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25.02.2022
“Content Policy in the Age of Transparency” : une conversation transculturelle
Dans un paysage numérique en constante évolution, les gouvernements cherchent de plus en plus à réglementer les contenus en ligne, notamment ceux des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft). Ces efforts ont soulevé un certain nombre de questions complexes pour les chercheures et chercheurs, les dirigeants et les citoyennes et citoyens, soulignant la complexité de la réglementation à l'ère post-internet. Lundi 21 février 2022, Sciences Po et l'Université de Stanford ont discuté de certaines des questions les plus pressantes sur la régulation numérique des Etats-Unis et de l'Union européenne lors d’une conférence sur le thème "Content Policy in the Age of Transparency, A Transatlantic Discussion".
Dans cette exploration transculturelle et approfondie de la responsabilité des entreprises, du rôle des universités dans la recherche de données, ainsi que de la réglementation démocratique et des questions relatives à l'implication des gouvernements organisé par la Chaire Digital, gouvernance et souveraineté de Sciences Po et le Content Policy and Society Lab de l’université de Stanford, Dominique Cardon, Florence G'sell et Emmanuel Vincent de Sciences Po et Nate Persily, Julie Owono et Leila Morch de l'Université de Stanford, ont partagé leur expertise sur le sujet, en abordant les questions de transparence, de liberté d'expression, de législation et du rôle des universités.
Maintenir la démocratie à l'ère du numérique
Comme l'a noté Mathias Vicherat, directeur de Sciences Po, dans son discours d'introduction, "le déploiement d'Internet a conduit à une incroyable démocratisation de l'information et de la connaissance". S'il a "offert des opportunités aux individus", il a également soulevé des difficultés majeures, notamment celle de la propagation des fake news et des discours de haine. En effet, l'influence des réseaux sociaux sur l'élection de 2020 aux États-Unis a été évoquée à plusieurs reprises au cours de la discussion pour souligner la nature ténue de la démocratie dans notre paysage numérique actuel.
Bien que, dans l'exemple de l'élection américaine, l'absence de réglementation des plateformes de médias sociaux ait eu pour effet de constituer une menace potentielle pour la démocratie des États-Unis, Julie Owono, directrice exécutive d'Internet Without Borders et du Stanford Content Policy and Society Lab et membre du Facebook Oversight Board, a attiré l'attention sur le revers de la médaille. Selon elle, la réglementation elle-même peut également entraîner une réduction des libertés inhérentes à une société démocratique, notamment la liberté de parole et d'expression. Selon elle, il est important de "faire preuve de bon sens quant à la lutte contre les utilisations abusives des médias sociaux et des contenus en général et le mal que cela peut engendrer" en posant la question suivante : "Que signifie lutter contre cela sans affecter, inutilement et de manière disproportionnée, les libertés - d'expression, bien sûr, mais aussi d'autres libertés ?"
Vers la transparence
Pour répondre à cette question et aux problèmes éthiques complexes qu'elle soulève, les experts réunis ont proposé la transparence comme l'antidote le plus viable aux menaces pour la liberté d'expression que représenterait la réglementation des contenus. Selon eux, la transparence, fondée sur la divulgation contrôlée de données à des personnes extérieures à l'entreprise, pourrait être essentielle pour garantir et préserver les droits des individus et des entreprises tout en encourageant la responsabilisation des entreprises par l'application de la législation par les gouvernements.
Selon Florence G'sell, directrice de la Chaire Digital, gouvernance et souveraineté de Sciences Po et professeur de droit privé à l'Université de Lorraine, "la transparence est essentielle pour toutes et tous". Dans sa conception, "il faut, dans une certaine mesure, faire confiance aux plateformes" car, en matière de modération des contenus, "elles sont les mieux placées pour le faire". Pourtant, cette tendance à faire confiance aux plateformes n'est pas sans réserve : "Cela doit être fait de manière totalement transparente", ce qui, jusqu'à présent, n'a pas été le cas.
D'autre part, comme le note Emmanuel Vincent, chercheur au médialab de Sciences Po et co-auteur d'une récente étude sur les interventions de Facebook contre les comptes qui partagent de fausses informations de façon répétée, il existe des limites à la confiance que l'on peut accorder aux entreprises. Selon lui, "si les incitations de la plateforme sont de faire de l'argent et de maximiser l'engagement, alors toute politique qui va à l'encontre de cela ne sera pas vraiment appliquée, car elle s’oppose au modèle économique de base de la plateforme." C'est donc aux gouvernements et à la législation d'inciter les entreprises à se conformer au partage des données et aux autres mesures proposées.
Néanmoins, la voie à suivre n'est pas toujours évidente. Au cours de la discussion, Dominique Cardon, professeur de sociologie et directeur du médialab de Sciences Po, s’est interrogé : "Est-il possible de créer ce genre d'espace où les régulateurs et les chercheurs peuvent accéder aux données quand ils sont liés à une contrainte de la loi en ce qui concerne la confidentialité des données ? Est-ce que ça pourrait être la meilleure solution pour avoir une évaluation démocratique de la transparence pour le public ?"
De la législation sur la transparence : la solution idéale ?
Pour Leila Morchs, coordinatrice de projets de recherche au Stanford Content Policy and Society Lab, il s'agit d'une question essentielle, qui met en lumière le fossé actuel entre les entreprises d'une part, les chercheurs et l'opinion publique d'autre part. Selon elle, "ce fossé pourrait être évité si nous encourageons la discussion entre les organismes de politique publique et la haute société civile et le domaine de la recherche et de l'université." En effet, réduire ce clivage en encourageant la discussion est une étape importante. Pourtant, au-delà de la discussion, la réglementation sur la transparence des entreprises est essentielle pour combler ce fossé et créer un changement constructif et positif.
Selon Nate Persily, c'est précisément vers cela qu'il faut tendre. Sa suggestion pour encourager la transparence et compenser les problèmes créés par le modèle d'entreprise évoqué par Emmanuel Vincent réside dans une législation qui permettrait aux chercheurs d'accéder aux données clés des entreprises et garantir l'application de la loi par le gouvernement : “le gouvernement doit s'impliquer dans la création d'une voie sûre, protégée par la confidentialité, permettant aux chercheurs et chercheuses d'accéder aux données des plateformes."
Ce changement serait utile pour les gouvernements, suggère-t-il, car ils disposeraient de "meilleures informations sur lesquelles fonder les politiques publiques" et bénéfique pour le grand public, car il pourrait "comprendre ce qu’il se passe sur ces plateformes et les tenir responsables". Ce changement serait également meilleur pour les chercheurs et chercheuses car il ouvrirait "une nouvelle voie de recherche sur tout ce qu’il se passe dans la société humaine" - de la désinformation de Covid au radicalisme en ligne et au-delà.
En fin de compte, les discussions sur les questions de réglementation et d'implication du gouvernement dans les pratiques des entreprises privées sont d'une grande portée, car elles touchent aux questions de démocratie et de liberté. Néanmoins, comme le note Nate Persily, il est possible de proposer une politique qui contourne les questions de liberté d'expression. En ce qui concerne la réglementation de la transparence, "vous ne réglementez pas le contenu, vous réglementez la technologie ; vous réglementez le moment, le lieu et le moyen de s’exprimer". À l'avenir, alors que les décisions relatives à la réglementation continuent d'être prises tant au niveau des gouvernements que des entreprises, cette distinction peut servir de matière à réflexion, aidant les expertes et experts et les chercheurs et chercheuses à garantir la mise en œuvre de politiques qui favorisent des démocraties saines et fonctionnelles.
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