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23.06.2025
Comment l’État peut-il rester souverain à l’ère des cybermenaces et des IA génératives?
Dans sa note intitulée La résilience de l’État face aux menaces informationnelles issue de deux années de recherche, Virginie Tournay (CEVIPOF-CNRS) propose une lecture novatrice de la manière dont les États doivent repenser leurs prérogatives à l’ère du numérique.
Le rapport invite à dépasser une conception essentialiste, centrée sur la seule protection des infrastructures critiques, au profit d’une approche relationnelle et adaptative des fonctions régaliennes. En plaçant la donnée – sa circulation, sa captation, son autorité – au cœur de l’analyse, cette note engage un changement d’échelle fondamental : la résilience ne se mesure plus uniquement à travers les institutions instituées, mais à partir des dynamiques systémiques du cyberespace.
Ce nouveau paradigme impose une refonte profonde des dispositifs de cybersécurité, en intégrant la lutte contre les manipulations de l’information (LMI) dans une approche unifiée. La séparation thématique entre désinformation scientifique, cyberharcèlement ou dérives sectaires n’est plus opérante : dans un espace numérique fluide et hybride, ces phénomènes se renforcent mutuellement.
La note alerte également sur la reconfiguration silencieuse des mémoires collectives opérée par les intelligences artificielles génératives, qui déplacent les lieux de conservation et d'interprétation du passé vers des plateformes privées souvent étrangères. Ce phénomène soulève des enjeux majeurs de souveraineté culturelle.
Pour rendre intelligible la complexité de la cyber-résilience, Virginie Tournay mobilise la métaphore du jeu d’échecs de John Searle : un système où les règles constitutives (et non seulement régulatives) définissent l’existence même de l’institution. De la même manière, la cohésion nationale repose aujourd’hui sur la maîtrise publique des données régaliennes, sans quoi l’État se trouve exposé à des formes de néoféodalisme numérique.
Principales recommandations
- Repenser le design institutionnel à partir de l’économie circulatoire des données ;
- Créer des contre-algorithmes publics accessibles aux citoyens, notamment pour lutter contre les dynamiques d’emprise ;
- Favoriser une gouvernance interministérielle de la cybersécurité plus stratégique, à la hauteur des transformations systémiques en cours ;
- Encourager la convergence des acteurs de terrain – notamment associatifs – engagés dans la LMI, en soutenant une culture partagée de résistance numérique ;
- Resynchroniser les temporalités collectives via des événements fédérateurs et symboliques mobilisant les outils numériques.
La résilience nationale ne peut reposer uniquement sur la performance technologique. Elle exige un renouvellement profond de la relation entre institutions, citoyens et données. Cette note se veut une contribution à cette refondation, en croisant les apports des sciences humaines et sociales avec ceux de la science des données.
Lire la note La résilience de l’État face aux menaces informationnelles de Virginie Tournay