutenue par le Ministère de l’Intérieur, toutes les grandes institutions religieuses du pays et saluée par le Pape. Convaincus d’avoir partagé des moments de complicité exceptionnels en apprenant et en travaillant ensemble, ils étaient déterminés à vouloir porter le message au-delà de leur formation, auprès de leurs fidèles respectifs et des personnes qu’ils côtoyaient.

 

Il y avait Droupgyu, dont la voix chamanique et cristalline s’élevait comme des gouttes de rosée vers le ciel quand elle entonnait un chant tibétain. Il y avait Moktar, aumônier des hôpitaux qui accueillait ses frères et sœurs de toutes les confessions avec un sourire chaleureux et revivait l’Andalousie du Moyen-âge ; Anne-Sophie, pasteur et aumônier des aéroports qui avait aimé la journée art et religion passée au Centre Pompidou, cette balade au milieu des œuvres d’art quand le ciel déchargeait ses flocons blancs sur les toits de Paris. Il y avait David dont la mission était d’accompagner spirituellement les gens du voyage et de régler des conflits, qui s’était confié sur l’art de la médiation. Il y avait Sévim dont la voix douce exprimait la sagesse et qui dans un tableau de Matisse d’un chat jouant avec un poisson, avait vu la capacité d’échapper à son destin et d’exprimer son libre-arbitre. Il y avait Catherine, journaliste qui lançait une émission sur la République et la foi, Nissim rabbin en noir et blanc qui citait Alfred de Vigny et les philosophes en les mêlant aux accents talmudiques, Pierre, prêtre orthodoxe qui nous avait fait visiter la Métropole grecque et admirer ses peintures. Chaque journée avait été l’occasion d’aller dans le lieu de l’autre, de le comprendre et d’apprendre, de confronter les croyances et les pratiques, de s’ouvrir avec bienveillance à la différence.

Les étudiants habituels de Sciences Po, pressés par leurs pas, avaient-ils remarqué la statue de Moïse impassible qui les regardait passer rue Saint-Guillaume ? Michel-Ange lui avait fait des cornes à cause d’une erreur de traduction : keren en hébreu, signifiait le rayon de lumière. Un Moïse qui aurait pu leur faire un clin d’œil parce qu’il savait que partout où politique et religion se trouvaient, il y avait aussi de l’humain et la nécessité de construire ensemble une éthique universelle aux multiples facettes et que si les universités tournaient le dos aux religions, elles pouvaient contribuer à leur radicalisation.

Sciences Po a su relever le défi du XXIème siècle. Aujourd’hui le programme Emouna - l’Amphi des Religions se développe dans trois pays d’Europe, l’Italie, la Belgique et les Pays-Bas et, selon l’Ambassadeur chargé des affaires religieuses au Quai d’Orsay, d’autres encore sont intéressés par l’exemple français. Il est temps de réconcilier les religions entre elles d’une part, les différentes tendances de chaque religion d’autre part, et enfin les universités et les religions dans une laïcité qui favorise un dialogue entre tous.

Emouna, Amana et Amen signifient en hébreu, en arabe et en latin la confiance, la loyauté, le pilier sur lequel nos sociétés doivent s’appuyer pour grandir. Alors si Moïse, Jésus, Marie, Mohammed, Fatima, Bouddha, Descartes, Victor Hugo et Einstein se rencontraient aujourd’hui, sans doute s’inscriraient-ils au programme Emouna - l’Amphi des Religions, pour apprendre à se connaître et se comprendre, accepter ceux qui croient et ne croient pas pour autant qu’ils apprennent à se regarder et se respecter dans la grande cour d’une université au sein d’une République laïque.

Les inscriptions pour la rentrée 2018-2019 d’Emouna sont ouvertes.

*Collège des fondateurs : Emmanuel Adamakis, métropolite de France, président de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France ; Mohammed Azizi, imam, aumônier régional des hôpitaux d’Ile-de-France ; Pauline Bebe, rabbin de la Communauté juive libérale, Île-de-France ; Corinne Lanoir, doyenne de l’Institut protestant de théologie, Paris ; Moché Lewin, rabbin, conseiller spécial du Grand rabbin de France, directeur exécutif de la Conférence des rabbins européens ; Nicolas Péjout, directeur de Sciences Po Executive Education ;  Frédéric Puigserver, enseignant à Sciences Po, président du collège ; Boubker Sabri, imam de la Mosquée As-Salam - Argenteuil ; Thierry Vernet, prêtre, directeur du département Judaïsme et Christianisme au Collège des Bernardins ; Olivier Wang-Genh, moine Zen Soto, président de l’Union bouddhiste de France.

Ce projet bénéficie du soutien du ministère de l’Intérieur, de la Fondation Notre Dame, de la Fondation Caritas France, de la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, de la Fondation de l’Islam de France, de la Fondation Maayan, de la Fédération Protestante de France, de la Métropole Grecque Orthodoxe de France, de l’Union Bouddhiste de France, du Sciences Po Alumni UK Charity Trust, ainsi que des nombreux particuliers qui soutiennent ce projet au travers d’un don individuel.

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Le programme du certificat Emouna

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Légende de l'image de couverture : Ingrid Hoffmann